jeudi 30 août 2012

#1 Grandaddy, le concert historique



Un trésor caché depuis plusieurs années offre à ses archéologues musicaux une sensation de plénitude, une fois la pierre sous laquelle il se trouvait, ôtée. Plénitude, c'est bien le sentiment qui prévaut lorsque les Californiens reviennent pour limer leurs outils sur la scène de l'Industrie. Quoique la scène de la Cascade leur serait bien allée, aussi, tant le spectacle offert par nos porteurs de chemises à carreaux préférés ont élevé en nous un monument de sentiments en cascade. Il est fort difficile de parler de ce qui nous touche, alors pour ce qui est de ce qui nous met à terre... Les mots sont superflus. L'attente fut longue. Six ans après leur séparation, la tournée de reformation de Grandaddy touche au culte et à l'inespéré. "Notre Daddy, qui êtes aux cieux..." Le concert ne tient pas de l'événement, il vire en trois minutes pliées à l'historique. Sans concession, son brouillard plus que brouillon, instrumentations féroces souvent parfaites, Jason Lytle et sa troupe sont au sommet de leur art. Il n'y a pas que les fans qui sont là : les vedettes adolescentes qui squattent les premiers rangs de la fosse sont venues pour Foster The People, qui se produira sur la scène deux heures plus tard ! Le contraste est saisissant : ces jeunes gens paraissent comme perdus au départ, mais certaines d'entre elles finissent par admettre l'évidence : Grandaddy s'adresse à tout le monde, à tous ceux pour qui la musique n'est pas qu'une question de passe-temps mais bel et bien une question de vie ou de mort. La musique est indispensable à la vie et rend la mort inévitable et moins cruelle. Now It's On, hymne fulgurant, terrasse la folle foule, archi-compacte et dense.
C'est pourtant simple : les plus belles merveilles de Grandaddy sont ici érigées et portées aux nues. Tubes super calibre. Tubes tuent tout. On pourrait à l'envi décrire chirurgicalement chacun des 14 titres interprétés mais ce serait passer à côté de l'essentiel. Le meilleur moment du show fut celui qui marqua la fin de celui-ci. Car une fois le silence revenu, les chansons des Californiens résonnent encore très fort dans nos têtes. Le sourire béat ne nous lâchera pas, et l'envie de les revoir non plus. Cela s'appelle la grâce. Puisque l'architecture est ce qui reste de l'édifice, une fois la pierre ôtée, disait Plotin... Grandaddy a enlevé lui-même le rocher sous lequel il se cachait depuis tant d'années. Il en a fait une formidable comète qui s'envole très loin, partant à la découverte d'une constellation, d'une nouvelle planète, d'une autre forme de vie. Armstrong a marché sur la Lune, mais Jason Lytle a fait un little pas de plus : il a eu le courage de revenir au lieu de nous laisser orphelins. He's simple, he's dumb, he's the pilot : la messe est dite, le titre tire les larmes et les funérailles pilotées par Grandaddy sont une communion de vie et d'amour pour tout ce qui a trait à ce monde cruel, mais quel beau monde quand même. Ce monde qui est nôtre. 

Rock en Seine : le best of shows (2)




Un environnement généreux, une flopée d'artistes -environ 70 artistes ou groupes - et 110 000 spectateurs en trois jours : Rock en Seine frôle parfois avec la démesure. Bien qu'abordable et facilement accessible en comparaison à certains de ces acolytes européens (coucou Reading !), le festival tire sa force de sa programmation, à la fois mainstream, exploratrice et plus exiguë. Voici les dix (parmi les 24 auxquels j'ai - parfois partiellement - assisté) concerts les plus marquants de cette dixième édition du rendez-vous estival parisien (#5 -> #1)

 
 #5 - dEUS (Belgique)  
La présence du collectif d'Anvers dans la liste des meilleurs concerts de Rock en Seine relève du don du ciel. Toujours considéré comme un groupe tenace mais fluctuant, dEUS a connu le meilleur (le merveilleux album The Ideal Crash, 1999) comme le moins convaincant (les productions récentes). Mais sur scène, il évite le crash idéal en proposant un instant énergique et ciblé. En livrant un set de leurs plus chouettes titres et en paraissant renforcés, vraiment sereins, Tom Barman (membre historique du groupe, depuis 1991) et les siens ont fait valoir leur folle classe et leur sens aiguisé du rock à guitares mélodieux. Concert court mais ô combien efficace, avec comme point d'orgue leur fantastique titre Bad Timing, le groupe apparaît plus sûr de lui, plus confiant que jamais. dEUS n'a peut-être pas écrit sa dernière note. Une énorme claque et un plaisir sismiques, tout simplement. 

 #4 - Black Keys (USA)
Allons droit au but : bien avant le début du festival, le show du duo était TRÈS attendu, voire trop anticipé. Après un passage au Zénith de Paris en début d'année, la paire devait remporter la palme du plus grand concert de Rock en Seine ; cela semblait joué. Sauf que le rock n'aime pas trop se faire dicter ses lettres de noblesse. Ne nous méprenons pas : les Black Keys ont livré une performance de très haute volée. Vraiment. Alignant les tubes, passant avec une aisance monstre du rock de garage au blues délicat, l'heure passée à leurs côtés sur la Grande scène valait son pesant de beurre de cacahuètes. Les titres s'enchaînent à un rythme effréné, Dan Auerbach (guitare, voix) et le batteur Patrick Carney se livrent à fond, le public suit la danse, sans grande difficulté. Ils ont pour eux l'acclamé El Camino (2011), mais bien vite l'on prend conscience que les plus fouillés, les plus ténébreux et les plus rêches sont les morceaux issus de leurs précédents albums. On a tendance à oublier que le duo a fait du chemin avec sept LP en neuf ans de carrière ! Bien sûr que Lonely Boy ou l'exceptionnelle Little Black Submarines font mouche, mais à force de vouloir imposer le tempo, les Black Keys réduisent frénétiquement la durée de leurs titres en live, à tel point que certains dépassent douloureusement les 120 secondes. Résultat : un horrible faux rythme, une folie qui tombe à plat entre chaque chanson : un gênant silence s'abat à chaque fois entre la fin d'un titre et le début d'un autre. En réalité, le groupe abuse d'une mécanique trop bien huilée et oublie de prendre des risques, de surprendre, même si la variété de la setlist (pas El Camino centrée) est salutaire. Au final, le concert s'oublie aussi vite qu'il se termine (une heure dix seulement, très décevant de la part d'une tête d'affiche, là où les sirupeux Green Day disposaient de deux heures de show). Regrettable. Mais la dureté du jugement d'un excellent concert (malgré tout) corrobore l'immense talent d'un groupe passionnant et habité. 


#3 Beach House (USA)
La cinquième sera la bonne. Après 4 concerts de la paire de Baltimore auxquels j'ai assisté par le passé, celui-ci aura raison de moi. Une seule raison à cela : Bloom, leur fantastique album sorti il y a trois mois, dont les titres resplendissent sur scène, auprès des autres, qui brûlaient déjà le cœur. Les quatre albums de Beach House forment un carré d'as imparable qui ne compte quasiment pas de titres faibles. Sur scène, le son nappé, les poses de Victoria Legrand, les envolées chahutées d'Alex Scally... Tout y est. Par rapport à leurs autres prestations, le cadre adéquat (en extérieur et en hauteur, le son pulvérise le soleil couchant) sied bien aux effluves amoureuses qui font palpiter nos sourires et nos cœurs. Le son se fait puissant, parfois agressif, et l'allure des trois compères (Daniel Franz s'ajoute à la batterie) sur scène confinent à la classe absolue. Les albums Teen Dream et Bloom se partagent les titres joués lors de cette heure hors du temps. Alors que le groupe répète à qui veut l'entendre que les deux productions sont diamétralement différentes, mises côté-à-côte, ça le fait grave ! La fin du set vire à la magnificence lunaire, avec la cosmique Wishes, Myth la nostalgique, l'éthérée 10 Mile Stereo et l'uppercutante Irene. A de rares occasions, Legrand pousse un peu fort sur la voix et la batterie se montre trop envahissante. Mais l'alchimie est inaltérable. Car c'est bien de chimie dont ils s'agit : les éléments fusionnent et réagissent pour se transformer et créer un concert à la beauté noire. Victoria, fume tant que tu voudras, ta voix est de plus en plus belle, et ta crinière tellement romanesque. Sans trop d'éclat, le jeu de lumières s'inscrit en harmonie avec le concert, avant d'extérioriser ses sombres appâts sur le final d'Irene. Voilà, grand concert. Marquant même, puisque le meilleur titre du groupe tout albums confondus est également fracassant sur scène. Tel un papillon nocturne éclairant la constellation de l'indie, Lazuli se pose là, tout bas, au sublime fracas. 



#2 Sigur Rós (Islande)
Les inénarrables Islandais n'ont pas simplement fait tourbillonner leur monde, non. Ils ont surpris le monde. En grand fan que je suis, je m'attendais naïvement à un concert vérécondieux, où leur plus récente création, Valtari, aurait la part belle. Il n'en fut rien.
Sigur Rós a privilégié la démonstration de force, le spectacle transi et émotionnellement grandiose. Un seul titre issu de leur dernier-né fut joué et pas des moindres : le chef d’œuvre Varúð. Rien que ce titre aurait suffi à qualifier leur prestation de géniale. Mais Jónsi et les siens ont décidé de frapper un grand coup, en livrant quasiment tous leurs meilleurs titres en live.
I Gaer, Saeglopur, Festival, Hoppipolla, Hafsol... Excusez du peu. Festival oblige, seuls huit titres furent joués. Mais on préfèrera ce concert condensé et galaxique à mille sets de trois heures sans flamme ni esprit. Sigur Rós a eu la très bonne idée de se parer d'un petit orchestre de cuivres, ce qui donne à leurs compositions de verre une substance de fer. Et que dire de la désormais classique mais toujours aussi "claque-dans-ta-facesque" Popplagið ? Rien. Se taire et s'en prendre plein la vue, plein la face, plein face. Les Islandais ont offert un vrai pied de nez à tous ceux qui les croyaient encore mous, ennuyeux, larmoyants et chiants. Concert best of d'une magnitude indétectable, les petits elfes d'Islande auraient livré la performance la plus puissante de ce Rock en Seine 2012. Sauf que quelques ours barbus issus de nulle part ne l'ont pas entendu de cette oreille...

lundi 27 août 2012

Rock en Seine : les meilleurs concerts



Un environnement généreux, une flopée d'artistes -environ 70 artistes ou groupes - et 110 000 spectateurs en trois jours : Rock en Seine frôle parfois avec la démesure. Bien qu'abordable et facilement accessible en comparaison à certains de ces acolytes européens (coucou Reading !), le festival tire sa force de sa programmation, à la fois mainstream, exploratrice et plus exiguë. Voici les dix (parmi les 24 auxquels j'ai - parfois partiellement - assisté) concerts les plus marquants de cette dixième édition du rendez-vous estival parisien (#10 -> #6)


#10 - Of Monsters and Men (Islande) et Hyphen Hyphen (France) : Les premiers sont les  représentants de l'île de glace à Rock en Seine (avec Sigur Rós, les seconds sont en revanche l'une des rares formations hexagonales à allier électro et rock avec aisance et classe. Six sur scène, les Islandais manient leurs ritournelles fraîches et allumées de manière convaincante. Joie de jouer communicative, prise de tête aucune, pop-folk efficace : la recette de ces natifs de Reykjavik fait mouche, et entraîne la foule curieuse qui ne s'attendait pas à pareil moment sur la Grande Scène. Groupe choral à la Arcade Fire, Of Monsters and Men a tous les atouts d'une grande formation scénique : leur prochain album à paraître, My Head is an Animal, est on ne peut plus explicite. Comme quoi, on peut sembler froid de prime abord car Islandais et réchauffer le coeur auditif comme un bel album photo automnal.


Quant à Hyphen Hyphen, il s'agit de l'inattendue révélation du festival. Encensés par la presse et déjà bien rodés sur scène malgré leur récente découverte, les Français délivrent des sonorités à l'épatante précision et assurance. Inspirés par Phoenix et LCD Soundsystem, Santa, Line, Puss et Zak n'ont cure de pasticher leurs aînés et distillent leur rock frénétique et leur bidouillis sonores électrisent la scène. Sans prétention mais sûrs de leurs capacités, Hyphen Hyphen pique le corps comme une mouche d'été bien lunée. 


#9 - Noel Gallagher (UK) : L'histoire est loufoque. En 2009, Oasis annule à la dernière minute son concert ici-même, après une percutante altercation entre Noel et son frère Liam. Trois ans plus tard, les choses ont changé et les ardeurs se sont aplanies. Arguant désormais en solo, Noel Gallagher étonne son monde. Fiable, efficace et dandyesque, son set ravit l'audience de la Grande Scène sous un soleil timide mais bien présent. L'enfant terrible n'a pas l'air de vivre le moment le plus funky de sa vie, mais il fait le job, en bon professionnel qu'il est. On ne lui en demande pas plus. Plus flegmatique que jamais, Noel parvient à communiquer une blessure, une sincérité, perdue entre des notes et des aphorismes mille fois réécrits. Une renaissance ? Evidemment que non. Une confirmation, une de plus, du talent du Mancunien, qui, lorsqu'il n'est pas entaché d'histoires familiales épuisantes et pitoyables, devient brillant et guide les yeux vers les plus beaux cieux. Preuve qu'il n'a pas la rancune facile, Gallagher interprète cinq morceaux sur treize de son groupe originel, notamment Whatever et Don't Look Back in Anger, parfaite conclusion de set. Merci Noel. Poke Liam.  


#8 - Bewitched Hands (France) : Festival de renommée internationale ou du moins européenne, Rock en Seine et ses organisateurs ont fait la part belle aux autochtones, en leur accordant une large place dans la programmation de ces trois jours. Il ne fallait pas compter sur The Bewitched Hands pour leur montrer qu'ils avaient tort. Le collectif de Reims dégage une telle énergie, une vérécondie audacieuse jouissive et une musique si "popisante" qu'il se place sans difficulté aucune dans la liste des grands moments de ce festival. Programmés à 18 h 30 sur la scène de l'Industrie, Sébastien Adam et ses acolytes offre une pop d'orfèvre, dont la richesse de l'instrumentation équivaut au bonheur ressenti par le public. Même s'ils n'inventent pas la poudre et leurs influences restent un peu trop visibles, les six membres délivrent un show d'une telle sincérité qu'on leur excuserait bien volontiers tous les à-peu-près du monde. Les titres du tout récent EP, Thank You Goodbye It's Over baignent dans une nébuleuse mélodique et accrocheuse. Marianne Mérillon, la seule femme du groupe, singe parfois Régine Chassagne d'Arcade Fire - tant dans la voix que dans l'attitude - mais il y a pire comme modèle. Le titre We Are Together lorgne quant à lui du côté des Clap Your Hands Say Yeah ou des moins incroyables Vampire Weekend. Mais qu'importe. D'une grande fluidité et générosité, le spectacle offert est de très bonne facture. Humain, avant tout.


 #7 - Get Well Soon (Allemagne) : Certains concerts sonnent davantage comme une prise de risque insensée que comme un réel plaisir à partager. Celui de Get Well Soon est de ceux là. Devoir gérer un ensemble de cordes et cuivres sous une pluie battante, on a connu mieux comme moment récréatif pour un vendredi d'été. C'est sans compte sur le talent et le savoir-faire de Konstantin Gropper qui, orné de son collectif, délivre une prestation d'une grande puissance émotionnelle. Alors oui, la météo est capricieuse et le son loin d'être parfait, mais lutter contre les éléments n'est-il pas le meilleur moyen d'espérer un prompt rétablissement ? D'une classe absolue, Gropper et ses musiciens sont traversés tantôt par l'allégresse, tantôt par la tristesse. Mais la belle, pas celle qui morfond comme un léopard neurasthénique au beau milieu d'une savane. Les Allemands ont une sensibilité bien à eux, comme le génial Hauschka, qui paraît froide mais qui sonde l'esprit. Peu importe les imperfections, l'essentiel est dans l'intention. Et à ce niveau-là, Get Well Soon prend tout le monde de cours. Qu'importe aussi si d'insignifiants morveux braillent en se dirigeant vers la Grande Scène pour applaudir (ou fuir) Dionysos, des oeuvres telles que Seneca's Silence ou l'ahurissante 5 Steps 7 Words brûlent notre for intérieur comme n'importe quel virus qui viendrait à bout de l'être tant aimé, alors mourant dans la chambre que l'on partagea, il fut un temps. 


#6 - Agoria DJ Set (France) : Lorsque le corps est poussé dans ses retranchements et les pensées noyées dans la clairière bleutée qui nous sert de ciel, il ne reste guère qu'une électronique peu usitée et pétaradante pour nous sortir du marasme. Et celle du DJ national Agoria est allée bien plus loin. Venu clore une journée riche en concerts et en palpitations, le set concocté par Sébastien Devaux a tenu plus que ses promesses : il a ébloui les milliers d'ombres en transe qui parsemaient tout le domaine de Saint-Cloud. Pas seulement une poignée de jusqu'au-boutistes, non, cette électro là résonne bien plus loin que le bout de sa platine. Limées comme une pépite d'or, brinquebalantes et orgasmiques, les sonorités expulsées ont insufflé le supplément d'énergie spontanée dont le festival manquait jusqu'alors. Une électronique non pas bombastique mais belle, précise, fine, et, en un mot, dévastatrice. Pas étonnant que le Monsieur, soit l'un des créateurs de l'excellent festival les Nuits Sonores de Lyon et ait cofondé le valeureux label InFiné. Il n'y a pas de hasard, même au bout d'une soirée enivrante. Et l'on aimerait tant que cette musique nous berce et torture toute la nuit durant. Guère avenant d'en dire plus, tant l'expérience sensorielle confine à l'intimement personnel. Mais les sourires, les membres agités et les lueurs fugaces, en ont dit long, ce soir-là, menés d'une main de fer par Agoria, pas si lointain d'un Jeff Mills, maître de l'Agora de Rock en Seine, le temps d'un set trop court mais marquant, vraisemblablement, tous les courageux qui n'ont eu cure de rester sur la bonne impression laissée par le concert des Black Keys, une heure auparavant. Frissons en cascade. Et ce n'est pas fini...

Suite : #5 -> #1 à venir prochainement ;-)


lundi 20 août 2012

Dirty Projectors - Swing Lo Magellan



Bon Dieu, je ne vous aimais guerre (sic). Vous, les Dirty Projectors, énième formation qu'il-faut-avoir-écouté pour briller sur le parvis de la Gaîté Lyrique à Paris. Que les choses soient claires, entre nous. J'ai abhorré Bitte Orca (2009), prétentieux comme un membre en pleine érection alors qu'il est mou du genou, en vérité. J'ignorais alors tout de vos productions passées. Mais voilà que Björk, Owen Pallett, Joanna Newsom, des gens biens en somme, vous louangeait assez bizarrement. Je me suis alors dit que vous ne pouviez pas être foncièrement mauvais. J'ai réécouté votre anatomie, et il s'avère que Stillness is the Move est une pépite rare. Finalement, je vous ai laissé une chance. Et voici comment a débuté mon histoire avec vous, comme toutes les histoires d'amours universelles : tantôt révulsé, je suis devenu fou de vous. 

En première partie des incroyables Grizzly Bear à l'Olympia, je suis sorti de l'antre en préférant votre prestation à celle des mes Brooklyniens adorés. C'est comme cela que tout arrive : par une surprise, non un hasard destiné à faire miroiter des choses inconditionnelles. Bitte Orca tenait plus que la route sur scène, Swing Lo Magellan, le nouvel album, méritait au moins un bon coup d'écoutes.

L'album est frappant de virtuosité. Moins, beaucoup moins abscons que son frère ainé, le Magellan s'improvise dans une conquête folle : sonner résolument moderne tout en ne reniant pas ses racines passées. Peu y parviennent, mais ceux qui s'y attèlent tombent souvent dans la catastrophe inaudible. L'album n'est pas évident, il est rêche parfois, souvent gênant, mais le tout est d'une cohérence diluvienne assez saisissante. Le penchant 2012 de Stilness is the Move est sans conteste le tube imparable Gun Has no Trigger, subjugante épopée pop d'une évidence très énervante. Le titre monte en puissance, les coeurs féminins frôlent la perfection de grâce, et la voix de Dave Longstreth est à son apogée de maîtrise. L'a-esthétisation de Bitte Orca se meut en un swing triple combo exquis, proprement sidérant. Ce qui tue est simple : c'est cet équilibre parfait entre des sonorités bidouillées et complexes et ces lignes de guitares convoquant parfois David Bowie, Nick Cave voire même les inénarrables Beatles. Uppercut. La finale Irresponsible Tune (choix d'appellation en clin d’œil à l'Impossible Soul de Sufjan Stevens ?) est le résumé de ces tendances. Le titre, lové d'une guitare sèche et d'une voix mièvre, atteint des niveaux d'émotion et de tendresse équatoriales. Les morceaux de bravoure s'enchaînent, comme le triumvirat Maybe That Was It / Impregnable Question /See What She Seeing qu'il va être difficile d'égaler au titre de bombes de l'année. 

Car Dirty Projectors est une formation périlleuse : bon nombre d'anciens membres s'y sont cassé les dents. Quelle plus belle victoire qu'une expédition difficile, absconse et magicienne ? Swing Lo Magellan est un chef d’œuvre rare et absolu, le premier depuis Age of Adz de, une fois encore, maître Sufjan. Son génie tient à cette capacité de redonner sens au terme "chanson", tout en n'en respectant pas les règles. Maestria.

10/10


--> Extrait de l'album : Gun Has No Trigger.


samedi 18 août 2012

Jonathan Boulet, un coup de canon !

JONATHAN BOULET
We Keep The Beat, Found The Sound, See The Need, Start The Heart 


Chaque disque aurait sa saison adéquate. Pour éclore, pour être écouté ou pour fleurir : « C'est pimpant ça, c'est sûrement le tube de juillet » ou « Je suis déprimé, je m'en vais écouter ce son sous la couette jusqu'à Noël ». Les saisons ayant tendance à disparaître (ouvrez donc la fenêtre, vivement l'été en décembre), on se dit que les disques sont condamnés à faner une fois la saison révolue. Et pourtant, la nouvelle graine que propose Jonathan Boulet, 24 ans seulement, est vouée à transformer le boulet en bouquet estival. C'est l'été dans ce côté de l'hémisphère, mais l'Australien connaît l'hiver et nous régale. D'ailleurs, l'homme qui illustre la pochette d'album n'est-il pas torse nu et sérieusement mal en point tandis que la neige jonche le sol ? Après un premier album éponyme (2009) enregistré et composé seul dans un garage comme un roc autodidacte, le jeune homme s'entoure ici de nombreux musiciens pour donner vie à ses idées farfelues. Comparables à l'énergie foutraque de Vampire Weekend (flagrant sur sur This Song Is Called Ragged), les compositions de Jonathan Boulet sont cependant plus denses, plus envolées et tout simplement plus belles. Tandis que les New-Yorkais dansent la rumba autour d'un feu de camp en soufflant sur les flammes incandescentes, l'Australien part à la recherche de la pierre magique qui permet, grâce à la gaîté lumineuse du groupe, de nous éclairer malgré un imprévisible orage. 

D'apparence bordélique et allumé, l'album est, si on l'observe de plus près, un édifice bien rangé, qui égaye par sa polymorphie et sa délicate folie. A cet égard, la conclusion christique Cent Voix est peut être tout ce qu'il faut garder du travail ici fourni, et qui promet de belles aventures pour la suite. Mais ce qui précède n'est pas en reste : la frénétique et chevaleresque batterie sublime tous les instants, en particulier l'inaugurale You're An Animal. D'une remarquable précision et densité rythmiques, l'album s'affilie volontiers avec les gargantuesques Battles, en plus soft (FM AM CB TV, l'introduction de Hallowed Hag) ou l'urgence mélodique d'Arcade Fire à l'époque de Funeral (Black Smokehat), voire même la mélancolie boisée de Fleet Foxes (Piano Voca Slung). Tant d'énergie revigorante, vraiment. Des boulets aussi présentables et canons, on en voudrait à foison. 

9/10


(Modular Recordings/La Baleine)

mercredi 15 août 2012

Radiohead, jamais deux sans toi ni moi (Arènes de Nîmes, 11/07/2012)



La question est sur toutes les lèvres : le deuxième concert de Radiohead va-il être différent de celui de la veille ? Et peut-il le surpasser ? Certains sont là depuis 6 heures du matin, ce mercredi 11 juillet ensoleillé. Ils occupaient déjà le parvis des Arènes la veille. Ils savent déjà que le show sera fidèle au groupe tout en étant novateur par rapport au premier.
Le soundcheck quelques heures plus tard rassure tout le monde : bon nombre de morceaux entendus ne figuraient pas sur la setlist du mardi. L'excitation est déjà palpable. Alors que faire en attendant ? Prier. Manger. Discuter. Radiohead est-il un groupe immortel ? Lui qui a déjà momifié les Arènes plusieurs fois par le passé. 2003. 2008. 2012, finalement. Quel combo ! Yorke et les siens ont montré une forme olympique le soir d'avant, il n'y a pas de raison pour que cela change ce soir.

Quelques mots d'abord sur la première partie : Caribou. L'artiste canadien ne soulève pas les foules mais propose un set ultra-calibré et percutant, malheureusement sous-estimé. Heureux avec ses musiciens d'être là et de faire figure de supporting band des Oxfordiens, Dan Snaith et ses titres s'enchaînent vite et frappent le corps comme il se doit. Odessa ou Run sont des pépites matriarcales, de celles qui nous caressent la poitrine en faisant dodeliner nos reins. A (re)voir dans des conditions plus adaptées, cependant (show éblouissant à Primavera en 2010 devant une foule transcendée). Le soleil est d'aplomb. Les tribunes se remplissent doucement mais sûrement, totalement pleines après le set de Caribou; La fosse bien plus loquace que la veille. Tout est réuni pour un concert, une fois encore, inoubliable. Et il le fut.

D'une humeur égale à celle de la veille, Thom Yorke et son quatuor sépulcral (plus un batteur accompagnant Phil Selway, comme s'il en avait besoin...) sont d'ores et déjà d'humeur joviale. L'expression infantile de Colin Greenwood est attendrissante. Ed O'Brien semble avoir pris trois années dans la face en une journée. Et Jonny Greenwood, toujours aussi énigmatique et professionnel, est notre Jonny national à nous, fans du groupe. Ils attaquent plein pot sur Bloom, tirée de The King of Limbs. Déjà entendu la veille, le morceau est fidèle à son statut : bon sans être transcendantal. Aucune erreur cependant, le deuxième titre va mettre tous les grincheux d'accord. La cataclysmique et inespérée Kid A arrive sous l'oeil complice de Thom, du genre : "Vous vous y attendiez pas hein, bande de bâtards ?". Pas jouée à Nîmes depuis 9 ans, Kid A est sidérante. Atomique. Voix trafiquée, instrumentation subliminale, on ne pouvait espérer plus grosse claque pour un tel début de show. Car oui, ce n'est que le début et il est déjà inoubliable.  

Sans grande suprise, les titres de TKOL ressemblent à ceux d'hier, dans leur version. Cela tombe bien, ce sont les mêmes. A l'exception de Codex, qu'on regrettait hier et que le groupe nous offre enfin dans une version sobre et habitée. Silence absolu, le règne débute. Etudions les raisons pour lesquelles Nîmes II est exceptionnel, meilleur que son allié d'hier.


Lorsqu'un un groupe est au paroxysme de ses capacités, à l'apogée de son Art, on n'appelle pas ça de la maîtrise mais du pharaonisme. Plus de 70 morceaux répétés pour cette tournée, des concerts atteignant les deux heures trente, imaginez le monument. Tous albums confondus (sauf Pablo Honey), des B-Sides, même si aucune ne sera jouée ce soir (pas même la tant désirée et désirable The Amazing Sound of Orgy), des nouveaux morceaux, en veux-tu, en voilà ! Doté d'un tel répertoire, Radiohead peut tout se permettre et nous offre le luxe d'altérer ses setlists très régulièrement. Un bonheur pour le passionné. Le groupe, exigeant avec lui-même, sait que ses fans en attendent beaucoup. Lorsque les coups de griffes à la basse de The National Anthem résonnent dans l'arène, ces derniers sont conquis et s'envolent dans une danse extatique et allumée. Le morceau semble encore meilleur et plus percutant au fil des performances. Même diagnostic pour Videotape, subjugante et atrophiée dans une version à l'écrin noir doré, mille fois supérieure à la bancale version d'In Rainbows. C'est ce qui fait toute la différence entre un concert et un live depuis YouTube : le frisson, le regard complice de son voisin de fosse, les gestes du groupe font de la représentation scénique une expérience unique whatsoever (comme ils diraient). Et avec Radiohead, la véracité de cette analyse n'en est que plus démontrée.

Par ailleurs, souvent une chanson marque une vie non dans sa globalité, mais par un enchaînement de notes qui donne des haut-le-coeur. Et les coeurs sont bien hauts lorsque le triumvirat Climbing Up The Walls / Nude / Exit Music détonne. Incroyable enchaînement qui restera dans les annales : la première nous envoie sur Uranus, la deuxième nous fait visiter les étoiles tandis que la dernière nous rappelle que la plus belle odyssée est celle de la communion entre le cœur et l'esprit. Totales démonstration et réussite, moments inoubliables gravés en son for intérieur.

Au final, il n'y a plus grand chose à dire. La retranscription de telles émotions relève ici de la torture pour son auteur et ceux qui n'étaient pas là. Faisons des pauses, des silences, regardons à l'intérieur et autour de nous, Radiohead semble travesti dans une représentation christique du bonheur sur Terre. Le rappel, tellement osé, foutrement acclamé, atteint encore une fois des sommets d'orgie. Treefingers est encore plus barrée que la veille tant Thom et Jonny ne savent qu'en faire pour la conclure et ont compris que tout est vain, au final. Myxomatosis pulse sa capsule Soyouz et fait passer une expédition sur Mars pour une action routinière. Quelle puissance métrique, charnelle et frontale. C'est insensé. Le diptyque Everything In Its Right Place et Idioteque ne méritent aucun commentaire : les corps et les sourires du public s'en souviendront pour l'éternité. Street Spirit en deuxième rappel, c'est le satellite sur la constellation Radiohead. Un immense et intense moment de bonheur.

Tout a déjà été écrit, ou presque. Mais la mémoire parfois est défaillante. Alors retenez bien ceci : Radiohead n'est peut-être pas le plus grand groupe de tous les temps (quelle mégalomanie outrancière), mais c'est personnellement celui qui m'a permis de découvrir tous les grands artistes qui m'accompagnent depuis des années. Sans lequel je n'aurais pu vivre que dans l'ignorance triste et souffrante. Radiohead à Nîmes, le mercredi 11 juillet 2012, n'est pas seulement un inoubliable concert, c'est aussi et surtout l'un des plus beaux moments de ma vie.



Setlist
Note: Morning Mr Magpie, Kid A, The National Anthem, Codex, All I Need, Climbing Up The Walls, House Of Cards, Myxomatosis, Everything In Its Right Place, Street Spirit (Fade Out), How To Disappear Completely, Airbag, Planet Telex, Supercollider and Bloom were soundchecked.

dimanche 12 août 2012

Radiohead, l'éternelle re(co)naissance (@ Arènes de Nîmes, 10/07/2012)

Le premier concert depuis la catastrophe. Quelques semaines plus tôt, le 16 juin à Toronto, la scène sur laquelle s'apprêtait à jouer Radiohead s'écroule, faisant une victime. Scott Johnson, 33 ans seulement, technicien du groupe. 


Il s'agissait aussi du premier concert en France du quintet d'Oxford depuis quatre ans. Les places s'étant vendues comme des petits lingots d'or (en quelques minutes seulement, à des prix onéreux), c'est un euphémisme de dire que le retour de Radiohead était très attendu. Comment ont-ils vécu le deuil ? Car c'est dans ces tristes conditions que Radiohead réapparaît. Le groupe a dû annuler plusieurs dates, dont son show à Berlin, mais pour rien au monde les Britanniques n'auraient fait l'impasse sur les Arènes. Un cadre idyllique, un décorum antique et un son supersonique. Que demander de plus ?


2 h 30 de merveilles et de belles oreilles

Radiohead est un groupe monstrueux, qui ne fait jamais les choses à moitié. Capable du meilleur (le triumvirat OK Computer, Kid A et Amnesiac est sûrement le plus osé et grandiose de l'histoire de la musique moderne) comme du moins bon (le contesté The King of Limbs). Ce dernier point donne une touche particulière au concert : Thom Yorke et les siens vont-ils pouvoir transcender des morceaux studio opaques et adipeux en grande fête quasi christique à Nîmes ? La version From the Basement de TKOL avait déjà tout prouvé : les morceaux du groupe sont géniaux, a fortiori dans un cadre adéquat. A n'en pas douter, Nîmes l'est.

Radiohead rassure son monde et ses disciples par une surprise : l'inaugurale Lucky jouée dès l'ouverture, nous sommes chanceux. Morceau tendre et enlevé qui marque dès les premières notes. Heureux aussi d'avoir survécu, car les membres savent qu'ils auraient pu y passer lors du drame canadien. La grande force du groupe, son apparente joie communicative et son plaisir intact de jouer font que le concert passe vite mais dure longtemps, comme un orgasme artistique non simulé mais tant désiré. Et Bloom lance vraiment le spectacle : rythmique forcenée, voix rassurante, orchestration détonante, le tout sonne à la perfection. Seuls les cuivres manquent à l'appel : le groupe a trop d'argent pour des tournées pharaoniques mais pas assez pour embaucher trois papys trompettistes ! 

Sans temps mort, 15 step est jubilatoire. Là aussi, la rythmique est cadencée au millimètre. Tout semble propre et tellement travaillé, mais la spontanéité du groupe et les danses holy fuck de Yorke poussent à la folie. "Je peux venir danser avec vous ? Ca bouge pas dans ma partie des tribunes...", demande une femme latine prête à se dandiner sur quinze marches voire davantage. Rien ne s'arrête, sauf le temps. There There, c'est ici que ça se passe et qu'il faut être, ce soir-là. Bien que la grosse caisse soit moins percutante qu'en 2008 (même reproche pour les basses sur The Gloaming, jouée aussi ce soir-là), l'introduction du morceau fait soulever la foule présente dans les tribunes, tandis que la fosse se montre étrangement bien plus tiède. Déjà cinq morceaux de quatre albums différents interprétés. Le signe d'une discographie riche et appréciable.


Perfectionnistes dans l'émotion, émouvants dans la perfection

Parfois hué pour des albums soit sporadiques, soit trop travaillés, Radiohead montre très vite qu'il va souvent là où on ne l'attend pas en concert. L'inédite Staircase, peu convaincante en version studio, convainc grâce à un flow bien senti. Vient alors le premier grand moment du show. I Might Be Wrong, extraite d'Amnesiac (meilleur album du groupe ? Lâchez vos commentaires), démarre dans une fluctuante et dodelinante crème rock bien acérée tandis que la rupture à la guitare fournit la dose lascive et céleste. Exceptionnelle. Et que dire de l'enchaînement Pyramid Song / Nude ? Rien. La première est sans doute aucun le morceau le plus tristement beau du groupe et il suffit d'écouter l'énorme ovation reçue par le groupe à la fin de la seconde sur le chant cristallin de Thom Yorke, mis à nu. Un grand moment de musique. Une maîtrise éblouissante. Une émotion cataclysmique.

Colin, Phil, Jonny & co nous gâtent de savoureux inédits : Identikit fait rage avec une ambiance astrale très convaincante et un schéma de composition pas des plus évidents. Mais la voix de Yorke, qui avait laissé planer le doute sur la capacité du maître à tenir tout un concert durant, distille la grâce suffisante pour persuader les plus dubitatifs que ses morceaux sont taille grandioses. 

Déjà la moitié du show, Thom interagit avec le public moins par les mots que par des gestes de reconnaissance. Ému de l'amour donné, le groupe se donne à fond, hormis Ed O'Brien le guitariste, l'atout charme de Radiohead mais aussi charismatique et utile qu'un filtre Instagram l'est pour la photographie. Mais voilà que se profile le morceau de bravoure, l'un des tout puissants. Paranoid Android, du haut de ses 6 minutes 30, single de OK Computer (bonjour la tête des programmateurs des stations FM en 1997 !) est strastosphérique. Il faut vivre ces instants, et les raconter ne sert qu'à répéter qu'il faut vivre ses instants. Sur place, sans iPhone, sans bootlegs. Rien qu'avec ses deux jambes, son coeur et son esprit.


Rappel à l'ordre d'un monde mortel


Une pause. Alors que l'on s'attend à un rappel conformiste et tranquille, débarque de nulle part l'hallucinante Treefingers, jouée pour la toute première fois sur cette tournée The King of Limbs. Les Américains savent désormais ce que nous avons de plus qu'eux. Seuls Thom et Jonny sont sur scène dans ce moment qui balance entre expérimentation sonique et improvisation électronique. Étonnamment, le morceau est magique. Mais avec Radiohead, on sait désormais que les rappels le sont tous. La version de Videotape, quelque peu trop classiciste sur In Rainbows, atteint ici une pure émotion, sans fausse note, sobre et parcimonieuse. Même topo avec Weird Fishes/Arpeggi (on regrettera à jamais l'orchestre présent lors de la première interprétation du morceau en 2006 au Ether Festival), bombastique et fiévreuse, comme toujours. Et puis ? La sidérante Ful Stop, dernier inédit en date, qui, pour résumer, glace la couche d'ozone : osée, terrifiante, maîtrisée, cette pépite prouve à elle-seule que le meilleur de Radiohead est peut-être encore à venir... 

Les jambes se font lourdes. Les coeurs bien pleins, les lumières prêtes à se rallumer, on se demande alors où on a bien pu garer sa voiture dans la horde de travaux qui ensanglante la ville de Nîmes. Mais pas d'inquiétude, car tout est en place : Everything In Its Right Place enchaînée à Idioteque valent toutes les fins (de concerts) du monde. Oser placer cote à cote ces deux titres sacrés de Kid A révèle non pas du cadeau, mais du don du ciel. 

Enfin, la touchante Reckoner, en hommage au défunt Scott Johnson, rappelle que la mort demeure bien sûr fatale et foudroyante, mais qu'il y aura toujours quelques êtres sur Terre pour vous rappeler que vous êtes quelqu'un de vraiment bien.

Orlando Fernandes




Setlist 

vendredi 10 août 2012

Mermonte - Mermonte (2012)



Bertrand Renaudin. Tiens, et pourquoi pas Bruno Chevignon ? Oui mais tout de même, Daniel Humair quoi. Ce sera finalement Mermonte, à l'honneur d'un autre musicien jazz, Gustave Mermonte, si confidentiel qu'on pourrait croire qu'il n'a jamais existé. Choisir un nom de groupe peut sembler anodin. Ca l'est un peu moins lorsqu'il y a dix têtes dans le groupe. Ca devient carrément improbable lorsqu'il colle si bien et si naturellement à la musique qui y est accolée. Ghislain Fracapane (aussi guitariste de Fago.Sepia) et ses neuf compères relèvent brillamment le défi. Décrire ce moment suspendu où la mer lointaine frôle subitement les galets près de nos pieds, où la vague s'échappe de son corps-mère pour se lancer dans une danse de toute beauté. Mermonte, ce premier disque et ses fugaces vingt-cinq minutes à peine, serait cette photographie qui capte l'instant d'avant. L'album est court, mais chaque seconde, chaque temps a rarement semblé aussi limpide et précieux. Sans provoquer de tornade émotionnelle ou rythmique, Fracapane et les siens préfèrent s'intéresser aux légers mouvements du sable trépassé par la vague fraîche. Les instruments et les harmonies vocales collent tellement bien au paysage qu'il est tentant de se laisser emporter. Que dire du renversant jeu de guitares soudainement rompu par des lueurs chorales pour retrouver une rythmique entraînante sur la superbe David Le Merle ? Chaque musicien parfaitement à sa place, déverse une mélodie cristalline et mélancolique sans empiéter sur celle des autres. De là une sensation de légèreté et d'harmonie stupéfiante. Que ces accords frottés sont beaux sur l’innocente Acoustique, interlude qui nous ferait presque pleurer Elliott Smith une énième fois. Le collectif rennais bâtit, avec peu de moyens mais une grâce insondable, une pop exquise, équilibrée et aérienne, dont le titre Eté et ses violons élancés constitue un sommet. Cette pop se fait même plus frontale sur Oups, batterie et guitares déployées. Mermonte est un disque d'une remarquable aisance, vif et pressé, et guide délicatement notre balade insouciante et rêveuse sur une plage de Bretagne. Entre Théven et Meneham, un doux soir d'été.

8.5/10

(Les Disques Normal/Believe)

A écouter en intégralité sur le Bandcamp du groupe .

mardi 7 août 2012

Foals Tapes là où on ne les attend pas


 
Foals, le retour. Pas encore le troisième album tant attendu après le métrique et millimétré Antidotes (2008) et l'excellent Total Life Forever (2010), au succès mérité. En lieu et place, une playlist idéale pour patienter jusque-là (aucune date de sortie révélée).  

Alors que The Big Pink ou The Rapture s'étaient collés à l'exercice avant eux, Tapes version Foals a été concocté par Edwin Congreave. Le claviériste s’est attelé à la sélection en veillant à ce qu’elle reflète les goûts des cinq membres puisque c’est ce que le combo britannique a écouté depuis 2007 et leurs débuts : "Il est facile de balancer au hasard des titres ensemble et d'appeler ça un DJ-mix", explique Congreave. Composée de deux faces, on comprend vite que la cassette revêt une toute autre ambition. On pouvait s'attendre de la part de notre quintet d'Oxford préféré (après Radiohead tout de même) à une compilation de la crème indé hyper trendy du moment, le genre de trucs qui s'arrache tellement c'est rare et précieux, mais Yannis Philippakis et sa bande prennent tout le monde de court. 

Véritable boule à facettes sur pattes. Difficile d'offrir une osmose tant on sait que les goûts de ces gars-là sont hétéroclites. Mais Foals fait mieux : il fait renaître avec brio et intelligence l'esprit de la cassette planquée au fond du tiroir, avec deux faces, usée mais au concept fort et inébranlable. Du math rock des années 1990, des démos de Metronomy, du folk grec, en veux-tu en voilà. Parmi les moments forts, la dance transversale de Cerrone, Blood Orange et Julio Bashmore fait mouche. On se régale en passant par de la soul (Gospel Comforters), du kraut guilleret (Dorian Concept) en bougeant ses fesses sur le funk orgiaque de Knono n°1 ou Condry Ziqubu. Face à de tels mouvements désynchronisés, difficile de garder le rythme. Mais le tout s'enchaîne bien, et quelques classiques (Nicolas Jaar, Caribou) viennent adoucir la furie dodelinante. Cheaters, remix de John Talabot par Teengirl Fantasy, touche au sublime. Support nostalgique, contenu visionnaire : la clé de voûte de la réussite de ce double disque réside dans cette alchimie pas si évidente. 

Grâce à Tapes, les Foals prouvent à qui en doutait qu'ils sont bien l'une des formations les plus inventives et stimulantes du moment. Pour un temps aussi long que la durée de vie de sa cassette favorite, secrète et irremplaçable, bien dissimulée au plus profond de ses souvenirs. 

8/10 

(!K7/La Baleine)

dimanche 5 août 2012

Gros plan sur... MERMONTE


Dix membres, un chef de file : Ghislain Fracapane (à gauche sur le sofa orangé

Il y a quelque chose de vraiment bien chez Mermonte. Un groupe à dix têtes qui ne se prend pas la tête. Ni trop au sérieux. Plutôt rare pour être écrit. Du genre à écouter, entre deux compositions, du Katy Perry ou du Metallica (!) sans rougir mais sans s'en vanter trop fort. Histoire de se défouler et de rester détachés. Régis Rollant (guitare), Pierre Marais (guitare, chant, glockenspiel), Astrid Radigue (chant, glockenspiel, flûte traversière), Matthieu Noblet (batterie),  Mathieu Fisson (basse) Eric Hardy (batterie) Julien Lemonnier (guitare), Charlotte Merand (violon), Jeanne Lugue (violoncelle) et Ghislain Fracapane (chant, guitare). Mermonte est un groupe dense et enlevé. 

Ghislain le meneur (qui joue et chante aussi dans Heliport, Fago.Sépia et Lady Jane) démarre ses compositions il y a huit ans, mais le groupe dans son ensemble ne répète que depuis neuf mois. Le temps de gestation idéal pour donner naissance à une œuvre d'une légèreté, harmonie et unicité rares. Mermonte semble être le fruit originel d'un seul musicien, tant les dix et leurs instruments se marient à merveille et caressent l'oreille comme une étendue de sable doré. « On a enregistré le disque entre mi 2011 et début 2012 dans le salon de Pierre Marais ; j'avais déjà préparé mes maquettes et construit la base de l'album pendant plusieurs années. Il ne restait plus qu'à mettre ça  sur pied », explique Ghislain. Les Bretons (Rennais et Nantais, nouveaux eldorados indé ?) font figure de bande de potes à l'entente parfaite qu'on inviterait volontiers chez soi. Contrairement à nombre de leurs pairs franciliens qui choisissent la facilité de l'anglais, les Mermonte privilégient la langue française dans leurs textes, non par paresse ou nationalisme exacerbé, un peu par anglophobie langagière, mais surtout pour faire résonner cette idiome et pour parler vrai. Une authenticité salutaire. 

Mais à quand un album en breton ? Ayant connu quelques soucis de pressage, qu'on se rassure cependant : l'album n'est pas distribué qu'en Bretagne et sortira sous plusieurs labels (Les Disques Normal, le lillois Hip Hip Hip, Father Figure Records au Danemark et le japonais Friend of Mine). Le disque attend patiemment le rayon de soleil bienvenu pour pouvoir coller parfaitement à l'environnement limpide et bleuté de l'été. Quant aux influences (Steve Reich, American Football, Tortoise, Sufjan Stevens), elle ne transparaissent pas de manière tapageuse, préférant les utiliser parcimonieusement avec une retenue et délicatesse louables. Un morceau inédit sur l'édition japonaise co-écrit avec Mha, la doucereuse Japan, (nul doute que le titre donné a été le fruit d'une intense réflexion) qui ne sortira visiblement pas en France. Peut être en live ? Car les dix copains s'apprêtent à arpenter les scènes du 24 octobre au 18 novembre (en France, en passant par la Belgique et la Norvège). Le leader de Mermonte précise que « sur scène, les morceaux seront réarrangés : la guitare acoustique devient électrique notamment, avec un côté rock plus rentre-dedans et pourquoi pas un orchestre de cordes et des cuivres. » Savoureux. L' univers pictural de l'artwork est le résultat de Pierre Judon, la photo étant l'oeuvre de Laura Gorre avec un vieil appareil russe argentique déniché... dans une poubelle. 

En attendant le deuxième album « déjà en préparation », on se laisse volontiers lover par le premier et admirons la plage déserte et éclairée à l'aube, quand, indomptable et vivifiante, la mer monte dans nos cœurs souillés.