lundi 30 mai 2011

Half Asleep - Subtitles for the Silent Versions (2011)



Si Valérie Leclercq ne portait pas un patronyme aussi bien de chez nous, on aurait pu la croire venue du Nord européen. Six ans déjà qu'on attendait le nouvel effort de la chanteuse belge. L’acclamé (We Are Now) Seated In Profile (1995) offrait des compositions d'une beauté glaçante, servies par une voix de charbon à la Matt Elliott. Ici, les chœurs omnipotents donnent de l'épaisseur à des morceaux taillés comme du bois d'ébène. Un entremêlement de voix sobre et astucieux sur l'inaugural How Quiet!. Prometteur. Lorsque Half Asleep emprunte des chemins moins rebattus (Mars), virevoltent des démons nourris d'un piano apeuré. Même tableau sur The Grass Divides As With A Comb, au dessein bien différent : les sciantes cordes allument un clavier électronique porté par de chimériques vocalises. Dommage que Valérie Leclercq ne se plonge pas davantage dans des limbes plus sinueuses, moins noirâtres. Car c'est là le point faible du disque : à trop faire briller son côté sombre, elle se perd dans une odyssée sans lumière. Bancale, comme ce piano trop appuyé sur l'inutile Ceres Pluto Eris. L'album manque d'altruisme : on croit assister à une thérapie qui nous laisse complètement sur la touche tant jamais on ne se trouve intégré dans cette démarche. Le précédent disque alternait entre le rouge et le noir ; celui-ci ne goûte qu'à l'obscur. Difficile donc de s'orienter dans une voie aussi peu éclairante. Cet album automnal ramasse froidement les feuilles mortes d'un platane, sans s'émouvoir devant leurs incandescentes couleurs.

3.5/10


dimanche 22 mai 2011

The Antlers - Burst Apart (2011)






Au crépuscule du précédent millénaire, surgissait de l'odyssée un fœtus fêlé, présent sur la pochette d'Ágætis Byrjun (1999). Le voyage était beau. Dix ans plus tard, The Antlers a décidé de faire un cadeau à ses copains de Sigur Rós : composer un album, quasi tout pareil. La belle affaire. Le trio emmené par Peter Silberman s'impose pourtant comme un groupe prometteur. Leur sens de la mélodie, leur habilité à créer des nuages sonores et leur fièvre mélancolique imposent le respect. Hospice (2009) nous soignait de tous les vices, détournant le regard loin, très loin du carcan quotidien. La claque valait la douleur. Avec ce disque, on tend gaiment l'autre joue. Les fondamentaux demeurent : lignes aériennes, voix haute perchée, arrangements impeccables, tout y est. Parentheses embrasse le groove de Radiohead et les éclats bordéliques d'Okkervil River. Quand vient alors No Widows, laissant l'auditeur veuf de tout ressentiment. Somptueux. 

Mais là où les Brooklyniens pêchent un peu, c'est une fois encore par la comparaison avec Sigur Rós, flagrante sur Tiptoe ou Hounds. L'introduction de Rolled Together sonne exactement commeSvefn-G- Englar des Islandais, à laquelle s'ajoute une voix féminine franchement dispensable. French Exit et Every Night My Teeth Are Falling out dissipent pourtant ces doutes et montre que ce troisième effort, plus lumineux et terrestre que Hospice, ne fait pas du surplace. Quand on décide d'explorer l'univers, c'est préférable. Jamais pompeux, The Antlers pourrait sciemment faire entendre la musique à un malentendant. Il lui ferait comprendre que celle qu'on entend vraiment, c'est celle qui résonne et détonne, au-delà.



7.5/10



vendredi 20 mai 2011

Barbara Panther - s/t (2011)


Être originaire du Rwanda, grandir à Bruxelles puis vivre à Berlin, ça vous forge une culture. Barbara Panther est, comme qui dirait, une femme du monde. Sauvage, curieuse, touche-à-tout. Des caractéristiques qui, sans même lire sa biographie, irriguent sa musique. Après un premier EP, l'artiste longiligne s'épaissit un peu plus avec cet album éponyme, épaulée par Matthew Herbert. Onze titres taillés dans le roc, en anglais, qui, sans déplaire, agacent quelque peu. Car, si la diversité des compositions est à saluer, on ne peut s'empêcher de lever le signal “déjà vu”. La maladroite Rise Up en ouverture laisse craindre le pire. À trop vouloir brasser tous les genres, Barbara Panther s'égare, perdant l'itinéraire qui la guide. La voix dévoile des palettes excitantes, très proche de celle de Karin Dreijer Andersson, alias Fever Ray. Sur Unchained et Voodoo, elle associe une rythmique dansante et beats électroniques. Pertinent. Mais un fantôme plane alors. L'innocence juvénile de Björk, période Debut (1993), hante les compositions de Barbara Panther, qui n'arrive que par des moments épars à s'en détacher. Il n'y a cependant pas de quoi être honteuse à se laisser guider par pareil ectoplasme. Barbara Panther a quand même une sacrée gouaille et une voix délicieuse. Plus convaincante, la fin du disque éparpille ici et là de savantes idées de compositions (Dizzy) qui méritent d'être mieux canalisées. Mais la formule adoptée par l'artiste, entre une électronique futuriste mêlée à des sonorités tribales, a connu des missionnaires plus inspirées.


4.5/10



mercredi 11 mai 2011

Sufjan Stevens @ Olympia, Paris (9/05/2011)


Cinq ans qu'on attendait ça. L'Américain fait partie de ces artistes découverts alors qu'ils passaient près de chez moi quelques jours plus tôt. Les boules. Depuis le majestueux piano de Concerning the UFO... (premier morceau écouté de lui, un soir d'automne), la passion pour Sufjan Stevens n'a fait qu'accroître de jour en jour. L'épreuve du live. Faire face à la folle attente. Ne pas décevoir. Faire en sorte que ce soir là soit CE soir là. Ce lundi 9 mai à l'Olympia de Paris, Sufjan Stevens a fait bien plus que ça. Il était libre.  




20h05. Attente sous un soleil généreux, devant l'Olympia. Un passant, la cinquantaine mal gérée : "Eh mais c'est Cat Stevens en concert là ?". Non, pas vraiment. L'artiste s'auto-nomme "Serge Stevens". Traduire : Sufjan Stevens n'est pas près d'avoir la notoriété d'un dieu de la pop. A écouter son dernier coup de folie, The Age of Adz, on comprend pourquoi. Et on s'en contente bien.

C'est DM Stith qui est chargé de faire monter la température de la salle. L'interprète, du même label que Sufjan (Astmatic Kitty), s'en sort pas trop mal, avec des compositions pop folk plaisantes bien que dispensables. Il se révèlera bien plus probant en tant que membre de l'orchestre de Stevens.

Stevens, justement. Son show ne fait que peu de mystère, tant les vidéos de ses prestations ont afflué sur les internets. Mais que ça se sache une bonne fois pour toute : les meilleurs bootlegs et autres "j'ai-filmé-30sec-du-concert-avec-mon-iPhone-pourri" ne remplaceront jamais l'expérience réelle. C'est d'autant plus vrai pour ce concert, qui s'est avéré - balayons les suspenses éreintants - merveilleux de bout en bout. 

Folie kitsch. Paré d'un grand ochestre et d'un drap blanc en guise de rideau, Sufjan démarre en déployant ses ailes sur Seven Swans. Quel plus bel envol sinon que débuter sur ce titre fluvial, éclairant et génial ? A ceux qui s'attendent à des versions copiées collées de ses titres en studio, les musiciens répondent par une léthargie de cuivres et une batterie électrisante. Frissons. Vient ensuite la schizophrène Too Much qui porte si bien son nom. Chorégraphie barrée, Sufjan, vêtu d'une combinaison fluorescente toute droit sortie d'un remake nanar de Star Wars, atteint déjà les étoiles. La maîtrise est stupéfiante. L'effet hallucinatoire du morceau aussi. Tout semble si parfait, si cadré. Ce serait pas un peu too much ?

Pas le moins du monde. Le gimmick du concert est : je danse aussi bien que Lady Gaga, je porte une tenue affreusement kitsch, j'en fais des tonnes, malgré tout je détonne. Le génie de Stevens tient dans son incroyable habileté à alterner l'extravagant, le subtil et l'époustouflant. Preuve en est sur l'inénarrable Age of Adz, où les instruments se marient à merveille, où la voix est plus suave et puissante que jamais. Les fauves sont lâchés. Vers la moitié du morceau, un moment de pure hérésie surgit de nulle part. Sur le chant appliqué de Stevens, le trombone vrombissant délivre un son tout bonnement ahurissant, irréel, dévastateur (à 3'58 sur la version studio). Et là, on comprend pourquoi le show sera inoubliable : tel un magicien musical, Stevens assure le leadership d'un orchestre juste, maîtrisé et enjoué. Tout en tirant la corde de ce superbe spectacle. Sur le fil.

All for ourselves. Il n'y a pas de temps mort. Pas un seul. Même les nombreuses envolées lyriques du maître ("Pourquoi j'ai peur du vide ?", "Comment je suis devenu génial après être passé au bord de la folie", "Saviez-vous que Robertson m'a influencé ?") ne permettront pas de perdre le fil. Enchanting Ghost, de l'EP All Delighted People, est une pause adéquate après ce début de set monstrueux. Une pause, mais quelle putain de pause. La voix plus vulnérable que jamais, Sufjan nous sert des accords de guitare comme autant de perles noires déversées sur le corps. Le ton est grave, solennel, mais la fête n'est pas finie. Mêmes sonorités complaintives sur Now That I'm Older, au piano cette fois-ci. Sufjan en profite pour se confier : "A 15 ans j'avais l'impression d'en avoir 80, maintenant j'ai juste envie d'être un gosse". L'innocence, le regard meurtri sur l'existence, la maturité, Stevens est au-delà des âges. Son album, kaléidoscope renversant d'un monde en auto-destruction, le prouve. 

Le musicien fait la part belle à cet album. Il n'ignore pas que ceux qui l'ont porté aux nues ou démonté en flèche l'ont fait à partir de The Age of Adz. Fini l'unanimisme de Illinois, Sufjan Stevens sait que les concessions sont des obstacles à l'accomplissement de soi. Vesuvius. Le nom suggère une montagne inaccessible, aux couleurs bleuâtres, vers les hauteurs slaves. Ce morceau est en réalité une salve de magie, une perfection pop absolue. Un savant mélange de doucereuses chimères et envolées amères. Le lecteur peut être ennuyé par tant de dithyrambe de ma part, mais c'est ainsi. 

En totale possession de ses moyens, le monsieur ne faiblit guère. Où puise-t-il cette énergie ? Ces octaves de diamant ? Cette folie au firmament ? Du public, certainement. Mais aussi et surtout de l'insolente confiance en lui dont il dispose. Car on ne devient pas un génie en jouant pour soi. L'incroyable loquacité du bonhomme a de quoi surprendre quand on sait qu'il se prétend timide et réservé. Les hommes changent. Passé près de la mort, il sait plus que quiconque que c'est lorsqu'on lui fait face qu'on réalise à quel point la vie est. 

Just like him. Sufjan l'enragé le clame : "I want to be well". Le morceau démarre calmement, rythmé par une cadence arythmique et des choeurs d'arpège peu évidents. Mais là, là, au moment où il chante le credo, on sait dès lors qu'on ne le retrouvera plus. D'une vulnérabilité stupéfiante, Sufjan est admirablement humain, dans tout ce que cette notion a de sain et de monstrueux à la fois. "I Want to be Well / Well I Want to be" : voilà le sens caché de titre. Montée en puissance furieusement bien sentie, le final est une apocalypse visuelle et sonore prodigieuse.  I'm not fucking around. Nous non plus. Nous sommes à présent sur la stratosphère. 

Et que dire du morceau qui viendra clôturer ce set avant le rappel ? Impossible Soul, le titre dont s'inspire ce blog ? A quoi le spectateur assiste-t-il si ce n'est à un panégyrique de l'existence chantée, fêtée et délurée, rappelant les descriptions rousseauistes où l'homme n'est que nature et volupté ? Pendant plus de 30 minutes non stop, Sufjan Stevens proclame une terre où les vicissitudes règnent. Il n'y a rien à dire, si ce n'est que les sourires et les regards illuminés des spectateurs montrent à quel point il n'y a qu'une démonstration à un tel spectacle tonitruant : l'alchimie entre le corps et l'âme. En bon Merleau-Pontyen, Stevens théorise l'unicité du corps et de l'âme comme une seule entité, qui mènera "God-knows-where". L'incommensurable cérébralité de sa musique et l'addictif magnétisme de ses chansons en font un génie intouchable. Ode à l'esprit dansé, Sufjan est saoulé par ses pensées les plus folles et meurtrières.

La fin approche. En guise de rappel, Concerning the UFO... vient rappeler si besoin en est que Illinois est un chef d'oeuvre comme on en trouve peu. L'hypertouchante John Wayne Gacy Jr, qui relate les ineffables attouchements d'un pédophile sur ses victimes, touche et met l'auditeur littéralement à terre. Alors que le chanteur décrit sobrement les ignominies commises par Gacy, il sort un "And in my best behavior / I am really just like him" qui a de quoi faire cogiter pour le restant de nos jours. Extatique et surexcité, le show se termine sur la toujours appréciable Chicago, figurant au générique de Little Miss Sunshine. Un doux atterrissage vers la réalité, le monde des objets, des rêves finis. Apothéose baby.

Véritable moment orgiaque, ce concert de Sufjan Stevens tient du sacré. Phénoménal de bout en bout, l'artiste, généreux, humain et drôle, a délivré une implacable prestation de son invraisemblable puissance artistique. On souhaite à Sufjan Stevens de ne jamais connaître les feux de la gloire car il s'y brûlerait les ailes. Un tel garçon ne brille qu'au milieu des archanges, faisant fi des saugrenus démons terrestres.

11/10


Et dire que je le revois dans deux semaines…