mardi 30 octobre 2012

Tom, Mcrae blanche

En six albums, Tom McRae a fait du chemin. Bien plus enclin à se placer au bord de la route plutôt que sous les feux des phares fluorescents, le séduisant Anglais fait raviver le souvenir d’Elliott Smith de façon modeste et mystique. Portait d’un talent (trop) bien caché.




Soyons honnêtes : la tentation était trop grande pour ne pas y succomber. Consacrer cette dernière page à un génie de la pop, méconnu dans nos contrées, mélancolique à souhait. Au regard pénétrant. Oui, James Blunt était à deux doigts de choper la graal et se retrouver béatifié dans ces lignes. C’est finalement un autre Britannique que nous avons choisi de consacrer. Allez savoir pourquoi ! Mais quand même, James, on ne t’en veut pas, et nous savons pertinemment à quel point Tom et toi, vous êtes un peu les meilleurs amis de la galaxie. Parce que bon, tu as beau vendre des millions de disques de plus que lui, mais pour oser chiper toutes les idées de composition d’un autre artiste, il faut d’une part avoir partagé plus qu’une brioche au chocolat lors du goûter et, d’autre part, ne pas craindre d’être taxé de bel usurpateur. Pour rester dans la politesse so british

Divin talent pasteurisé

De nos jours, distiller des nappes de cordes et prendre une voix chevrotante en appuyant comme un forcené sur des touches de piano, suffit à trouver une source de gémellité entre deux musiciens. Rappelons juste que McRae a sorti son premier album en 2000, Blunt quatre ans plus tard. L’anachronisme s’arrête là. Car, à la différence de ses nombreux ersatz qui ont voulu le pasticher dans les années 2000, le musicien peut se targuer d’une discographie, non sans défauts, mais cohérente, belle et constitutive. Son sublime sixième album, From the Lowlands, à paraître, reste dans la continuité de ces précédents opus. En fait, McRae est un charpentier, qui, au fil du temps et des productions, érige discrètement son propre édifice sonore. Là où Blunt empile les briques en prenant bien soin de bâtir sa toiture plus bas que terre. Question de perspective.

Le bougre, 43 ans, en paraît dix de moins. C’est cette illusion de ne pas forcer, de toucher ses morceaux que du bout des doigts, qui donne à ses œuvres une force insoupçonnée, quasi tentaculaire. Fils de pasteurs, McRae s’est dès son plus jeune âge essayé à la guitare de maman pour tenter d’approcher ses idoles, Bob Dylan et Paul Simon en tête. Diplômé de sciences politiques très jeune, il n’attend guère plus pour former son premier groupe : The Ministers of Orgasm. L’Anglais, sobre et raffiné, ne manque donc pas d’humour. Non sans ironie, la biographie de son compte Twitter (@tommcrae) ne dit pas plus que ceci : « Une fois, j’ai eu une chanson dans Buffy et les vampires. Le reste n’a pas de sens ». Sao Paolo Rain, pour être précis. Mais pas que : les séries Skins ou Six Feet Under ont également consacré McRae dans leur générique. Intimement cinématographique, sa musique s’est maintes fois invitée comme bande son de films.

D'une rivière émerge la lueur

Tout a l’air lisse chez le prodige. Tout semble couler comme une rivière aux multiples deltas : « Je suis très attiré par l'eau. Lorsque je cherche l'inspiration, je vais marcher au bord de la rivière ou au bord de la mer. C'est une très bonne manière d'emmagasiner de l'énergie et de se reconnecter avec soi-même. C'est apaisant de penser que quoiqu'il arrive, les rivières continuent de couler », confie-t-il au webzine Sound of Violence en février 2010. De là découlent des titres à l’appellation fluviale, logiquement (Told My Troubles To The River ou Fifteen Miles Down River). Pourtant, l’Anglais exilé aux États-Unis a maintes fois dû changer de label : « La plupart des labels ne s’intéressent pas vraiment à la musique, ils la publient juste. Je suis comme un footballeur, je vais de club en club pour chercher le meilleur. Si l'industrie disparaît, et bien je prendrais ma voiture et j'irais jouer chez les gens. Et lorsque je ne pourrais plus conduire, j'inviterais le gens à venir chez moi. Je continuerais coûte que coûte »Jeremy Thomas McRae Blackall, de son vrai nom, a le sens de la formule et de l’aphorisme bien senti. Rien d’étonnant dès lors que le journal britannique The Observer le charge d’écrire un article sur le Niger, en 2005. De ce séjour en Afrique, il en revient avec un article phénoménal sur la famine, intitulé : « Ce n’est pas seulement une énième volonté de Dieu – C’est la pauvreté enraciné. Poignant. Alors qu’importe si l’artiste a connu quelques balbutiements dans sa discographie et lorgne à de rares reprises vers la sensiblerie. Tom Mcrae sait toucher comme peu y parviennent. Élégiaque et onirique, la route semble toute tracée pour lui : un sentier continu ou nature et grâce ne font plus qu’une. Tom, prends Mcrae blanche et dessine-nous un songe à écumer


mardi 2 octobre 2012

Sufjan is back !

Happy Holidays! On November 13, 2012, Asthmatic Kitty will release (another!) Christmas box-set extravaganza by Sufjan StevensSilver & Gold: Songs for Christmas, Vols. 6-10, a compilation of 5 EPs recorded between 2006 and 2010.

Expanding on the tradition of the first box-set (Songs for Christmas, Vols. 1-5 from 2006), Silver & Gold is a generous document of five more years of holly-jolly jubilee undertaken by Sufjan and his various musical cohorts. Originally intended as gifts for family and friends, these musical snapshots have been re-mixed and re-assembled in an exquisitely-designed gift box containing all the Yuletide pleasures money can buy: Christmas stickers, temporary tattoos, lyric sheets and chord charts, a paper ornament, an apocalyptic pull-out poster, photos, illustrations, and extensive liner notes—a veritable Christmas feast for the eyes and ears.

The album features collaborations with a running line-up of friends and musical peers, including Aaron and Bryce Dessner (The National), Richard Reed Parry (Arcade Fire), Cat Martino (Sufjan’s right-hand woman on all things Age of Adz), Sebastian Krueger (Inlets), Gabriel Kahane, Vesper Stamper, and members of Danielson (Daniel, Elin, Lilly, and Ida). Sufjan’s indelible aesthetic maintains the album’s center of gravity, resulting in an abundant compilation (nearly 60 tracks) that investigates the canon of devotional hymns and holiday pop songs with reckless abandon (totaling nearly three hours of music).
Silver & Gold will be available in digital download, as a CD box-set, and a vinyl box-set.
The CD and vinyl box-sets will be available through your local record store.
You may also preorder a slightly more expensive but slightly more fun Mail Order Limited Edition Boxset directly from Asthmatic Kitty, which will include  a special set of gifts due to arrive before Christmas 2012 (available only to US/Canada/EU only).

CD Boxset & Digital Available November 13th, 2012.
Vinyl Boxset available some time later this year or early 2013.
Read more information | Visit sufjan.com

CD Contents:
1. Five CD EPs (Gloria, I Am Santa’s Helper, Christmas Infinity Voyage, Let It Snow, Christmas Unicorn)
2. Christmas stickers
3. Temporary tattoos  (non-toxic & safe for children)
4. A paper ornament (self-assembly with directions)
5. An apocalyptic pull-out poster
6. Song lyrics and chord charts (sing along with your friends and enemies)
7. Hallucinogenic photographs and psychedelic graphic design (by Sufjan Stevens, drug-free since 1975)
8. Extensive liner notes (essays by Sufjan Stevens and Pastor Vito Aiuto)
Vinyl Boxset Contents:
1. Five EPs on 6 vinyl discs
2. Christmas stickers
3. Temporary tattoos
4. A paper ornament
5. An apocalyptic pull-out poster
6. A 40-page Christmas songbook with vocal and piano reductions
7. A Christmas coloring book
8. Hallucinogenic photographs and psychedelic graphic design
9. Extensive liner notes
Mail Order Vinyl Boxset Edition Contents:
It’s a surprise!

La nuit lui appartient


Auteur du Radeau (2003) et du Héron de Guernica (2011), l'Isérois Antoine Choplin revient lors de cette rentrée littéraire avec une œuvre mirifique. D’une simplicité touchante et d’une féroce portée existentielle, La nuit tombée relate la catastrophe de Tchernobyl de façon rare, unique. Critique et entretien.


Gouri a pour seul bien matériel sa moto, attelée à une remorque, vide et bringuebalante. Le protagoniste du roman La nuit tombée d'Antoine Choplin n'a qu'une idée en tête : retourner sur les lieux de la catastrophe de Tchernobyl. Retrouver son ancienne demeure ravagée et, surtout, mettre la main sur cette porte. Une porte quelconque, si ce n'est qu'elle renferme des écrits que Gouri et sa fille, défunte après le drame écologique survenu en Ukraine en 1986, se plurent à marquer de leur empreinte. Rien ne l'arrête, pas même un service de sécurité vilipendant et peu indulgent. La quête de Gouri est d'une pureté exceptionnelle : refermer cette porte afin de ressusciter le souvenir de sa fille, d'acquérir ce bien qu'ils ont partagé, il fut un temps. Qui, en 2012, peut raisonnablement se satisfaire d'une porte ? Cet objet quotidien est l'un des seuls que l’on ouvre et ferme avec une attention particulière. À l'instar de ses propres souvenirs. Le souvenir, point névralgique de l’œuvre, prend ici un caractère unique. L’auteur a beau s’appuyer sur un événement plutôt récent, son œuvre a tous les traits d’un classique intemporel : « Je n’emploie jamais le terme de Tchernobyl dans mon récit, car c’est avant tout l’histoire d’un homme qui se bat seul contre tous pour faire revivre sa fille », explique Antoine Choplin. La porte, très connotée symboliquement, représente le lien entre trois générations : le père de Gouri, Gouri lui-même et sa fille. Un objet et une atmosphère fantomatiques, à l’image des lieux comme Pripiat, ou les personnages, aux traits physiques rarement décrits. Sur ces terrains célestes et décharnés, « la terre s’enterre » comme des humains : « Au-delà du déracinement et de l’exil, il s’agit surtout d’enfouissement, avec cette volonté de faire disparaître les choses et les événements. »


Nasdrovia !

L’erreur serait d’envisager La Nuit tombée comme un précis scientifique ou un travail d’historien. Bien moins ambitieux mais tout aussi fondamental, le récit se place au plus près des sentiments, des souvenirs et de l’humain. La nuit ajoute une atmosphère particulière au tout. D’ailleurs, la narration s’inscrit dans un laps de temps très court (une soirée et une journée, tout au plus). Elle ne repose pas sur des cendres froides : l’écrivain s’est rendu sur les lieux à l’automne 2009. Il a pu rencontrer quelques témoins de la catastrophe, toujours très affectés : « Je n’ai pas fait un travail de journaliste ; mon but était surtout de comprendre ces personnes et de partager des instants avec elles, autour d’un verre de vodka ou en chantant. » En toute pudeur et simplicité. L’alcool, qui tient une place prédominante dans le récit, s’inscrit dans un rôle tant cathartique que désinhibant, mais avant tout fédérateur : « C’est un levier d’évasion », tranche Choplin. Profondément humaniste, le livre rappelle parfois les grands récits américains du XXe siècle, dans l’aspect percutant et sans compromis de la narration. On est bien loin des longues descriptions hagiographiques auxquelles les Russes (Dostoïevski, Toltsoï) nous ont habitués, avec passion.


   Se souvenir contre l'oubli

Véritable réflexion sur l’héritage des souvenirs et des biens, sur l’environnement qui nous entoure et sur la mémoire, La Nuit tombée réussit à surpasser l’obstacle périlleux de l’ancrage dans le temps. Choplin aurait pu tout aussi bien narrer la quête d’un homme pour retrouver un parent ou un proche perdu de vue, il aurait été tout aussi convaincant. Sans doute aucun, il est aisé de rapprocher cette sortie littéraire du débat incendiaire à propos du nucléaire. « Ma grande crainte est que les lecteurs puissent penser que j’ai profité de ce débat pour publier mon livre afin de lui donner un certain écho. Ce n’est absolument pas le cas », répond-il, avec honnêteté. « J’ai bien évidemment mon opinion sur ces questions, mais ce n’est ni la visée ni l’objet de mon roman. » Bien sûr que les lecteurs penseront à la catastrophe de Fukushima ou plus récemment et moins dramatique, celle de Fessenheim. Mais point d’opportunisme n’est à déceler ici. Seulement le souci scrupuleux de coller au plus près de ses personnages. Il n’est d’ailleurs guère étonnant qu’Antoine Choplin ait choisi le métier d’écrivain pour son protagoniste Youri. Quel meilleur artiste que le poète pour retranscrire les souvenirs de témoins endoloris par la perte tout en offrant un héritage dont il se fait l’acteur ? Un héritage qu’il se doit de transmettre pour ne pas se laisser berner par l’oubli, l’ignorance et extirper l’infiniment brillant de cette ineffable catastrophe écologique et humaine.

La nuit tombée d'Antoine Chopin, éd. "La fosse aux ours" (2012).