jeudi 28 avril 2011

Blake Swan (La Maroquinerie, Paris, 25/04/2011)

Beyond the hype. La tâche de James Blake, ce soir à la Maroquinerie, n'est pas de bien chanter, ni de bien jouer, mais bel est bien de dépasser le phénomène dont il fait l'objet. Faire exploser la bulle médiatique. Démontrer qu'on est trustworthy et qu'on mérite son 9.0 pitchforkien. Tout son avenir artistique tient à cette mission qu'il admet sans gêne le terrifier.

 

Glacial, intimiste, clinique. Production atypique, personnelle, James Blake est un de ces albums qu'on n'oublie pas, qui plaît ou révulse. Difficile alors de retranscrire un album aussi droit sur une scène intimiste, scruté par une meute impatiente et connaisseuse. 

Face à ce défi, le chanteur choisit la voix la plus aventureuse et la plus ardue : préserver la moelle de ses compositions tout en modifiant la texture. Pas très clair, pas très évident non plus. Accompagné d'un batteur salvateur (la texture) et d'un guitariste/boite à rythmiste (double texture), Blake se pose et compose sagement derrière ses claviers. Longiligne, propre sur lui, Blake donne l'impression d'être venu passer le concours d'entrée au Conservatoire.

A tel point que son début de concert est un fiasco alarmant. Doigts crispés -> accords à chier. Voix mal posée -> allô la fausseté. Tétanisé, le James. Il cherche coûte que coûte à placer sa voix sur des octaves qu'il ne peut maîtriser en entame de show. Unluck se révèle pourtant plaisante, la deuxième partie du morceau, avec ses accords synthétiques venu d'ailleurs, donnent le "la" du concert, fait d'expérimentations, de glace et d'erreurs.  Lors de notre rencontre, il avouait sans gêne que les erreurs faisait partie intégrante de ses prestations, qu'elles ne le gênaient pas tant que ça. 

Mais Blake est tellement appliqué qu'une fenêtre de Plexiglas aussi épaisse que la distance qui sépare Paris de Northland, sa terre natale, semble s'être formée entre lui et nous. Une fenêtre qui, par le perfectionnisme monstrueux du garçon et par sa fragilité emphatique, va voler en éclat. 

Envol. Si Blake démarre de manière appliquée, un peu lisse, sans être chiante (Give me my Mouth, aux accents Antonyesques, en est la parfaite illustration), cet ersatz de cygne blanc ne tarde pas à dévoiler sa face sombre. Sur I Never Learnt To Share, Blake se défait de son costume immaculé de blanc et de pureté, et se met à nu. "My brother and my sister don't speak to me / but I don't blame them" : ce gimmick, seule parole du morceau, est délivré avec une telle dextérité qu'elle en est gênante. Mais magnifiquement émouvante. Osef les pins, laissons la précision chirurgicale pour le studio. Osons décortiquer l'organe, même dans sa chair la plus hideuse, sur scène. 


Le diptyque Lindisfarne confirme l'envol de Blake. On ne sait trop où, on est parfois dépité par ses tonalités vocales, mais disons-le une bonne fois pour toute, James Blake a une voix à détruire la couche d'ozone. Fuck le vocodeur, l'autotune, sa voix est un effet en itself. Stupéfiant. Autre atout, les accompagnements : la batterie donne plus de rythme et de musicalité aux morceaux, tandis que la guitare électrique surprend souvent, dans le bon sens. Mais rien, rien ne vaut les claviers subaquatiques, d'une noirceur désespérante, triturés par les doigts du cygne Blake. Démonstration sur la phénoménale To Care (Like You) où les boucles rythmiques marquent le morceau dans la roche. La voix atteint son apogée de beauté : inatteignable, Blake n'est pas un cygne, mais bel et bien un corbeau paré d'or.

Panégyrique du beau. Et ce n'est pas fini. Audacieux, Blake ne laisse pas de côté ses EP, fruit d'un titanesque travail dont son premier LP est le logique aboutissement. Tout était en phase de gestation. Klavierwerke dévoile un autre aspect de la personnalité du bonhomme : Blake le "au secours maman j'ai peur", Blake le crooner, Blake l'intimiste, voici Blake le DJ. Les racines du dubstep, ce qu'il aime par dessus tout, sans en être une pâle copie. Klavierwierke est un délice, un trip de dix minutes, mi-électro mi-soul dont on ne se remet pas. Difficile alors d'apprécier Limit to Your Love, le fameuse reprise de Feist qui lui a valu tant de louanges. Pour vous faire connaître par le plus grand nombre sans être étiqueté de mainstream, donnez une miette sucrée au commun des mortels et gardez le pain béni pour les autres, nul ne vous reprochera d'être un Judas.

Au sommet de son art, sûr de lui, faussement étonné par les acclamations de l'audience, Blake délivre une version de The Wilhelm Scream absolument prodigieuse, profondément spectaculaire et d'une maîtrise époustouflante. "I don't know about my love / Anymore" : ce "Anymore" sonne comme un orgasme linguistique avec cette prononciation arpégique jouissive. Mais, sous son air de renard rusé, Blake en a encore sous la patte. Et là, et là… Blake abandonne tout et s'aventure vers là où il excelle. Les accords plaqués aux claviers accompagnés de sons spatiaux (les mêmes du début de Svefn-G-Englar de Sigur Ros), magnifiés par l'acoustique, mille fois plus puissants que sur l'album (les basses à mes côtés y sont peut être pour quelque chose), créent le son le plus inhumain, dévastateur et somptueux qu'il m'ait été donné d'entendre en concert. 

Face à ce cataclysme tonitruant, l'inédit dévoilé en rappel, Enough Thunder, qui ressemble étrangement à un Elton John de la première époque, permet d'atterrir sûrement sur terre. Mais Blake, avec ses imperfections, son narcissisme latent et sa créativité foisonnante, a brillamment prouvé que ce qui fait l'authenticité d'un être, d'un objet ou d'une oeuvre, ce sont ses failles. S'il parvient à maîtriser ses démons et ne pas se laisser étourdir par les folles attentes dont il est l'objet, James Blake aura les ailes libres pour s'envoler vers des contrées insoupçonnées. Une géniale hérésie.

9/10


mercredi 27 avril 2011

Vintage, le bel âge


Article publié dans les Inrockuptibles, n°803, daté du 20 avril.

Sur le Toile, l'implosion de sites présentant des tendances ou des objets vintage tous plus old school que les autres fait fureur. Un pas en avant vers le passé, avec les 2.0 pieds. 




La mode est au vintage : fringues, photo, tableaux, déco, aucun domaine n'y échappe. Et comment croire que cette tendance, avec 597 millions de résultats sur Google et plus de 56 000 likers sur Facebook, ait fait son temps (tinyurl.com/6boaddf) ?

Fripe is chic ! Les sites célébrant ce style intemporel, défini par Pierre Léonforté, auteur de Louis Vuitton : 100 malles de légende, comme un "jeu d'apparences utilisant des vêtements anciens, du mélange de fripes et de vêtements neufs portés au quotidien jusqu'aux pièces exceptionnelles", foisonnent sur la Toile, en particulier sur les blogs de mode : vintagebulletin.blogspot.com, clevernettle.com/blog, mystique-vintage-clothing-blog.blogspot.com, sallyjanevintage.blogspot.com, coutureallure.blogspot.com. Le vintage dispose même de son propre salon (salonduvintage.com) et infiltre les séries télé, comme Mad Men, qui dévoile les affres et beautés des années 1960 en les rendant terriblement modernes et actuelles. Les témoignages, en mode "Comment je me suis relooké version Mad Men" fleurissent d'ailleurs à une allure folle (tinyurl.com/35zl84s, tinyurl.com/65wtjj4)


Si le vintage plaît autant, c'est aussi parce qu'il est accessible à quiconque aime fouiner, essayer, échanger, sans y passer l'intégralité de son porte monnaie (tinyurl.com/6j9je4l)

Mais derrière l’aspect design et recyclage, le vintage est aussi un filon astucieux et séduisant pour vendre ses produits ou ses idées, et les marques l’ont bien compris. Ainsi, la marque italienne Cigno s’est inspirée du modèle Graziella des années 1970 pour ses vélos Seventy, (tinyurl.com/46hmre2). Moleskine fait un tabac avec ses carnets que les écrivains en herbe préfèrent aux ordinateurs(tinyurl.com/chxmfc ; tinyurl.com/6ksnw2d). Pour ses 90 ans, Danone a quant à lui proposé une touche rétro à ses produits en sortant une série limitée de pots en verre à l’ancienne (tinyurl.com/d6fzol). Stereolizer, application pour iPhone permettant d’avoir accès à plus de 6000 radios en streaming se présente sous la forme d’une bonne vieille chaîne stéréo des années 80 (stereolizer.com)

Mais surtout le vintage inspire les créatifs – on admirera les superbes affiches créées par l'agence de publicité brésilienne Moma, vantant les mérites des réseaux sociaux, Facebook, Twitter…, comme s’ils étaient de purs produits des fifties (tinyurl.com/4dq6ffd) – et les artistes en herbe. En témoignent le succès des appareils photos Lomography, inspiré des appareils russes des années 80 Lomo (lomography.com ; lomovirtualis.com ; tinyurl.com/4zec4au). Côté photo toujours, on ne compte plus les applications pour iPhone proposant de prendre des clichés aux couleurs très seventies, comme vintiphone.com, hipstamaticapp.com, lo-mob.com… 

Le vintage est aussi un truc de geeks : la première console Nintendo reste un must have qu'il faut préserver précieusement dans sa chambre de gosse (tinyurl.com/9uyzh) et l’on peut créer son site web en lui donnant l'aspect des interfaces ringardes des pages Geocities, à la fin des années 1990 (tinyurl.com/2628txh). 

Révélateur d'une époque qui sent bon l'anachronisme et la nostalgie, le vintage ?



vendredi 8 avril 2011

The Kills @ Bataclan (6/04/2011)


Mardi, 13 heures. La Fnac du Forum des Halles de Paris est pleine à craquer. Les Kills s'adonnent à une séance de dédicaces pour célébrer la sortie de leur nouvel album, Blood Pressures. Non loin de là, un noyau de salariés Fnac protestent contre la non-revalorisation de leur salaire et le manque de garanties contractuelles. Ouais mais bon, les Kills sont là, et les voir signer mon vinyle vaut toutes les complaintes des salariés du Fnac Megastore.

Le succès des Kills, duo gruge rock composé de Jamie Hince et d'Alison Mosshart, revêt de l'irraisonnable. Au-delà de leur musique, ces deux loups nocturnes portent en eux un mythe, une hystérie collective impressionnants. Justifié ? Pas justifié ? Je vous laisse juge.

Sourire, signer des autographes, prendre la pose devant une flopée d'iPhone (la photographie est morte), pas la mer à boire. Monter sur scène, défendre un album, faire face à une attente folle, tout sauf dérisoire. Habitués aux foules, aux concerts, à la presse peuple, les Kills semblent rodés. Trop. Une mécanique trop bien huilée, une prise de risque proche du néant, une capacité à se renouveler qui fait cruellement défaut. Etre l'objet d'un mythe est un défi de taille. Dans une salle du Bataclan surchauffée, électrifiée, les Kills jouent dans leur terrain favori. Ils savent que, bon concert ou non, la grande majorité des fans ressortiront ravis. Parce que le concert fut complet en quelques heures et que payer une trentaine d'euros sans aimer la prestation, bah ça fait mal aux fesses. Donc on s'auto-persuade, on se dit qu'avoir vu Alison, mieux, Kate Moss dans la tribune du Bataclan, c'est quand même la classe.

Mais que reste-t-il ? Blood Pressures est-il un bon album ? Les Kills vont-ils anéantir le Bataclan en proposant un concert inoubliable ?

Le show démarre fort avec un No Wow absolument fantastique. Hince est un excellent musicien, Mosshart une remarquable interprète. La symbiose est parfaite. Le public, en ébullition, n'a d'yeux que pour la déesse Mosshart. La voir s'enflammer avec sa crinière brunâtre, sa chemise de panthère et sa voix rocailleuse, c'est quand même assez jouissif. Les deux titres qui suivent, tirés du nouvel album sont plaisants, sans plus. On s'étonne déjà d'avoir l'oeil qui titube, à chercher Kate Moss du regard… The Kills est pourtant un duo suave, terriblement félin. Oeil de lynx.

U.R.A Fever, Tape Song : voilà de quoi donner un nouveau souffle au concert. Deux morceaux qui font de Midnight Boom une pépite, un condensé d'énergie rock fracassante. Manquait que Cheap & Cheerful, mais ne nous plaignons pas trop vite. Très vite, le concert devient bancal. Et confirme que le dernier opus n'est qu'une caricature d'un groupe qui a peut-être fait le tour. Quand on se fait chier à un concert de Coldplay, c'est plutôt bon signe. Quand on regarde sa montre devant un live des Kills, c'est que quelque chose cloche. Le groupe se fige, propose uniquement ce qu'on attend d'eux, sans risque aucun. Prendre la pose ne suffit pas. Encore faut-il donner de la consistance, un fil rouge à un concert qui vire très vite dans le rouge.

Le son d'ailleurs. C'est beau de riffer comme un malade (pas une critique, Jamie Hince est un putain de musicien), crier comme une aliénée, mais ça ne change rien. Le son, exécrable, vomitif, handicape le groupe. Pas étonnant de voir Hince demander une bonne dizaine de fois de moduler le retour son. Un son qui devient alors, brouillon, inaudible et incompréhensible. Le rock, c'est avant tout la modération du son qui crée des nuances, des touches olfactives, des sensations. Sour Cherry clôt néanmoins le set sur une bonne note.

45 minutes: le groupe retourne en coulisses, et tarde à revenir. On ne les blâmera pas. Surtout si c'est pour entamer un rappel avec The Last Goodbye, chanson guimauve où Mosshart se prend pour une chanteuse émotionnante et larmoyante, alors que tout ce qu'on lui demande c'est de nous faire mouiller du slip.

Le concert aura duré à peine une heure. Sans rentrer dans une dichotomie lénifiante entre qualité et quantité, une heure de concert, c'est objectivement peu. Ce n'est pas comme si le groupe n'avait sorti qu'un album. Restera la hype, le plaisir d'avoir vu Mosshart, et les boules de voir un groupe qui n'a plus vraiment le sang chaud. 

4.5/10

Setlist :
  1. DNA 

mardi 5 avril 2011

Alela Diane - Alela Diane & the Wild Divine (2011)



Vous connaissez Alela ? Tant mieux, car Alela Diane & Wild Divine, son troisième effort, ne nous apprend rien sur la belle Californienne. "It's hard to help yourself when you don't know where to begin", explique-t-elle sur l'ouverture de l'album. En tout cas, Alela sait où elle va : exactement là où elle en était restée sur son précédent opus. Du surplace ? 

Presque. Pas loin. 

La voix perchée, saillante et vernie, est reconnaissable entre mille. L'interprète porte son 
organe de façon élégiaque et humble, très roots, donnant aux morceaux toute leur consistance. Peu d'entre elles peuvent se targuer de l'utiliser de manière si sobre et voluptueuse. Mais cela pêche quelque peu du côté des arrangements. L'omnipotente guitare sèche ne parvient pas à élever le talent de Diane, et a tendance à ternir les morceaux. Notons toutefois la présence d'une guitare électrique et d'un accordéon timide mais étincelant du plus bel effet sur Long Way Down. Alela soigne son introduction et sa conclusion, comme sur The Pirate's Gospel, mais rien n'y fait : on s'ennuie ferme. Alela Diane & Wild Divine peut se résumer ainsi : cohérent, plaisant, mais chiant à la longue. Ecouter Alela, c'est comme rendre visite à sa grand mère maternelle pas vue depuis longtemps : un plaisir éternel dont on espère qu'il cesse, rapidement. Allez là, on y va.

5/10