lundi 28 mars 2011

Simon Dalmais - The Songs Remain (2011)



Il existe deux manières pour un jeune artiste pour se faire connaître : utiliser sa virginité médiatique comme un champ de liberté absolue, un rempart d'expérimentations, ou au contraire se placer dans les rangs battus de la production actuelle, si possible en choisissant une ou deux pointures, histoire de montrer qu'on en est. Simon Dalmais, la trentaine sautillante, a clairement choisi la deuxième option. Le frère de l'agaçante mais surdouée Camille offre avec ce The Songs Remain un ersatz effarant de ce que propose déjà Sébastien Tellier, dont il fut le claviériste. Waiting en est la preuve la plus flagrante : clavier suranné, vocalises "ouh-ouh esque" édulcorées… Alors on attend qu'un semblant d'originalité surgisse. Le tout est assez séduisant, propre et pas dénué de talent, mais les mélodies de Simon Dalmais sentent trop la face B ratée de Tellier. Ce mimétisme prend racine tant dans la voix du monsieur que dans ses accords plaqués au piano. A quoi bon se coltiner la copie quand l'original est à portée de bras ? On peut d'ailleurs rapprocher cette filiation à celle de Camille et Björk : Le Fil de la première sonnait comme une franche réponse au Medulla vocal de la seconde. Sauf que la Française disposait d'un univers bien à elle. Ici, Simon Dalmais pastiche Sébastien Tellier en long, en large et en travers. Et, surtout, de travers. 

3/10

lundi 21 mars 2011

Thoune of the Week #1 - Thom Yorke (feat Burial & Four Tet) - Ego

(disoulé, je n'ai pas trouvé de version YouTube sans les relances du radioman, qui gâche un peu le plaisir).

Inauguration de cette nouvelle rubrique impossiblesoulienne avec un morceau qui a pas mal rayé mes platines cette semaine. Après le très controversé The King of Limbs (que personnellement j'adore), Thom Yorke lâche les siens et revient à ses belles amours, l'électro.
Avec Four Tet et Burial, Yorke nous propose un morceau résolument électro, sous des airs dubstepiens, assez fringant et doux. Près de 6'30 de trip hallucinatoire, d'autant plus marquant qu'il en est (ou semble) archifacile. L'intro sonne comme du pur Burial (sur l'album Untrue), ensuite la voix de Yorke se pose sur les bips anxiogènes et entêtants. Une voix de tuerie, pure et mesquine, nonchalante à souhait mais parfaitement maîtrisée. Le gimmick est répété quasiment sur tout le morceau, mais les vocalises et la superposition des sons lui donne une consistance effarante. Ego est un titre sensoriel, ni tape à l'oeil, ni faussement intimiste. Il fait tripper, au sens premier du terme. Les nappes chorales sont sublimes. A partir de 3'30, le morceau atteint des sommets, sans pour autant évoluer de manière cinglante. La maîtrise, la tenue, l'élégance, la putain de classe. Ego est tout ça. Les croches au piano dès 4'40 et la voix féminine tuent tout, ajoutant un côté à la fois classique et soul au titre. Ce piano donne toute l'âme à Ego, le sublime et le dépasse. Addictif.
Sous ses faux airs de dubstep, Ego est un grand titre pop, accessible et terriblement séducteur. D'autant plus qu'ici, Thom, Burial & Four Tet ne se disputent pas la génèse du morceau. Ils sont tous ego.

vendredi 11 mars 2011

Owen Pallett, l'interview

De passage à Paris pour un concert au Café de la Danse, Owen Pallett nous livre ces sentiments sur les artistes du moment, ses nouveaux projets, Arcade Fire et le fait d'en avoir une grosse (ou pas). 

Récemment vous déclariez sur Twitter que Paris vous rendait gros…

On a dîné dans un restaurant très cher. J'essayais d'économiser mon argent, en vain ! Il y avait des plats à base de champignons, de la nourriture végétarienne. Je ne suis pas végétarien mais je cuisine ce genre de plats à la maison. Je préfère dire "la nourriture végétarienne est délicieuse" plutôt que "tuer des animaux est un meurtre !". 

Qu'avez-vous fait depuis votre dernier album, Heartland, sorti en 2010 ?

J'ai réalisé un nouvel EP, A Swedish Love Story (2010). Maintenant je travaille sur un projet audiovisuel. J'ai essayé de me détendre après un an et demi de tournée sans break. Je ne peux en dire plus sur le projet. C'est un film artistique, très beau, extrêmement beau, par un ami réalisateur qui n'est pas connu. 

Jouez-vous toujours avec Arcade Fire ? On vous a vus l'an passé au Madison Square Garden à New York…

Je joue avec eux le plus souvent possible mais c'est devenu un grand groupe, il faut s'organiser en amont. Ils me manquent, c'est mon groupe préféré. Malheureusement, ça n'a pas très bien fonctionné cette année. 
Que pensez-vous de leur évolution et de leur Grammy Award ?

Je connais beaucoup de groupes qui passent du statut de compositeur à une véritable industrie, un business. C'est très difficile, la gestion des sentiments, les égos… Beaucoup de groupes ne savent pas gérer ça. Ce n'est pas le cas d'Arcade Fire. Ils n'ont jamais été dépendant de la demande, des ventes d'albums. Les gens veulent les voir, donc ils font le Madison Square Garden. Je suis extrêmement fier d'eux. Ils aiment la musique et veulent simplement faire de la belle musique. On s'envoie des emails avec Win (Butler) qui a été très présent au niveau personnel. Quand je suis inquiet sur ma musique, il est là pour m'encourager. Il m'ont toujours supporté et respecté. Mais je ne veux pas jouer le rôle du papa.

Vous avez collaboré avec Last Shadow Puppets et Beirut. Comment ça s'est passé ?

Avec Last Shadow Puppets, c'était une relation très distante. Alex Turner est venu chez moi et m'a dit ce qu'il voulait. Il m'a demandé de jouer avec lui sur scène, mais mon planning ne me le permettait pas. 
Avec Beirut, nous sommes allés à Montréal. The Flying Clup Cup est un très bon album, assez fantastique. C'était drôle, j'ai préparé un dîner pour eux. Ils sont allés au bar, moi au lit, et lorsque je me suis réveillé, je bossais avec eux. 
Chris Taylor (Grizzly Bear) était supposé travailler avec moi sur Heartland, mais il était en pleine préparation de Veckatimest et les membres du groupes étaient assez nerveux à l'idée qu'il se concentre sur un autre projet. Ensuite je suis allé enregistrer mon album en Islande.

Pourquoi là-bas ?

J'étais allé à un festival là-bas, et le studio était splendide. J'ai tout de suite su que c'était un endroit adapté pour l'enregistrement. 

Vous connaissez James Blake ?

Pas personnellement. Je l'ai vu sur YouTube, on utilise le même clavier. Il jouait exactement comme j'aime jouer. Et je me suis dit "Mais c'est qui ce mec ? Il me plaît !". J'aime beaucoup ses EP's et son dernier disque mais je sens que son nouvel album va juste détruire le monde. Il a le potentiel pour. Il est si jeune, c'est impressionnant. 

Votre père est musicien. Il vous inspire ?

Beaucoup. Il était membre d'une Eglise et faisait de la musique classique. Il a 73 ans, vit au nord du Québec. Chaque jour, je me réveillais avec lui jouant de l'orgue. 90 % de ce que j'écoute provient de la musique classique. A 9 ans, j'écoutais beaucoup de rap, ensuite je suis revenu aux fondamentaux.     

La mutation de Final Fantasy en Owen Pallett a t-elle eu des répercussions sur votre musique ? Elle semble moins exclusive, exigeante…

J'essaie toujours de faire de la musique différente sur chacun de mes albums. Heartland est un disque pop. Quand tu vas dans un bar, tu te dis "Mais qu'est-ce que c'est que ça ?". Ca me va. Je voulais que l'auditeur puisse écouter ça dans sa voiture ou sur un jukebox. L'album a touché plus de gens, oui, mais je ne veux pas devenir un groupe comme The National, avec un gros staff. J'espère que mes prochaines productions vont être plus étranges, absconses. 

Donc vous pensez au nouvel album…

Bien sûr mais pour l'instant je me focalise sur mon projet de film. Et je suis en tournée jusqu'en juillet… Ensuite, je vais jouer avec des musiciens : bassistes, guitaristes. Comme un groupe de rock. Je veux ce genre de sons. J'ai essayé l'an dernier d'intégrer un guitariste, ça n'a pas marché.   

Vous écoutez les groupes français ?

Oui. Daft Punk, Phoenix, le disco, Sébastien Tellier… Je pense que la France a une esthétique unique.  Ca m'attriste que le rap français n'ait pas ce rayonnement. Et puis je préfère quand les artistes chantent en français. 

Vous aimez Sufjan Stevens ?

J'aime toute sa musique mais je n'ai jamais vraiment été passionné par lui. J'essaie de m'en détacher, d'un point de vue artistique. Mais son The Age of Adz m'a littéralement tué. C'est génial. Il a réduit tout ce qu'il avait fait avant en cendres. C'est un de mes disques préférés. D'ailleurs, j'ai joué avec lui en Australie. Les gens voulaient écouter "Chicago", ignorant à quel point ses nouveaux morceaux sont beaux. 
Est-ce que vous aimez la scène ? Ce n'est pas vraiment flagrant quand on vous voit jouer…

Si si, j'aime. Je sais que jouer du violon n'est pas aussi attirant que faire de la guitare. Quand tu joues de la guitare, tu es forcément bien monté ! Le violon, mouais.
Le concert de ce soir m'a plu, mais j'étais très nerveux. Les Français m'intimident. C'est une phobie, non ? 

mercredi 9 mars 2011

The Do - Both Ways Open Jaws (2011)




Soyons clairs : je ne m'attendais pas vraiment à être conquis par Olivia Merilahti et Dan Levy après le premier album très convenu qu'est A Mouthful. Mais quatre ans plus tard (du bon usage du temps), The Do revient en très grande forme, mettant au tapis toutes les attentes à son égard. Enregistré entre Paris et une maison dans le Luberon, Both Ways Open Jaws est une surprise d'autant plus plaisante qu'elle est inattendue.

Bien moins tubesque mais terriblement plus séduisant, ce nouvel effort explore des voies peu empruntées par les groupes de pop hexagonaux. L'inaugurale Dust it Off intrigue avec son clavier dégainant quatre croches entêtantes auxquelles se colle la voix féline d'Olivia. Too Insistent, single instantané où les arrangements, les voix et la concordance mélodique se révèlent grandioses, est un travail d'orfèvre absolument savoureux pour les oreilles et l'esprit. Le final  de Smash Them All (Night Visitors) rappelle la noirceur orchestrale des danois d'Under Byen, tandis que l'instrumentale B.W.O.J lorgne du côté du jazz funky d'un DJ Shadow. Ni plus ni moins.

S'il y a bien deux choses à souligner dans cette nouvelle production, ce sont la prise de risque et la richesse instrumentale que les deux compères assument à merveille, en ces temps de paresse neurasthénique dans laquelle s'agglutine la production pop rock française. C'est d'autant plus louable que le premier effort du groupe a eu son succès (150 000 ventes et tournée à l'étranger). Mais, versant quasi inévitable, quelques fautes de goût : pourquoi singer (mal) M.I.A sur Slippery Slope avec ces tambours tribaux et cette voix sentencieuse tout sauf naturelle ? Et pourquoi diable enchaîner aussi abruptement avec un morceau réussi mais plagié à plein pot sur Joanna Newsom, The Calendar, harpe comprise ? De là se dévoile une certaine tendance à l'exhaustivité sur l'album résolument touche-à-tout sans être fourre-tout, qui peut vite virer à l'écoeurement. 

A écouter parcimonieusement, donc, car les belles choses doivent rester rares pour être appréciées à leur entière et juste valeur. Both Ways Open Jaws est un superbe disque pop franco-finlandais. 

7.5/10



mardi 1 mars 2011

James Blake, adule et sens

Article paru dans le n°150 de Magic, actuellement en kiosque (5 €). Merci à Franck Vergeade et Jean-François Le Puil pour leur confiance et leur goût du risque. Merci à James Blake pour sa patience. Merci à Guillaume Langlais pour la découverte. 




2011 commence à peine  que la révélation venue d'outre-Manche a déjà fait son nid. Mine bougonne, silhouette frêle, regard de lynx, James Blake, 22 ans, signe un brillant album éponyme, sur lequel figure The Limit to Your Love, classieuse reprise de Feist. Deux EP's plus tard, Blake mêle électro et mélodies mélancoliques. Il ne cache pas l' influence du dubstep londonien sur son travail, bien qu'il s'en détache. Un son lumineux qui jaillit à l'horizon d'un parcours marqué par une ligne directrice : la maturité. Rencontre.


Northland, Angleterre. James Blake naît puis grandit, bercé par la musique dès son plus jeune âge. Le grand bonhomme débute l'apprentissage du piano à 6 ans. Ca vous pose un musicien. Il écrit, déjà, et chante. Seul. En autodidacte. Il fréquente en parallèle l'école de Northland, près de Londres, avant de s'exiler à Brixton. Père guitariste, mère graphiste designer, Blake semble avoir hérité d'un sens du toucher et de l'esthétisme sans pareils. "Je n'avais pas besoin de cours", précise-t-il, papa était toujours dans le coin". De lui, il hérite d'une chanson : James Litherland compose "Where to Turn", qui deviendra "The Wilhelm Scream" dans la bouche de son fils, stupéfiante contrée romantique reprise de Feist. "Quand je chante The Limit to Your Love, je pense à mon père et à grandir", confie-il le regard posé, vertigineux. 



Grandir, James Blake sait faire. Fin 2010, il se voit auréolé d'une prestigieuse seconde place au BBC Sound of 2011, qui récompense les artistes en devenir. Mais c'est surtout Pitchfork qui l'élève au rang de talent à suivre. Blake obtient un fracassant 9.0 de la part de la sacro-sainte bible indé US. "Ca m'a surpris, j'ai cru que j'obtiendrais un 4.0, lâche-t-il, faussement modeste. Je crois qu'ils aiment soutenir les artistes, c'est très sain". Sûr de lui, il n'en reste pas moins lucide quant à son envol. "Ca va probablement m'influencer, je ne sais pas. La pire chose que je puisse faire c'est de trop y penser, ce que je fais déjà. Tant que je continue à écrire et à composer, je m'en fiche. Je suis juste heureux de la manière dont les gens prennent ma musique, c'est délirant"



Mais derrière le côté hype, que reste-t-il ? L'abnégation. Le travail. La passion : "Je ne peux pas faire plus que de la musique, le faire de façon honnête, et ne pas laisser les gens s'immiscer  dans ce que je fais" . La composition, pièce maîtresse de sa création, reste la clé de voûte de sa musique : "Quand je compose, je sais que je suis en train de faire quelque chose de bien, c'est de l'engagement. Au début, j'ignore ce qui se passe, si j'aime ça ou non. Ensuite, ça me colle à la peau, que les gens aiment ou non justement." L'amour version Blake & Mortimer (sic) est de retour. Pas étonnant que "Love Comes Back" d'Arthur Russell soit au sommet de son panthéon musical.



Griffe 

Soyons clair : une telle maturité juvénile de la part d'un compositeur de 22 ans, sûr de lui et de son talent, laisse présager de belles mélodies pour l'avenir. De telles promesses ne suffisent pas à dissimuler de multiples influences de tout bord : Erik Satie, Joni Mitchell, et surtout Stevie Wonder, "peut-être ma plus grande influence", admet-il sans rougir. Cette soif de mélanges sonores lui vient de la dubstep, mouvement londonien qui aime à mixer les genres, à base d'électro . Une influence, oui. Une doctrine, certainement pas : "Je ne cherche pas à m'en démarquer, mais ma musique sonne très différemment". Plus récemment, il confie avoir été marqué par For Emma Forever Ago (2007) de Justin Vernon, alias Bon Iver, album qu'il juge "quasi parfait". Nappes sonores, vocader, claviers d'un classicisme et d'un romantisme sidérants, sa musique est d'ores et déjà identifiable. Trouble et lumineuse. La griffe Blake fait déjà très mal. 



Auteur de deux EP's, CMYP et Klavierwerke (2010), James Blake n'a pas révolutionné son monde pour l'écriture de son nouvel effort éponyme. Il écrit l'album en même temps que ses deux EP, dans sa chambre, seul avec des claviers. "Mon inspiration naît de la poursuite de la musique ("thé poursuit of music"). Je ne pense qu'à ça, comment les sons s'entremêlent".



La composition, étape charnière dans le travail de Blake. Habitué aux environnements urbains, il se dit pourtant très réticent au bruit des villes, du trafic, et préfère la douceur salée d'un bord de mer : "J'ai besoin de silence pour composer. C'est difficile de nos jours. Si c'est calme et les lumières sont tamisées, je peux écrire". D'ailleurs, son James Blake accorde une place de choix au silence. Un beat, deux croches au piano, puis ce silence froid qui prend toute sa place, supplanté par la voix gracile du monsieur. Entre la froideur suave de l'électro berlinoise et la mélancolie introspective d'un songwriter, James Blake ne choisit pas. Il n'a pas le temps. Il préfère se frayer son propre chemin. Comme un grand. 



Sur scène, accompagnée de deux musiciens, James Blake profite des petits aléas pour faire valoir son empreinte : "J'aime la spontanéité qui se dégage de la scène, loin de la méticulosité de l'album. La spontanéité rend la scène excitante, les petites erreurs… Ce qui arrive dans la vie". Ces erreurs qui alimentent le moindre accord de sa musique : "Je pense que ma musique est bien plus délibérée que beaucoup d'autres. Chaque note est délibérée ; malgré tout je laisse les erreurs, je ne le fais pas sciemment". Expérience et expérimentation sont indissociables. 



Sûr de lui sans faire preuve d'arrogance apparente ou déplaisante, James Blake sait mieux que quiconque où il va. Les collaborations et les featurings, très peu pour lui. "Je n'aimerais collaborer avec personne. Il faut que je sois dans la même pièce, que j'aie une expérience avec eux. La collaboration sur internet est complètement déconnectée"



Sur "The Wilhelm Scream", James chante "Je ne connais pas mes rêves,je sais juste que je suis en train de tomber". Tomber amoureux de son terrible talent ? De son inénarrable ambition ? De sa doucereuse modestie ? C'est fait.