mercredi 30 janvier 2013

Mountains - Centralia



Si Centralia s'affiche de prime abord comme un album d'ambiance qui saura satisfaire les convenances les plus douces, il demeure périlleux d'en retirer quoi que ce soit de purement matériel, d'y poser des réflexions solides et établies. A base de longues nappes indomptables et de soyeux instruments choyés avec délectation, le duo Koen Holtkamp et Brendon Anderegg manque de rugosité, non de fraîcheur ni de délicatesse, mais bien de lave ardente. L'image qui vient à l'esprit est celle d'une ville moderne en construction, comme si, en slow motion, des tenaces charpentiers s'avançaient pour déposer une pierre sur un édifice. Lentement. L'album met d'ailleurs un temps fou à démarrer. L'attente de l'explosion magique dont sont imprégnés tous les disques de post rock ambiant n'arrive jamais. C'est bien plus subtil que ça. Car la grande force du disque est d'avoir l'air de ne jamais y toucher : il y a ici une précision et une attention dans le mouvement de composition assez remarquables, transformant l'acoustique en brindille électrique et l'électronique en fil d'ariane cosmique. Ce souci de construction est central chez Mountains et irrigue mirifiquement les pièces centrales du disque : Propeller, soit vingt minutes de sons bidouillés, déchirés, transformés, et la conclusive Living Lens, sublime. Alors bien sûr ces ouvriers du bâtiment pavanent dans les rues mais personne ne s'arrête pour connaître la finalité de leur travail. L'intérêt est souvent porté au résultat final, rarement au processus, d'où cette volonté de voir puis de toucher, qui rendrait nos existences plus réelles. Quand est-ce qu'une chanson débute et comment la terminer ? Mountains rend l'équation insolvable, car le regard porté sur ces créations musicales évolue, au fil du temps, et se juxtaposent comme les pièces d'un puzzle. Minutieuse leçon d'architecture en musique. 

7.5/10

(Differ-Ant, 2013)

lundi 28 janvier 2013

Villagers - {Awayland}


En près de cinq ans d'existence (de la première partie de The Chapters à Dublin en 2008 à ce sophomore album) Villagers n'a jamais été un groupe connu pour leur cote sexy ou leurs frasques borderline. Non. Les Irlandais seraient plutôt sages, composant des mélodies doucereuses et folk. On irait plus volontiers boire un thé vert avec eux à Dublin qu'à un strip club du New Jersey. Ce jugement est désormais à revoir : la bande de Conor O'Brien ne se cache plus derrière une musique jolie mais sans grand caractère. Auréolés d'une nomination au Mercury Prize en 2010 pour leur premier effort, Becoming A Jackal, le groupe a su, très vite, gagner du galon. 

Car on ne tourne pas pour Neil Young ou Grizzly Bear sans avoir un minimum de cran. Après leur prestation en novembre auprès de ces derniers en Belgique, le groupe a reçu une ovation. Inconnu pour la majorité des personnes présentes, mais triomphe quand même. Le concert était remarquable. Habités et charnels, les Irlandais ont su donner de la consistance à leurs titres et surtout se livrer corps et âme, sans en faire trop. C'était la dernière date de leur tournée automnale et pour fêter ça, rien de mieux qu'une grosse murge pour ensuite déambuler sur les avenues bruxelloises comme un groupe d'adolescents fêtant la fin des examens. La spontanéité était totale. L'euphorie aussi. C'est comme si ces cinq gars avaient compris que leur heure était venue. Comment pouvait-il en être autrement ? 

{Awayland} ne laisse aucun doute là-dessus. La satisfaction présente est souvent le résultat d'une interminable et parfois pathétique remise en doute. O'Brien n'en fait d'ailleurs pas mystère : “J’ai commencé à me sentir comme le pire auteur au monde. J’avais l’impression de mentir aux gens. Il n’est pas possible de chanter "my love is selfish” une centaine de fois par an, et que cela sonne toujours pur et vrai.” Alors autant écrire sur un mec nu aux toilettes qui se retrouve téléporté dans une guerre sans nom (Earthly Pleasure) ou évoquer le bonheur paternel sur In A Newfound Land You Are Free. Textuellement varié et approfondi, l'album l'est tout autant musicalement. L'évolution constatée en live apparaît comme de l'eau claire tout au long des onze morceaux de cette terre, de cet ailleurs assez salvateur. Beaucoup plus couillu et travaillé que son prédécesseur, {Awayland} donne l'impression de s'acheminer vers des sentiers improbables et c'est exactement ce qui le rend aussi bon. Des morceaux comme Earthly Pleasure ou The Waves frappent par leur ambition rythmique, la voix qui n'hésite pas à se brûler un peu, les artefacts qui ne sont jamais superflus. Villagers étoffe ses morceaux, les déconstruit, pour en faire des pièces maîtresses. Une version miniature de Grizzly Bear couplée à l'élégance de Bright Eyes. Même en gardant leur structure folk d'antan (Nothing Arrived et son superbe envol final), ils parviennent à insuffler suffisamment de chair pour gagner en ampleur. Et jamais le groupe ne semble se renier ou tenter l'impossible. La maîtrise, et la foi, surtout.

Même si la seconde moitié du disque est moins surprenante et retrouve une tonalité plus classique, moins aventureuse (la dextérité et le dépouillement de In A Newfound Land... sont déchirants malgré tout), le groupe se fait confiance et ne perd jamais le fil de la narration. On ressent, à l'écoute de ce brillant disque, une réelle générosité, une ouverture que leurs balbutiements des débuts ne permettaient pas. S'en dégage une liberté, une jouvence très agréables. Les Villagers ont passé un cap et signent l'air de rien le plus bel album de janvier. 

8.5/10

(Domino Records, 2013)



vendredi 25 janvier 2013

Meursault - Something for the Weakened



Ter repetita : comme en 2008 avec le subjuguant Pissing on Bonfires/Kissing With Tongues, puis deux ans plus tard avec All Creatures Will Make Cherry, les Ecossais parviennent une fois de plus à nous enchanter en quelques secondes. Comment ça marche ? Neil Pennycook a une recette très simple : mettre en avant ses qualités naturelles et ainsi, comme par magie, les défauts passeront pour d'admirables imperfections. Quelques secondes, donc, le temps d'un titre inaugural déjà réconfortant : sur Thumb, muni de son ukulélé, le chanteur révèle ses plus belles vocalises pour un mémorable credo :  « We will not be weakened, anymore ». Tout est dit. Signé chez Song by Toad Records, Meursault détient le pouvoir quasi hypnotique de s'accaparer tout ce qu'il touche. Ce troisième album contient très peu de défauts, porté par des instrus riches et automnales sans paraître adipeuses : Hole en atteste, où chaque instrument se place exactement là où il doit être, en toute simplicité. La voix de Pennycook, bordée de mille textures (Dearly Distracted), y est pour beaucoup. Elle porte en elle une dynamique qui, de la première à la dernière note, irrigue ce disque délicat et rocailleux. Pas assez pour crier au génie cependant, car si Something For The Weakened semble aussi bien mené, c'est parce qu'il ne prend jamais le risque de perdre l'auditeur dans un sentier inoccupé, d'où la sensation d'hypnose, justement. Mais le groupe n'hésite pas à reprendre un ancien titre pour lui donner un tout nouveau visage (Lament For A Teenage Millionnaire, également présente sur leur premier opus). Ce troisième ouvrage n'est ni une révolution, mais ne sonne pour autant pas la fin des haricots, car il en reste encore pas mal à Ecossais.
7/10
(Differ-Ant, 2012)