Bon Dieu, je ne vous aimais guerre (sic). Vous, les Dirty Projectors, énième formation qu'il-faut-avoir-écouté pour briller sur le parvis de la Gaîté Lyrique à Paris. Que les choses soient claires, entre nous. J'ai abhorré Bitte Orca (2009), prétentieux comme un membre en pleine érection alors qu'il est mou du genou, en vérité. J'ignorais alors tout de vos productions passées. Mais voilà que Björk, Owen Pallett, Joanna Newsom, des gens biens en somme, vous louangeait assez bizarrement. Je me suis alors dit que vous ne pouviez pas être foncièrement mauvais. J'ai réécouté votre anatomie, et il s'avère que Stillness is the Move est une pépite rare. Finalement, je vous ai laissé une chance. Et voici comment a débuté mon histoire avec vous, comme toutes les histoires d'amours universelles : tantôt révulsé, je suis devenu fou de vous.
En première partie des incroyables Grizzly Bear à l'Olympia, je suis sorti de l'antre en préférant votre prestation à celle des mes Brooklyniens adorés. C'est comme cela que tout arrive : par une surprise, non un hasard destiné à faire miroiter des choses inconditionnelles. Bitte Orca tenait plus que la route sur scène, Swing Lo Magellan, le nouvel album, méritait au moins un bon coup d'écoutes.
L'album est frappant de virtuosité. Moins, beaucoup moins abscons que son frère ainé, le Magellan s'improvise dans une conquête folle : sonner résolument moderne tout en ne reniant pas ses racines passées. Peu y parviennent, mais ceux qui s'y attèlent tombent souvent dans la catastrophe inaudible. L'album n'est pas évident, il est rêche parfois, souvent gênant, mais le tout est d'une cohérence diluvienne assez saisissante. Le penchant 2012 de Stilness is the Move est sans conteste le tube imparable Gun Has no Trigger, subjugante épopée pop d'une évidence très énervante. Le titre monte en puissance, les coeurs féminins frôlent la perfection de grâce, et la voix de Dave Longstreth est à son apogée de maîtrise. L'a-esthétisation de Bitte Orca se meut en un swing triple combo exquis, proprement sidérant. Ce qui tue est simple : c'est cet équilibre parfait entre des sonorités bidouillées et complexes et ces lignes de guitares convoquant parfois David Bowie, Nick Cave voire même les inénarrables Beatles. Uppercut. La finale Irresponsible Tune (choix d'appellation en clin d’œil à l'Impossible Soul de Sufjan Stevens ?) est le résumé de ces tendances. Le titre, lové d'une guitare sèche et d'une voix mièvre, atteint des niveaux d'émotion et de tendresse équatoriales. Les morceaux de bravoure s'enchaînent, comme le triumvirat Maybe That Was It / Impregnable Question /See What She Seeing qu'il va être difficile d'égaler au titre de bombes de l'année.
Car Dirty Projectors est une formation périlleuse : bon nombre d'anciens membres s'y sont cassé les dents. Quelle plus belle victoire qu'une expédition difficile, absconse et magicienne ? Swing Lo Magellan est un chef d’œuvre rare et absolu, le premier depuis Age of Adz de, une fois encore, maître Sufjan. Son génie tient à cette capacité de redonner sens au
terme "chanson", tout en n'en respectant pas les règles. Maestria.
10/10
--> Extrait de l'album : Gun Has No Trigger.
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