En près de cinq ans d'existence (de la première partie de The Chapters à Dublin en 2008 à ce sophomore album) Villagers n'a jamais été un groupe connu pour leur cote sexy ou leurs frasques borderline. Non. Les Irlandais seraient plutôt sages, composant des mélodies doucereuses et folk. On irait plus volontiers boire un thé vert avec eux à Dublin qu'à un strip club du New Jersey. Ce jugement est désormais à revoir : la bande de Conor O'Brien ne se cache plus derrière une musique jolie mais sans grand caractère. Auréolés d'une nomination au Mercury Prize en 2010 pour leur premier effort, Becoming A Jackal, le groupe a su, très vite, gagner du galon.
Car on ne tourne pas pour Neil Young ou Grizzly Bear sans avoir un minimum de cran. Après leur prestation en novembre auprès de ces derniers en Belgique, le groupe a reçu une ovation. Inconnu pour la majorité des personnes présentes, mais triomphe quand même. Le concert était remarquable. Habités et charnels, les Irlandais ont su donner de la consistance à leurs titres et surtout se livrer corps et âme, sans en faire trop. C'était la dernière date de leur tournée automnale et pour fêter ça, rien de mieux qu'une grosse murge pour ensuite déambuler sur les avenues bruxelloises comme un groupe d'adolescents fêtant la fin des examens. La spontanéité était totale. L'euphorie aussi. C'est comme si ces cinq gars avaient compris que leur heure était venue. Comment pouvait-il en être autrement ?
{Awayland} ne laisse aucun doute là-dessus. La satisfaction présente est souvent le résultat d'une interminable et parfois pathétique remise en doute. O'Brien n'en fait d'ailleurs pas mystère : “J’ai commencé à me sentir comme le pire auteur au monde. J’avais l’impression de mentir aux gens. Il n’est pas possible de chanter "my love is selfish” une centaine de fois par an, et que cela sonne toujours pur et vrai.” Alors autant écrire sur un mec nu aux toilettes qui se retrouve téléporté dans une guerre sans nom (Earthly Pleasure) ou évoquer le bonheur paternel sur In A Newfound Land You Are Free. Textuellement varié et approfondi, l'album l'est tout autant musicalement. L'évolution constatée en live apparaît comme de l'eau claire tout au long des onze morceaux de cette terre, de cet ailleurs assez salvateur. Beaucoup plus couillu et travaillé que son prédécesseur, {Awayland} donne l'impression de s'acheminer vers des sentiers improbables et c'est exactement ce qui le rend aussi bon. Des morceaux comme Earthly Pleasure ou The Waves frappent par leur ambition rythmique, la voix qui n'hésite pas à se brûler un peu, les artefacts qui ne sont jamais superflus. Villagers étoffe ses morceaux, les déconstruit, pour en faire des pièces maîtresses. Une version miniature de Grizzly Bear couplée à l'élégance de Bright Eyes. Même en gardant leur structure folk d'antan (Nothing Arrived et son superbe envol final), ils parviennent à insuffler suffisamment de chair pour gagner en ampleur. Et jamais le groupe ne semble se renier ou tenter l'impossible. La maîtrise, et la foi, surtout.
Même si la seconde moitié du disque est moins surprenante et retrouve une tonalité plus classique, moins aventureuse (la dextérité et le dépouillement de In A Newfound Land... sont déchirants malgré tout), le groupe se fait confiance et ne perd jamais le fil de la narration. On ressent, à l'écoute de ce brillant disque, une réelle générosité, une ouverture que leurs balbutiements des débuts ne permettaient pas. S'en dégage une liberté, une jouvence très agréables. Les Villagers ont passé un cap et signent l'air de rien le plus bel album de janvier.
8.5/10
(Domino Records, 2013)
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