lundi 21 mai 2012

Hannah Cohen - Child Bride (2012)




On a cessé de compter le nombre de midinettes ayant délaissé les défilés de mode pour se reconvertir dans la musique, tellement peu trouvant grâce à nos tympans bien pointilleux. Quelqu’un nous a dit que c’était encore un effet de mode. Serait-ce possible alors de franchir la scène sans se prendre les pieds dans le tapis ? Au diable les doutes car, Hannah Cohen les dissipe tous. Issue d’une famille de poètes et de musiciens, l’Américaine, aussi passionnante à écouter qu’à admirer, a parcouru le monde, tantôt muse de photographes (Richard Prince, Terry Richardson) à New York, tantôt elle-même derrière l’objectif pour délivrer sa vision du Brésil. La belle adule Caetano Veloso. Elle a vite compris que la meilleure façon de briller réside dans la mise en retrait. Incroyablement fluide et intime, Child Bride marque par sa consistance et sa fragilité, mais aussi par l’assurance naturelle de l’ex-égérie. Jamais putassier ni trop intime, l’album dévoile un soin malicieux accordé aux arrangements (piano, guitare, cordes), dosés avec intelligence, sans fioriture mielleuse, qui s’allient à la voix féline et charmeuse de Cohen. Thomas Bartlett (Doveman) à la production, connu pour ses talents de claviériste aux côtés de The National, Antony and the Johnsons et Martha Wainwright, incorpore ici la teneur suffisante pour atteindre l’équilibre entre douceur mélodique (folk et pop) et cohérence rythmique.

 Hannah Cohen s’épanche dans des balades folk où sa voix, envoûtante et lunaire, nous narre les plus belles histoires (Don’t Say, Sorry). Dénué de moments creux, Child Bride est une envolée sereine et majestueuse. The Crying Game, ses arpèges de guitare et ses timides accords de piano, tirent les larmes. Hannah Cohen, plus élégiaque et touchante que jamais, est incroyable dans sa manière à elle de clouer sur place sans avoir à en faire trop ni à surprendre. Irrésistible sur Shadows, elle rappelle Kazu Makino et la grande époque de Blonde Redhead avec Misery Is A Butterfly (2004). Sur le titre le plus pop et élancé de l’album, où elle reprend un morceau de Doveman, elle se fait tour à tour féline, inquiétante et troublante. Boy + Angel et son clavier fantasmagorique, atteint le magique avec sa lignée mélodique pop accrocheuse. Il n’y a pourtant rien de sidérant, pas même de trouvaille béante sur ce premier album. Son évidence, son charme immédiat et sa retenue éclosent sans effort. Telle une fleur qui, avant même de se révéler, s’est déjà imposée comme la plus sensible, entourée de plantes sans teint ni âme. 

8.5/10

(Bella Union/Cooperative Music)



Yppah - Eighty One (2012)




Yppah. Six ans déjà qu’on se délectait de ce talent précoce, parvenu à nos oreilles par la grâce de You Are Beautiful At All Times (2004). Un premier album bâti comme une odyssée sonore, osée et saisissante, quelque part entre les invétérés My Bloody Valentine et le hip-hop samplé de DJ Shadow  sur Endtroducing (1996). Même architecture, en plus rock, sur They Know What Ghost Know (2009), aux fondations solides confirmées trois ans plus tôt. Et puis, Joe Corrales Jr. a décidé, sans prévenir, de chercher l’inspiration à Galveston, sur la côte du golfe du Texas, pour composer Eighty One. Le titre, référence à l’année de naissance du bonhomme, pourrait tout aussi bien indiquer en mètres la chute subie par l’auditeur à l’écoute de ce troisième effort. Tout ce qui faisait l’authenticité et la force d’un artiste de cette trempe s’est subitement évaporé dans les limbes de l’Atlantique. Yppah, conscient d’avoir pris du galon grâce à ces précédentes compositions, gagne ici en immédiateté ce qu’il perd en profondeur. Aucun titre de l’album ne permet de se raccrocher aux contours crépusculaires et fouillés d’anciens morceaux comme I’ll Hit The Breaks ou The Subtitles That Count.  Les sonorités se font plus frappantes, plus sophistiquées que par le passé mais sentent plus le plaqué que la terre sèche. Truffée de samples et de boucles hip-hop, la production froide comme de la glace masque la véritable patte de Corrales et sa mélancolie inspirée.  Si Never Mess With Sunday ou Paper Knife parviennent à séduire, le côté fourre-tout et les moments parasités par des effets creux (R. Mullen) dominent. Evoquons à peine la présence de la chanteuse Anomie Belle, qui plombe un morceau à chaque fois qu’elle y pose sa voix. La virtuosité de Yppah n’est pas remise en cause ni entamée, elle se fait juste cruellement attendre tout au long de ce vertigineux saut dans le vide.  

4/10

(Ninja Tune/PIAS)

jeudi 10 mai 2012

Light Asylum - Light Asylum (2012)



Deux gladiateurs arpentent l’arène, prêts à tout faire virevolter sur leur passage. Armés de mélodies synthétiques et rageuses, la terre prend les contours d’un dance floor mouvant sous leurs commandements. Que personne n’ose riposter, car Shannon Funchess et Bruno Coviello sont bien décidés à tout détruire sur leur passage. Si l’EP In Tension (2011) ne laissait aucun doute sur leurs intentions dévastatrices, ce premier album sonne plus évocateur encore. Au cas où certains voudraient s’y frotter, Shannon Funchess, de sa voix puissante et robotique, prévient : « Charge me / Charge me », répété machinalement sur la flippante Pope Will Roll. Mais pour espérer sortir indemne face à l’arsenal de guerre sonique et couillu, une seule issue : se laisser happer par les rythmes rocailleux, les boucles entraînantes qui font l’atout de Light Asylum. Le flow est ici la meilleure défense possible. Difficile d’y résister sur la fringante Angel Tongue, où le même gimmick inlassablement scandé se meut en danse enfantine et libératrice. 

Sans la classe et le groove naturel de James Murphy, Funchess et Coviello visitent les mêmes terres électro que LCD Soundsystem, avec moins de finesse cependant. Shallow Tears, ses tambours spartiates et son chant final digne d’un opéra rock, comporte tout l’ADN du son de Light Asylum : boucles tapageuses, énergie ébouriffante et grossièreté mélodique.  Le duo est certes imbattable sur ce terrain, il en devient malgré tout prévisible et facile à appréhender, tant les armes déployées se ressemblent (mêmes boucles, même chant) et ne suffisent pas à éviter le bain de sang généralisé. On se rend, regrettant un combat pas très équilibré mais somme toute heureux d’avoir tenu tête au plus vaillant.

6/10

(Mexican Summer/Cooperative Music)