En bon Américain téméraire qu'il
est, Peter Broderick se montre plus que jamais stakhanoviste. nous
servant facilement un album tous les ans. Un rythme si effréné
pourrait conduire à l'essoufflement voire à l'overdose. C'est bien
aussi de prendre son temps, réfléchir à se renouveler, faire un
break, bref, nous laisser respirer, par Peter ! Auteur d'un
superbe It Starts Hear en
février dernier, le famélique compositeur d'Oregon est déjà
de retour. Connu pour ses talents de multi-instrumentiste et son
toucher unique du piano, le jeune Broderick est un surdoué mais
souffre d'un syndrome regrettable : prouver au monde entier
qu'il est talentueux, en ne montrant souvent qu'une seule et même
palette de ses ébouriffantes capacités. Il n'est pas le seul :
l'Islandais Olafur Arnalds (également signé sur Erased Tapes) est
de ceux là. Mais comment leur en vouloir puisqu'ils le font si
bien ? Pour la prise de risque, il faudra repasser. Ce qui
compte aussi dans la réussite d'une œuvre, c'est aussi et surtout
sa contenance (corpulente ou diaphane, peu importe) son atmosphère,
la reconnaissance au bout d'une seule mesure de notes jouée. Et à
ce jeu là, Peter Broderick s'en sort haut la main. Il est loin le
Docile de 2007, personnage sonore épatant et hautement
singulier. Il n'avait que 20 ans. Cinq ans plus tard, il se dépêche
mais oublie un tant soit peu d'explorer d'autres terrains. C'est
d'autant plus dommage que le garçon en a les moyens, ces bandes-sons
cinématographiques en attestent. Ses parents auraient dû lui offrir
un piano à 5 ans, un violon à 9 ans, mais ont dû oublier la
guitare électrique des 13 ans, indispensable à la construction
psychique de tout enfant aspirant à devenir musicien, vraiment.
Propret sur lui, l'interprète fascine dans l'utilisation audacieuse
qu'il fait se sa voix : tranchée, fluviale, angélique,
torturée, chorale (Proposed Solution to the Mistery of the Soul).
Le flow dirigiste de When I Blank I Blank ressemble à de
l'auto-plagiat de sa précédente œuvre. Soit on s'appelle Radiohead
et on est apte à offrir deux albums d'une même session publiés
séparément, à quelques mois d'intervalle là-aussi (Kid A, 2000
puis Amnesiac (2001) soit on brode sa brique et on fait des
double-albums, tant les ressemblances entre It Starts Hear et ce
nouvel opus deviennent gênantes. L'Américain s'écoute chanter, se
croit intouchable alors que ses chansons sont patentes, parfois
lourdes car déjà trop usées par le passé. Le dyptique These
Walls of Mine, entre
auto-confession usitée et flow hip-hop qui ne lui correspond pas du
tout, sème la panique, puis lasse. La seule audace provient de ces
huit minutes de Copenhagen Ducks où
le jeune déjà grand insuffle sa patte pour offrir un morceau d'une
grande beauté, paradoxalement aquatique et christique. Mais
répétons-le : le talent s'utilise à bon escient et
parcimonieusement, a fortiori
lorsqu'on en dispose d'une bonne dose. Peter Broderick l'a jouée
soviétique, trompant l'image du bel ange élancé qu'on avait de lui
pour la transformer en homme dur comme une coque d'oeuf presque
creuse. Rendez-vous en décembre pour un troisième album en guise de
belle ?
4.5/10
(Erased Tapes / Differ-ant)
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