jeudi 29 novembre 2012

Spitzer - The Call


Appelez cela comme vous voudrez : révélation, bombe, tuerie électronique, trop-de-la-balle, made in France. Un peu tout ça à la fois. Difficile de s’en remettre. Les mots paraissent incertains. Pourtant, la puce gratouillait l’oreille lorsque l’EP Roller Coaster (2010) a enchanté les nôtres : telles irrévérence, ambition et férocité ne pouvaient être totalement anodines. La très apparatienne (période Duplex, 2003) Serpentine confinait à un étranglement sonore sous Lexomil. Damien (batterie) et Matthieu (guitare), révélés par le très relevé festival Les Nuits Sonores, ont transformé leur cocon ménager en studio d’enregistrement, quartier de La Guillotière, à Lyon. Pas de temps à perdre. Les deux frères ne cherchent pas à faire leur preuve : ils veulent convaincre tout le monde qu’ils sont indispensables. Un remix de Kylie Minogue (très putassier), un autre de Sally Shapiro (mais aussi d’Aufgang et de Portishead) et le tour est joué. Peu importe l’âge, que valent les fracas sociaux quand deux jeunes gars s’imposent avec une telle évidence ? Car The Call est un de ces disques qui appellent au respect, à l’écoute minutieuse et surtout à la danse énamourée. Quel flair qu’a eu – encore une fois – le label InFiné sur ce coup-là. A aucun moment Spitzer ne renie sa mère patrie, ses influences. Elles sont pourtant nombreuses : la dévastatrice Breaking The Waves ressemble très étrangement au titre Jet d’Ellen Allien et Apparat (Orchestra of Bubbles, 2006) tandis que Clunker ressuscite crânement le spectre de Ian Curtis. Mais ce n’est pas tout : l’asphyxiante Too Hard Too Breathe et sa précision chirurgicale (KID A au chant, petit protégé d’Agoria) a tous les contours d’un tube intemporel. Voilà, la musique de Spitzer, bien que résolument moderne, est au-delà. Au-delà de quoi, en fait ? De tout. Mais c’est quoi tout ? C’est cet assemblage de petits riens, cette honnêteté latente, cet éblouissement de talent qui font que Spitzer renvoie bien gentiment des mecs comme C2C au ras des pâquerettes dans un champ printanier de Bourgoin Jallieu, entre les vaches à lait productivistes et les faiseurs d’opinion à l’instinct grégaire. 

9/10

(InFiné/Differ-ant, 2012)




mardi 20 novembre 2012

Peter Broderick - These Walls of Mine



En bon Américain téméraire qu'il est, Peter Broderick se montre plus que jamais stakhanoviste. nous servant facilement un album tous les ans. Un rythme si effréné pourrait conduire à l'essoufflement voire à l'overdose. C'est bien aussi de prendre son temps, réfléchir à se renouveler, faire un break, bref, nous laisser respirer, par Peter ! Auteur d'un superbe It Starts Hear en février dernier, le famélique compositeur d'Oregon est déjà de retour. Connu pour ses talents de multi-instrumentiste et son toucher unique du piano, le jeune Broderick est un surdoué mais souffre d'un syndrome regrettable : prouver au monde entier qu'il est talentueux, en ne montrant souvent qu'une seule et même palette de ses ébouriffantes capacités. Il n'est pas le seul : l'Islandais Olafur Arnalds (également signé sur Erased Tapes) est de ceux là. Mais comment leur en vouloir puisqu'ils le font si bien ? Pour la prise de risque, il faudra repasser. Ce qui compte aussi dans la réussite d'une œuvre, c'est aussi et surtout sa contenance (corpulente ou diaphane, peu importe) son atmosphère, la reconnaissance au bout d'une seule mesure de notes jouée. Et à ce jeu là, Peter Broderick s'en sort haut la main. Il est loin le Docile de 2007, personnage sonore épatant et hautement singulier. Il n'avait que 20 ans. Cinq ans plus tard, il se dépêche mais oublie un tant soit peu d'explorer d'autres terrains. C'est d'autant plus dommage que le garçon en a les moyens, ces bandes-sons cinématographiques en attestent. Ses parents auraient dû lui offrir un piano à 5 ans, un violon à 9 ans, mais ont dû oublier la guitare électrique des 13 ans, indispensable à la construction psychique de tout enfant aspirant à devenir musicien, vraiment.

 Propret sur lui, l'interprète fascine dans l'utilisation audacieuse qu'il fait se sa voix : tranchée, fluviale, angélique, torturée, chorale (Proposed Solution to the Mistery of the Soul). Le flow dirigiste de When I Blank I Blank ressemble à de l'auto-plagiat de sa précédente œuvre. Soit on s'appelle Radiohead et on est apte à offrir deux albums d'une même session publiés séparément, à quelques mois d'intervalle là-aussi (Kid A, 2000 puis Amnesiac (2001) soit on brode sa brique et on fait des double-albums, tant les ressemblances entre It Starts Hear et ce nouvel opus deviennent gênantes. L'Américain s'écoute chanter, se croit intouchable alors que ses chansons sont patentes, parfois lourdes car déjà trop usées par le passé. Le dyptique These Walls of Mine, entre auto-confession usitée et flow hip-hop qui ne lui correspond pas du tout, sème la panique, puis lasse. La seule audace provient de ces huit minutes de Copenhagen Ducks où le jeune déjà grand insuffle sa patte pour offrir un morceau d'une grande beauté, paradoxalement aquatique et christique. Mais répétons-le : le talent s'utilise à bon escient et parcimonieusement, a fortiori lorsqu'on en dispose d'une bonne dose. Peter Broderick l'a jouée soviétique, trompant l'image du bel ange élancé qu'on avait de lui pour la transformer en homme dur comme une coque d'oeuf presque creuse. Rendez-vous en décembre pour un troisième album en guise de belle ? 

4.5/10

(Erased Tapes / Differ-ant)

dimanche 18 novembre 2012

Poor Moon - Poor Moon



Pauvre homme, tu n'es pas à plaindre. La belle Lune, riche et extatique, t'observe. Si les humains et la musique te fuient, elle, suivra toujours tes pas et t'éclairera dans tes ténèbres nocturnes et somnambules. C'est la voie qu'ont dû suivre Christian Wargo, Casey Wescott et les frères Ian et Peter Murray tant cet inaugural album rayonne de mélancolie bienheureuse. Piloté par Jared Hankins et Bernie Grundman (Michael Jackson, Queen, Prince), la galette rappelle tout le monde et personne à la fois. Les deux leaders sont d'ailleurs membres de (feu ?) Fleet Foxes, chauds et réconfortants cousins de Seattle. Et cela s'entend. Le tout premier paysage à s'offrir à nous est Clouds Below, jolie et doucereuse comptine folk et chorale. Le ton brumeux est donné : le ciel est couvert mais le coeur musical est plein de générosité. Très proche d'Andrew Bird le ténébreux (jusqu'aux sifflotements), Poor Moon se dandine comme une étoile, tout en délicatesse. Dandy sur la printanière Holiday, Wargo dit coucou à Pete Doherty en dressant ses ailes auprès de la concurrence, tandis que Same Way, qui démarre par un piano brinquebalant et se nappe dans une solide ambiance, évoque sans doute aucun leur groupe originel, Fleet Foxes. Mais il faut rentrer à présent, car l'incroyable Come Home nous cloue définitivement sur place avec ses voix décuplées et sa guitare sèche enchanteresse, avant que la batterie ne s'emballe pour une balade primesautière, vive et spontanée. Tout en restant dans un registre folk orchestral qui lui sied bien, la formation touche à tellement de genres et d'influences que ça en devient tourbillonnant. Et désopilant. Des écoutes répétées créent une certaine torpeur. Mais de grâce, que c'est léger et beau, parfois digne du Michigan de Sufjan Stevens, réécrit par Wargo et les siens, vue du ciel. Car les paroles, d'une cohérence absolue, racontent une histoire de déchirement, d'amour et d'espoir. Sans fard ni cliché outrecuidant.“Il y a bien souvent un paradoxe entre la façon dont une chanson résonne et ce dont elle parle en réalité", explique Ian Murray. Poor Moon se frotte à des artistes, des planètes plus imposantes que lui. Exquis, pas lisse d'un iota. Il manque seulement un brin de c(a)ra(c)tère. Le corpus sonore demeure excellent, fin et méticuleux. Bats-toi contre les astres, la Lune sera toujours de ton côté de l'hémisphère. Et, entre nous, tu n'es vraiment pas à plaindre pour un splendide premier effort. Toi non plus, ici ou là que tu te trouves, auditeur de mon coeur.

8/10

(Bella Union/Cooperative Music)


vendredi 16 novembre 2012

Get Well Soon - The Scarlet Beast O'Seven Heads


Combien de temps va durer cette belle entourloupe, chers Messieurs ? Cela fait plusieurs années déjà que nous sommes vexés de ne pas avoir vaincu la maladie à l'écoute de vos somptueuses litanies (Vexations, 2010). Pire. On prend goût à cet état mi-joyeux, mi-atrophié qui nous sied plutôt bien. Point de masochisme, juste l'amour de la bataille contre ce fléau avec lequel on s'écharpe depuis des années. Et quelque chose nous fait dire que cela risque de durer une éternité The Scarlet Beast O'Seven Heads touche au divin, à l'absolu. Au miraculeux. Allemand, Konstantin Gropper a commencé son escapade par une série de démos, maxis et EPs (quatre entre 2005 et 2007) avant de lancer le curieux et très remarqué Rest Now Weary Head ! You Will Get Well Soon (2008), qui l'a révélé au grand jour. Touche-à-touche (piano, batterie, guitare, violoncelle), il fait ses premières armes dans le groupe Your Garden, alors simple adolescent. Gropper obtient un diplôme de philosophie et part s'installer à Berlin puis retrouve Mannheim. En 2005, il devient lauréat du prix Erich Fried en Autriche pour avoir mis en musique un poème de l'auteur sus-cité. Über classe.

Accompagné d'une troupe de fer (sept musiciens dont sa sœur Verena Gropper), et des instruments à n'en plus compter, le chef de file et les siens confinent leur œuvre au magique. Rien que la voix qui sent le vécu écorché de Gropper, à la Neil Hannon de Divine Comedy, soigne derechef d'un chagrin de cœur. Magnificence mélodique, arrangements sépulcraux et cathartiques, le tout touche souvent au sidérant. Pour s'en convaincre, une seule écoute suffira. Pour les passionnés, le bouton repeat sera usé jusqu'à la corde. Et pour les pressés, Disney renferme l'un des plus beaux morceaux choraux créés depuis des lustres. The Scarlet Beast O'Seven Heads n'est pas un palliatif : c'est un phare de la nuit, la preuve la plus tangible contre l'inanité. Mais admirez donc ces cuivres époustouflants de justesse de A Gallows. Que dire de plus ? Que le côté intimiste de Oh My ! Good Heart rappelle les spectres de Jeff Buckley et Nick Drake ? Inutile. La toile est admirable. De ces joyaux qu'une chronique rend vaine dans une atmosphère funèbre voire christique, sans être lacrymal ni facile, écoutez Get Well Soon, et bon rétablissement, hein ! Parfois, la folie d'y croire vaut la peine de la souffrance. Mais l'espoir triomphe, toujours, envers et contre-nous.  

9/10


mercredi 14 novembre 2012

Grizzly Bear @ Ancienne Belgique, BXL (4/11/12)


C'est un secret de polichinelle : après l'harassante tournée qui a suivi leur Veckatimest (2009), Grizzly Bear a envisagé la séparation. Les raisons demeurent floues : toujours est-il que les succès critique et commercial découlant cet album (meilleure vente de toute l'histoire du label Warp) a eu de quoi leur donner le tournis. Une remise en question que vivent des dizaines de groupes en ce temps de stabilité économique de l'industrie musicale très douteuse, et probablement le sentiment d'avoir tout donné sur cette excellente livraison. Miraculeusement, Shields (2012) voit le jour et risque de truster les premières places d'un bon nombre de tops de fin d'année. Mérité. L'album est un chef d'oeuvre d'une incroyable évidence. Sauf que. En concert, les Brooklyniens alternent l'excellent (La Cigale 2009) et le mitigé (Olympia 2010), tiraillés entre leur envie de bien faire et la peur d'atteindre le statut d'icône incontournable de la scène indé des dix dernières années.

Leur show à l'Ancienne Belgique à Bruxelles programmé en ce début novembre restait donc difficile à appréhender. L'avalanche de tweets vantant leur prestation au Pitchfork Festival de Paris la veille avait pourtant de quoi rassurer. Mais avec Grizzly Bear, le génial ne suffit pas. Ils font partie de ces groupes capables de faire d'un live une expérience unique et inoubliable. Et l'heure quarante-cinq vécue à leurs côtés à Bruxelles fut au-delà de toutes les espérances. Mais comment la narrer ? Comment décrire l'émotion intense et unique vécue dans cette salle magnifique, l'une des meilleures d'Europe avec une acoustique quasi irréprochable ? Et pourquoi avoir envie de partager ce moment, puisque sans y être, il demeure difficile de comprendre ? C'est là que les sentiments pêchent par leur incommunicabilité. Tentons malgré tout, le groupe mérite (bien plus que) ça.


L'énigme Rossen

Qu'il semble loin le temps où Grizzly Bear tournait en tant qu'opening band auprès de Radiohead. Une expérience salvatrice, enrichissante, à n'en pas douter. Mais les Américains ont aussi su tirer partie de leurs aînés : comme ces derniers, ils réussissent à faire de leurs prestations des moments de vie, non plus un enchaînement de chansons mais plutôt une escapade narrative, faite de moments épiques, d'instants de doutes, et même d'inquiétudes.

Celui qui a fait trembler notre coeur n'est autre que Daniel Rossen. Chanteur à la voix unique, guitariste hors pair, le petit koala de la bande a failli tout faire capoter ce soir-là. D'une humeur massacrante en début de set, Rossen fait la gueule et on ne voit que ça. Il retire ses chaussures en début de concert, se trimballe en chaussettes tout le show durant, et lui demander de sourire demeure aussi improbable que traverser l'Atlantique en snowboard en plein mois d'août. "Daniel, I love you", lance un homme surexcité dans l'audience. Pas un regard, pas un mot, plutôt de l'amertume de la part de l'intéressé. Se dirigeant à plusieurs reprises vers son ampli, Daniel Rossen enchaîne les titres sans y croire. Speak in Rounds en ouverture est d'ailleurs méchamment expédiée. La bande n'a pourtant pas l'air tétanisé comme il le fut à l'Olympia, mais quelque chose cloche, sans doute aucun.


Mais voilà, l'alchimie d'un groupe repose aussi sur un savant équilibre. Et pour cela, on peut compter sur Christopher Bear, époustouflant à la batterie, et surtout Ed Droste, absolument fantastique de bout en bout. L'autre vocaliste de la bande réalise un concert parfait, délivre une énergie communicative, une intensité phénoménale et ses lignes de chant donneraient le frisson à une momie. Le groupe interagit très peu, chacun restant à sa place tandis que Chris Taylor paraît en retrait et qu'on se demande toujours quelle mouche a pu bien piquer Daniel. "I love you even more when you are like this", répète le forcené dans le public. Dany esquisse un regard et un sourire légers. Ce mec doit juste être impossible à combler, et le voir bouder ainsi le rend terriblement craquant, en fait. "Oh, ce n'est pas grand chose, juste quelques problèmes de guitares, mais ça va bien. Je suis content du concert", confie Rossen avant de monter dans son bus de tournée, une heure après le show. Et le bougre a beau sembler avoir fait une indigestion de choux de Bruxelles, il n'en est pas moins extraordinaire. Ces couacs techniques le poussent à sortir des accords de guitare proprement sidérants (Yet Again, dévastatrice) et sa voix n'est jamais plus belle que lorsqu'elle paraît écorchée. Shieds (2012) est leur OK Computer à eux, un monument, plus qu'un disque, donc on est en droit d'attendre un concert à la hauteur des astres. Rossen est éblouissant sur Sleeping Ute, totalement désabusée mais énergique. Le morceau lui colle à la peau. Intelligemment, le groupe interprète plusieurs titres de Yellow House sorti en 2006 (un chef d'oeuvre de plus) comme Lullabye, la sublime Knife ou On A Neck, On A Spit en rappel, sans que la cohérence et l'intensité du show ne soient perturbées d'un iota. Les Grizzly Bear sont immenses et ils comptent bien le faire savoir.

Plus qu'un concert, une chevauchée romanesque

Le public, lui, se montre enthousiaste, respectueux, et offre plusieurs ovations (méritées) au groupe. Celui-ci pioche à l'envi dans tous les pans de sa discographie et joue, à la surprise générale, la somptueuse Shift parue sur Horn of Plenty (2004), leur premier album. On réalise alors que la véritable force du groupe réside dans sa capacité à toucher l'excellence à chaque nouvelle production. A ce titre, le très abouti Veckatimest est peut-être leur talon d'Achille car composé de titres dispensables (défauts que ne comportent pas Yellow House ou Shields, pourtant très différents). Mais la galette resplendit sur scène : les tubes Cheerleader ou Two Weeks sont d'une féroce efficacité. De plus, l'enchaînement I Live With You et Foreground confine à l'absolu. Abrupt et cathartique, le premier titre invite l'auditeur dans une contrée inconnue, très sombre mais brumeuse, tandis que les différentes ruptures du morceau font exploser les guitares comme du magma volcanique. Phénoménal. Et que dire de Foreground, où la voix d'Ed Droste est plus belle que jamais, où la simplicité de la partie jouée au piano n'a d'égale que l'incroyable émotion que ce morceau dégage ?


Mais tout ça, on le savait déjà. Ce qu'on ignorait, et ce pourquoi le concert affichait complet, c'était le potentiel scénique de Shields. Difficile de retranscrire un album à l'évidence ébouriffant sans livrer un concert attentiste et claudiquant. Il n'en fut rien. On n'évoquera ici que les moments d'anthologie, car il n'y a pas eu de mauvais moments lors de cette généreuse soirée (20 titres joués). D'une part, A Simple Answer. A l'humble avis de l'auteur de ses lignes, il s'agit du morceau le moins convaincant de l'album (devant The Hunt cependant, seul titre du dernier album pas joué en live, ça tombe bien). En concert, ce morceau détruit la lithosphère. Energie ! Précision ! Explosion ! Tout est là. L'enchevêtrement des voix d'Ed et Daniel qui vient clore le morceau est l'un des grands moments du concert. D'autre part, l'inénarrable What's Wrong, selon moi le meilleur morceau de toute la discographie des Grizzly Bear. Très jazzy, pénétrante et à la composition complexe, la chanson atteint une grâce insensée, Chris Taylor  sort même son imposant saxophone ! Tout en finesse, ornée de multiples détails, là encore les voix de Droste et surtout Rossen se couplent à merveille. Ca ne tient qu'à un fil, mais ce fil est brodé d'or. Grand, très grand moment dont on ne se remettra jamais. Assez logiquement, Sun In Your Eyes, morceau de 7 minutes, vient clore ce set irréprochable. A la fin du titre, Ed Droste adresse un regard inquisiteur à Daniel Rossen, en mode "Encore un titre ou pas ?". Rossen n'a même pas besoin de parler. Le groupe file en coulisses.

Puis reviennent, sans surprise, pour le rappel. Avec Knife, On A Neck On A Spit, donc, mais surtout le morceau final, All We Ask, joué en version acoustique. Il aura fallu les derniers instants pour voir le groupe se rapprocher, être en totale communion avec eux-mêmes, et encore une fois (promis, c'est la dernière), Daniel Rossen prouve qu'il est l'un des meilleurs interprètes des années 2000. A la fin du spectacle, quatre anges passent, assez ébahis, sonnés et peut-être tout simplement fatigués (c'était l'avant-dernière date de la tournée européenne). Ils ne parlent pas, se contentent de contempler leur oeuvre qui s'impose d'elle-même. Puis soudain, l'un d'eux prend la parole mais seuls ses trois semblables peuvent l'entendre. Et, en un regard, il se dit : "J'ai l'impression que nous avons accompli quelque chose de grand, et je suis content".

Orlando Fernandes



mardi 13 novembre 2012

Animal Collective @ Le Grand Mix, Tourcoing (9/11/12)

Animal Collective @ the Henry Fonda, 25/09/2007

C'était il y a pas si longtemps, en fait. 2008. Animal Collective n'avait pas encore sorti son magistral Merriweather Post Pavilion (2009), leurs fans se comptaient sur des licornes d'un pull XL d'Urban Outfitters... Mais le groupe était déjà grand. Leur concert, pour illustrer la chose, se résumait à deux heures de brouhaha bruitiste complètement hermétique et abscons. Le groupe assume. L'audience un peu moins. Il ne fallait pas compter sur eux pour reprendre leur répertoire sonore, et encore moins leurs tubes, nombreux. La bande de Baltimore envisage la scène comme un territoire d'expérimentations ; le studio n'est là que pour donner un cadre à tout cela (et encore, quand ils ne composent pas via emails forwardés...).

Mais Animal Collective a changé. L'âge ? La paternité ? Leur statut de groupe incontournable de la scène indé ? On s'en fout. Le groupe a de la bouteille, n'a plus grand chose à apprendre de ses pairs ( leurs inspirations démontrent que les quatre fantastiques puisent du côté des racines de la musique) et surtout se fiche bien de plaire ou non. Centipede Hz, leur nouvelle galette, a reçu un accueil mitigé, très loin de l'unanimisme entourant MPP. Un virage radical par rapport à ce dernier : des morceaux plus bruts, plus énergiques, moins pensés mais tout aussi addictifs. Pas étonnant dès lors que leurs concerts aient eux-aussi connu un lifting (très appréciable).

Panda Bear, Geologist, Avey Tare et Deakin ont, une semaine auparavant, livré une exceptionnelle prestation au Pitchfork Festival de Paris. Pour preuve : situé au 20e rang en début de set, je me trouvais derechef aux avant-postes vers la fin du show. Les gens payent 130 euros pour trois jours de festival et quittent un concert fantastique, tranquilou. A Tourcoing, on les retrouve là où on les avait quittés : au sommet. Dans une petite salle bien foutue et un son quasi irréprochable en plus. Tandis qu'il fallait prier les cieux pour avoir droit à un morceau tiré de leurs albums il y a quatre ans (et encore, dans une version totalement retravaillée), David et les siens interprètent quasi intégralement les pièces de Centipede Hz, qui trouvent une régénérescence assez stupéfiante en live. Rosie Oh ouvre gentiment le bal, mais c'est Today's Supernatural qui lance véritablement les canons. D'une brutalité et d'une sensualité à toute épreuve, le titre montre aussi les progrès phénoménaux accomplis par Avey Tare sur le plan vocal. Chaque membre demeure concentré sur son élément, interagit peu avec le public, moins par snobisme (penser que Animal Collective est un groupe élitiste et salopard est la pire des ignorances) que par réelle imprégnation et souci de bien faire. Wide Eyed est l'occasion de vérifier que le bassiste Deakin, longtemps absent, a tout à fait sa place dans le groupe. Le décorum, plutôt intimiste et foutraque est orné d'immenses dents gonflées présentes sur scène (non, Libé Next, il ne s'agit pas d'orteils) (lire ici le pire live report de toute l'histoire de la musique narrée), Avey Tare s'est teint les cheveux en bleu et Panda Bear a dû perdre 5 kilos en une heure (il doit lui en rester 40, à vue d'oeil). D'une cohérence totale, Animal Collective est maître dans l'art de la transition, n'interrompant que rarement les titres, préférant laisser une note au diapason et bidouiller leurs instruments (déjà en train de préparer un nouvel album ?). Les temps morts ? Il n'y en a pas. Le groupe parvient à créer une osmose, à captiver une audience archi-conquise, car ils aiment la musique et surtout la respectent. Ils s'appliquent. Et c'est pas chiant pour un sou.

Mais le clou du spectacle se trouve dans le combo Brothersport / Peacebone. Le premier venait clore de la plus belle des manières Merriweather Post Pavilion tandis que ce second inaugurait leur (sous-estimé à mon goût) Strawberry Jam (2007) et reste l'un de leurs testaments pour l'Histoire. Alors, ce n'est plus à du délire auquel nous assistons : c'est carrément un appel au sexe, à la libération du corps, au génocide de la raison. Dotés d'une exceptionnelle rythmique, ces deux morceaux sont, enchaînés, absolument gargantuesques et prouvent à eux seuls que rien ne remplacera l'expérience live. Le rappel, lui aussi fantastique, allie Cobwebs (les mecs de Baltimore ne sont pas qu'un safari sur pattes, ils savent aussi émouvoir), My Girls (chef d'oeuvre absolu, un point culminant de leur carrière) et Amanita, dans la même veine que Brothersport mais en plus posé, tout de même. Le public, en totale transe, s'oublie, tant l'évidence est palpable : Animal Collective a eu ses hauts et ses bas mais fait figure de groupe précurseur, radical, total. Les souliers étaient, au départ, collés au sol par la bière renversée. Ils sont, désormais, glissants à cause de toute la sueur déversée. Pourquoi attendre l'aube pour s'enivrer dans un swing endiablé ?