mercredi 20 juin 2012

Sigur Rós - Valtari (2012)



"Je n'arrive vraiment pas me rappeler pourquoi on a commencé cet album, je ne sais plus ce que nous essayions de refaire. Je sais que, session après session, on partait en vrille, perdant toute concentration et nous avons failli abandonner, mais ensuite quelque chose s'est passé et a émergé". Ces mots signés Georg lm, bassiste du groupe, font froid dans le dos. Penser que nos Islandais préférés aient pu connaître le doute et l'égarement, c'est en soi une bonne nouvelle. De là à envisager l'abandon, c'est plus préoccupant. On avait quitté Jónsi et les siens sur un superbe et anxiogène DVD live, INNI (2011). L'oeuvre de Vincent Morrisset révélait un groupe conquérant, au sommet de sa puissance. Trois ans plus tôt, Sigur Rós nous la jouait gai luron naturiste, à l'image du surprenant single Gobbledigook. Une épopée moins clivante, plus lisible. On était loin de l'hyper-intimité dévoilée sur (  ) (2002). Un tournant ? Une trahison ? Non. Les Islandais ont depuis longtemps perdu leur statut de formation  confidentielle qu'on aime garder pour soi. Vient alors le vertige qui se présente, sans crier gare. Continuer dans la voie facile privilégiée depuis Takk... (2005) ou renouer avec l'ostracisme des débuts ? Valtari (¨rouleau compresseur¨ en islandais) ne tranche jamais. 

Le choc a peut-être eu lieu au mois d'octobre 2011, lorsque Jónsi et Georg s'accordent un moment de répit dans la rue Laugavegur, à Reykjavik. Les deux amis s'échangent quelques mots avant qu'une horde de touristes vienne les aborder. Leur regard complice en dit long : ¨Qu'avons-nous fait pour susciter un tel engouement, au point de ne plus être tranquille dans notre propre ville ?¨ C'est sûrement à ce moment-là qu'ils ont su que la meilleure voie à suivre serait celle du libre-arbitre exempte de toute contrainte. Les gens suivront, ou non. Valtari est un immense pied de nez à tout ceux qui attendait le groupe au tournant. Inclassable, le disque détonne d'abord par cette sensation d'extrême liberté. De longues plages méditatives (huit morceaux oscillant entre cinq et huit minutes), des silences éternels, de la lenteur atmosphérique. Du Sigur Rós comme jamais. Produit par Jónsi et son acolyte Alex, Valtari est moins froid, moins explosif qu'Ágaetis Byrjun (2000). Il n'atteint pas non plus les sommets stratosphériques de ce dernier. Mais qu'importe, plus rien n'est à prouver. Ég Anda démarre par des choeurs christiques avant de laisser place à une escapade onirique rythmée de ¨Youhouuuu¨ si souvent moqués par les détracteurs. L'auditeur se laisse porter, tout simplement. Majestueuse et élancée, Rembihnútur évoque certaines compositions passées d'un groupe en pleine maîtrise. 

Rien ne surprend vraiment. Valtari ne révolutionnera pas le monde. Mais l'album est celui de la cohésion retrouvée, celui qui ressemble le plus à ce que ces gars-là pouvaient et voulaient faire. Varðeldur, d'une douceur exquise, aurait méritée une montée en puissance à la Saeglópur pour marquer l'âme au fer rouge. Dans l'ensemble, on peine à retrouver ces fulgurances qu'on chérissait tant et nous bousculait jusqu'à la folie. L'absence quasi totale de la batterie d'Orri est d'ailleurs regrettable. La production reste pour autant d'une cohérence salutaire, gardée précieusement dans un écrin inimitable. Dauðalogn bouleverse et prouve si besoin en est que Sigur Rós sait émerveiller comme peu y parviennent. Le plus grand reste à venir. Derrière le paysage de fjörds de glace apparaît l'immense Ekki Múkk, à l'introduction cristalline étonnante, d'une magnificence remarquable. Les accords de piano qui deux minutes durant viennent clore le morceau incarnent la discrète flamboyance tant espérée. Et ce qui suit n'est que plus beau. Varúð l'incandescente et ses cordes nimbées de lyrisme, la voix de Jónsi tantôt grave tantôt angélique, et surtout cette batterie (enfin !) qui hisse le morceau vers l'absolu, le magique. Varúð est un chef d'oeuvre. Ce titre a lui seul suffirait à qualifier Valtari de grande réussite. Car, sans être à son sommet, Sigur Rós plane toujours au-dessus des astres. Ce n'est pas une question de distance mais de visée. 

Viser toujours plus haut, pourvu qu'il y ait de la grâce. 

9/10

(Parlophone/EMI)




mercredi 13 juin 2012

Jon Porras - Black Mesa (2012)


Il eût été bien simple et paresseux de cloisonner la musique de Jon Porras sous le label post-rock atmosphérique. Terminologie ô combien galvaudée et vide de sens, qui fait abstraction du visuel que nous donne à contempler l'artiste, dans sa quête insatiable de beauté mélancolique. Car Black Mesa se pose en bande-son d'un film fait de séquences floues et sombres, qu'on aperçoit d'ailleurs, pilotées par Paul Clipson lors des odyssées live de Porras. Il s'avère plus épineux de poser des images sur une bande-son que l'inverse. Car une image amène forcément un son, souvent silencieux d'ailleurs. Mais la musique proposée ici n'offre aucune apparence visible et lucide. Après un premier LP , Undercurrent (2011), distribué à 500 exemplaires, la moitié du groupe Barn Owl poursuit ici son chemin vers des lieux pas sûrs, intrigants donc tentants. Black Mesa symbolise un pont entre deux mondes distincts que tout sépare. 

Sans doute inspiré par Sandy Bull et Neil Young, Jon Porras, dans son style orné de guitares lunaires et flamboyantes, rappelle indubitablement les Canadiens de Godspeed You ! Black Emperor. Sauf que dans les longues plages sismiques de ces derniers, Jon Porras s'arrête aux prémisses, aux cinq minutes introductives et ne s'attaque pas à l'apocalypse. Moins par manque de courage que la volonté de laisser à l'auditeur contemplant le marasme le libre choix de sa destinée. Gaîté intense. Black Mesa demeure indéchiffrable et mystérieux, et délivre cette ambiance poreuse, tour à tour inquiétante et crépusculaire. Les sept morceaux s'écoutent d'une traite, comme un film ou un livre bien écrit. Très structurés, ils débutent par un solo de guitare avant de laisser le rythme se cristalliser et prendre de l'altitude. Mais à aucun moment l'explosion du cratère illustrée sur la pochette d'album n'apparaît. Jon Porras nous laisse alors isolés, désoeuvrés, dans un désert obscur et poreux où seul l'épais brouillard qui nous fait face semble tiré d'affaire.

7.5/10



(Thrill Jockey/Differ-Ant)

samedi 9 juin 2012

Blackout Babies - The Good Things In Life Of Bad Bob (2012)




Elles se sont rencontrées en 2004, sur la scène d'un théâtre de Copenhague. A 16 et 17 ans à peine, Nana Norgaard et Linn Lavinsky se trouvent des atomes crochs dans le théâtre et la musique. "Ulykke !", s'écrie-t-on dans un élan de philanthropie soudaine. Le danois n'est certes pas notre première langue mais oui, ¨Malheur !¨ que ces deux charmantes bouts de femme ne se soit pas cantonnées à l'art scénique plutôt que de s'essayer au carnage en musique. Car dans le genre ¨Je suis tellement glam branchouille et je vais te le prouver avec ma guitare et ma voix suave¨, elles remportent haut la main tous les prix d'interprétation. Marc Collin, producteur du groupe Nouvelle Vague dont elles ont assuré la première partie en 2008, n'a pas su tirer profit du talent des deux danoises. Car le talent, elles l'ont, mais l'utilisent à très mauvais escient. Les onze titres de ce premier LP, qui fait suite à leur EP The Bad Habits of Burned Out BOB (2011), s'enfilent comme des perles en plastique qui grattent un peu trop la poitrine. Nana et Linn multiplient les clins d'oeil à un glam rock certes suave mais tout sauf sincère. La pop des eighties dans tous ses travers. On danse d'un pied sur un rythme discoïde, et dandine l'autre sur une mesure faussement rock. Au final, il vaut mieux laisser tomber. L'entêtante Verte de Jalousie G, en bon single imparable, ne dépasse pas le titre de bande-son parfaite  d'une pub de crème anti-rides pour adolescentes dans le coup  ou du nouveau spot de Free Mobile. Plutôt que de s'atteler à un registre pas novateur mais somme toute efficace, les deux Danoises se vautrent dans une tentative rap-grunge (And They Went To The Bar) ou dans un marasme glam-punk psychédélique (Meat Market) hautement improbables. Il y a tout de même un heureux dans l'histoire : si d'aventure un réalisateur souhaite se lancer dans un biopic sur la bombastique Alison Mosshart, il trouvera en Nana et Linn deux ersatz de la talentueuse VV plus superficiels et vrais que nature. 

3/10

(Kwaidan Records/Differ-ant)