mardi 17 juin 2014

Lana Del Rey - Ultraviolence (2014)




Chaque acte médiocre contribue à la médiocrité de ce monde. Et au bout d'un moment, forcément, ça finit par se voir.

En 2014, tout a été écrit sur notre époque, ses aléas et ses joies. Société surveillée, population hyper-connectée, palpitations désamorcées et j'en passe. Vivement le futur. Mais une chose à laquelle personne ne semble plus croire sérieusement, c'est la résurrection. Et c'est bien sous ce prisme crypto-biblique qu'il faut élucider une bonne fois pour toute l'affaire Del Rey.


Née Elizabeth Grant, cette Américaine de 27 ans (!) n'a plus que quelques jours pour mourir. Elle semble entamer sa septième vie mais il ne lui reste que quatre petits dodos avant de pouvoir faire partie du triste club des 27, entourées d'icônes de la pop musique qu'elle doit connaître grâce à un brief de son attaché de presse. Et Lana a bien retenu la leçon. L' (ab)batage médiatique autour de son deuxième album sous ce nom, après le très inégal Born to Die - déjà, le parfum mortel piquait le nez - n'a tourné autour que de deux éléments :


- Dan Auerbach (The Black Keys) à la production

rien de mieux que cette poudre aux yeux pour faire croire à une révolution dans le style de la pin-up désabusée. C'est raté, puisque - le Turn Blue (sorti il y a quelques semaines) des Black Keys le prouve parfaitement - Auerbach n'est plus que l'ombre de lui-même et a perdu tout espoir de figurer dans les livres d'histoire, après un saisissant El Camino (2011). Cette collaboration, que LDR décrit comme une "alchimie", un "coup de coeur quasi physique", a dû enfanter de bébés congelés mais certainement pas de tubes ensoleillés. 

- un panégyrique de la mort absolu :

"Mon album est si sombre qu'il en est presque inaudible."
"Je ne peux pas m'évader de ma vie, qui a été assez tumultueuse. Je demeure rongée par le doute, par la tristesse. Je n'aime que le flou, le vide, devant moi."

Cette banalisation du mal ferait pâlir Hannah Arendt et fait passer Heidegger pour un parolier à midinettes. Mais là où Lana Del Rey, dont la sincérité du propos n'est pas remis en cause, franchit la frontière, c'est dans la normalisation du mal-être, l'apologie de la tristesse et la bénédiction de la dépression. C'est l'une des rares, avec dernièrement Amy Winehouse - on connaît la suite - qui a usé de ces arguments-là pour en faire un argument  promo en béton. Et ça marche. Des millions de personnes se reconnaissent dans l'expression de ce désarroi. Les journalistes ont des titres rêvés pour faire vendre. Mais ces millions de gens souffrent de l'intérieur, ne sont pas multimillionnaires et ne font pas le tour du monde à la rencontre de leurs fanas. Saleté de Del Rey, maligne comme tu es, tu es née pour rester en vie. Et en baver. 


Musicalement, la cohérence avec ce qui précède est absolue. Minauderies psalmodiées, lignes de basse aussi langoureuses qu'un feuilleton des années 1970 toujours à l'antenne, rythmiques apathiques et chiantes à mourir. Cahin caha, on comptabilise pas moins de 33 occurrences du mot "love" rien que sur les sept premiers titres de cette ultra-violente description. Quant à "death", une fois, peut-être deux. La vie dure. En réalité, la diva n'est pas malheureuse et n'a pas encore envie de s'ouvrir les veines. C'est simplement qu'elle envisage l'engagement amoureux sous la prisme de la mort et de la soumission. Lana Del Rey aime son "baby" et serait prête à tout pour lui. Mais elle est triste qu'il ne l'aime plus donc -> S.A.D.N.E.S.S. Cry m4re baby <4.



Comment ne pas se reconnaître là-dedans, tellement la mise en abyme est facile autant que vulgaire ? Pourquoi l'en blâmer ? C'est une stratégie marketing comme une autre. Et ce n'est RIEN d'autre. Si l'artiste souffrait autant, elle se serait tue, car si le désespoir peut être la cause ou la conséquence d'un élan créatif, il n'est en aucun cas son moteur. On ne crée rien de bon ou de singulier lorsqu'on est triste, que cela se sache une bonne fois pour toute. 

Musicalement, Ultraviolence baigne également dans ce climat léthargique et vide de sens que ses propos. Les 14 titres semblent n'en former qu'un seul, tant l'audace, les variations et les prises de risques restent aux abonnés absents. Dommage, car son inaugual Born to Die comportait des allégresses - Off To The Races et son r'n'bisme pour les nuls mais pas raté, Born To Die et sa volupté échancrée et Video Games, grande chanson qui fera date. Del Rey est spectatrice de cette violence qui s'empare de tous les pans de la société et du corps, aucunement une victime. Il n'y a pas de hiérarchies dans la dépression, mais il ne faut pas confondre être abandonnée par son petit copain et voir son amoureux mourir devant soi. Le choc, le traumatisme et surtout le manque ressentis n'ont absolument rien de comparable. Après, tout est une question de force de caractère.

Et à ce niveau-là, Madame Grant la joue petits bras. Désastreuse sur scène, vexée par une taquinerie lors de son passage au Grand Journal, elle n'est pourtant pas avare en confidences en interview. Elle voue une grande admiration à Nina Simone - dont elle reprend l'un des titres ici -, sait bien s'entourer - Woodkid mais surtout Lou Reed, décédé trop tôt pour participer à l'opus et décédé trop tôt tout court... - et s'est mis dans la poche quasiment tous les journalistes du monde (de Pitchfork à JD Beauvallet en passant par Metro ou Magic). Il faut dire que, tétanisée à l'idée de la froisser - comme si c'était une poupée en plastique -, les interviews à son égard naviguent entre le complaisant et le tout à fait béatifiant. A quel moment Lana Del Rey a pu se sentir en danger dans cet entretien sidérant de complaisance et de logorrhée en sucre ? Même le New York Times y est allé de son portrait laudateur. On est à des années-lumière des critiques assassines dont elle était l'objet à la sortie de son premier album et qui étaient, il me semble, beaucoup moins justifiées. 

Notons que l'écrasante majorité des articles concernant la "belle-diva-aux-lèvres-refaites-ou-pas-qu'on-croirait-tout-droit-sortie-d'un-film-de-David-Lynch" (pitié, David, pitié) fait d'abord allusion à ses atouts physiques. Ensuite vient l'artistique (dans les médias les plus sérieux). Et pourtant, son propos est loin, très loin d'être inintéressant mais on est en 2014 et il faut vendre et faire rêver, pas questionner ni songer. Et Del Rey le sait mieux que quiconque. Au vu de sa gueule sur la pochette européenne de l'album, ça n'a pas l'air de la réjouir.



Ultraviolence comporte tout de même ses beaux moments : West Coast est un single imparable et foutrement efficace (oui, là on entend une nouvelle femme, on parcourt d'autres sentiers mais on retombe dans le fossé dès le morceau suivant), la sobriété d'un Old Money prend aux tripes et la reprise de Simone, The Other Woman, n'a pas à rougir de la comparaison. On s'arrêtera là. Le bilan reste anorexique sur 14 titres annoncés en grand pompe comme une métamorphose : Cruel World, Ultraviolence et Brookyn Baby font ressurgir des pulsions génocidaires. N'oublions jamais que l'irrésistible Pikachu évolue en un Raichu, quelconque et surfait. Et le prometteur bien que prématuré Born To Die a laissé place à un monstre ostentatoire et détestable. Ultraviolence n'a jamais aussi bien porté son nom, et ce n'est pas seulement le titre du dernier album ; Lana Del Rey est bien plus maligne qu'elle ne veut le laisser croire. C'est aussi et surtout une implacable et terrifiante description de l'état d'un monde, dont on a oublié la pluralité et les beautés infinies, dont Lana fait malgré tout partie.

0.1 / 10 


N.B. : Croyez-moi ou non, cet article n'est pas là pour régler des comptes ou pour aller à contre-courant de la pensée dominante qui nous annihile (sic). Mais un tel unaninisme, qu'il soit artistique ou politique, me semble assez navrant voir même dangereux. Je préfère encore avoir raison tout seul que tort avec tout le monde. Mais qu'importe. 



2 commentaires:

  1. Je viens d'acheter l'album ULTRAVIOLENCE .
    Et moi j'adore .
    Je m'en fous de qui elle est , ou pour qui elle essaye de se faire passer .
    J'ecoute la musique , le son , sa voix et c'est tout ce qui m'interesse .

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  2. What a fukin' wanker, this shit's psychedelic bliss that perfectly captures the human condition and you fukin' know it you pretentious frog

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