Sûrement affublé par l'idée de dénicher la rareté hype de l'année, voilà que le Guardian, qu'on a connu plus inspiré, lance un nouveau Tumblr aussi déroutant qu'édifiant. Le but : décrire un album en un seul mot. A côté, les 140 caractères de Twitter passent pour une version longue de la Bible.
Il y a quelques semaines, le sérieux et reconnu pour son sérieux journal britannique The Guardian lançait Guardian Music Tumblr sur internet. Sans extravagance. L'idée : présenter des albums, récents ou historiques, en un seul mot. "Merveilleux", "dispensable", "ennuyeux"... La procédure ressemble plus à de la promotion qu'à un réel travail de critique musicale, et se rapproche de très près des termes dithyrambiques qu'on peut lire sur les affiches de cinéma pour donner au spectateur l'appétence suffisante pour aller au cinéma, 40 °C à l'ombre, en plein mois d'août.
Aussi étonnante et saugrenue soit-elle, l'entreprise n'a rien de révolutionnaire. Tout récemment, des statuts Facebook et des tweets assuraient justement la promotion de The Raid, sortie en juin, sur l'affiche du film, présente à la Gare Montparnasse, à Paris. Les avis des internautes remplacent ainsi les "Saississant", "Chef d’œuvre" ou encore "Sublimissime" dont nous écument chaque jour la presse spécialisée. Le site Culture Visuelle titre alors sur la "prosécogénie du tweet"..... Belle tentative de marketing viral qui a pourtant tourné au vinaigre : la production a attiré près de 160 000 de spectateurs dans les salles obscures en deux semaines d'exploitation. Un flop abyssal.
"Ces mises en pages pompeuses et tape-à-l'oeil suivent pourtant un système de mise en visibilité
classique. Le film se réclame ainsi d’un succès dit “critique”,
représenté par les extraits de commentaires élogieux, et d’un succès dit
“académique”, à travers l’évocation des divers prix et nominations", explique Raphaële Bertho, auteure de l'article en question. "Le visuel
présenté sur divers sites internet va même jusqu’à fusionner
graphiquement l’un de ces avis dans l’affiche du film, marquant
l’intégration de ces sources de légitimation dans le discours de
lancement du long-métrage", persiste-t-elle.
Le sempiternel débat : "Tous critiques ?"
Comment critiquer l'amateurisme sans être taxé de snobisme ? Si l'initative est louable pour faire découvrir des artistes à un public plus large (le journal - The Guardian - lui-même a essuyé une salve de critiques quant à ses positions élitistes), elle n'en demeure pas moins réductrice, faussement dans l'air du temps et caduque. N'importe qui est à-même d'exprimer un mot à la suite d'une oeuvre, qui devient ainsi consommée et non plus vécue. On dirait "miam" après avoir dégusté un nouveau gâteau, on dira "super" lorsque les sept albums de Radiohead nous auront effleuré les oreilles. Tristesse, paresse, tout sauf une prouesse.
Comment critiquer l'amateurisme sans être taxé de snobisme ? Si l'initative est louable pour faire découvrir des artistes à un public plus large (le journal - The Guardian - lui-même a essuyé une salve de critiques quant à ses positions élitistes), elle n'en demeure pas moins réductrice, faussement dans l'air du temps et caduque. N'importe qui est à-même d'exprimer un mot à la suite d'une oeuvre, qui devient ainsi consommée et non plus vécue. On dirait "miam" après avoir dégusté un nouveau gâteau, on dira "super" lorsque les sept albums de Radiohead nous auront effleuré les oreilles. Tristesse, paresse, tout sauf une prouesse.
Attention cependant à ne pas tomber dans l'amalgame qui scléroserait les critiques lambdas à des individus incapables d'étayer un avis dense et réfléchi : une floppée de blogs de cinéma et musicaux, entre autres, et webzines inondent le web d'avis pertinents et parfois repris par les journalistes dans leurs articles. Sur YouTube, le collectif The Needle Drop (cf vidéo) chronique à foison des disques sortis récemment, en se gardant bien de se présenter comme des experts ou journalistes : "Ces critiques sont avant tout des opinions", préviennent-ils. Là encore, le choix des mots est déterminant.
Mais ce sont bien des journalistes qui tiennent les rênes du Guardian : il est plus que jamais question de travail. A quand un poste dédié au meilleur des blogueurs dans les bureaux du quotidien ? A ce propos, les avant-première se multiplient pour assister aux films ou aux écoutes de disques, dans des lieux "nobles" (un grand cinéma, un hôtel prestigieux) où le rédacteur est derechef mis sur un piédestal, tel émerveillé comme un enfant par tant d'honneur qui lui est fait. Son jugement, son avis sur l’œuvre peut dès lors, sciemment ou non, être biaisée, voire inappropriée. Trop de films, trop d'avis, une analyse bâclée en une expression, est-ce l'état de l'art en 2012 en Europe ?
Le langage ou la logorrhée décomplexée
Ce ne sont pas seulement les artistes et les œuvres qu'on atteint ainsi, mais bel et bien le vocabulaire. Le débat est éculé, mais résumer le dernier film de Dolan ou le Carrax à l'expression "Sensuellement ambitieux" revient à retirer au langage toute sa force, tout son sens. Le tumblr "Je suis journaliste musical" a recensé les abus et éléments de langage répétés par des journalistes et mélomanes avertis dans leurs critiques, rendant certains passages abscons, dérisoires ou drôles, c'est selon ; comme mis en lumière par Elise Costa dans un article publié sur la plateforme Le Plus, gérée par le Nouvel Obs. A ce propos, on trouvait il y a quelques années les mêmes et éculés débats sur "sommes-nous tous journalistes ?", à l'heure ou des citoyens rapportaient des photos de tsunamis en Asie. Le Plus est lui aussi un symptôme éloquent de ce phénomène.
Ce ne sont pas seulement les artistes et les œuvres qu'on atteint ainsi, mais bel et bien le vocabulaire. Le débat est éculé, mais résumer le dernier film de Dolan ou le Carrax à l'expression "Sensuellement ambitieux" revient à retirer au langage toute sa force, tout son sens. Le tumblr "Je suis journaliste musical" a recensé les abus et éléments de langage répétés par des journalistes et mélomanes avertis dans leurs critiques, rendant certains passages abscons, dérisoires ou drôles, c'est selon ; comme mis en lumière par Elise Costa dans un article publié sur la plateforme Le Plus, gérée par le Nouvel Obs. A ce propos, on trouvait il y a quelques années les mêmes et éculés débats sur "sommes-nous tous journalistes ?", à l'heure ou des citoyens rapportaient des photos de tsunamis en Asie. Le Plus est lui aussi un symptôme éloquent de ce phénomène.
Démocratisation ou nivellement par le bas ? L'expérience menée par le Guardian et d'autres ne fera pas avancer le débat d'un iota. En revanche, il est bien aisé de résumer ce tumblr en un terme bien senti et vindicatif : #fail.
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