mardi 18 décembre 2012

Album of the Year 2012



#1 Valgeir Sigurðsson

Architecture of Loss


Comment pouvait-il en être autrement ? Si l'Islandais (Pitchfork lui attribue un sévère 7.0 ; aperçu dans aucun top sauf celui de Gwendal Perrin, le plus islandophile des Bretons) a ravi la première place au Shields de Grizzly Bear, c'est parce que... Rien. A ce niveau là de création musicale, même un cheveu est une unité de mesure trop grossière. Il y a des histoires derrière ces petites histoires que sont les disques. Des détails, en-deça de la subjectivité. Disons simplement qu'Architecture of Loss m'a replongé dans mes souvenirs islandais et aussi parce qu'à année particulière, album de l'année original. Peut-être que certains prendront la peine de l'écouter, plus que s'il avait été #2. A vous de voir hein. C'est spécial. Moi j'aime. Avec vous ?



En musique comme ailleurs, il n'existe que peu de place pour le hasard. La constance s'appelle le talent, et la variable, la chance. L'opportunité d'éclore. Mais invariablement, il y a ces disques, ces oeuvres, que l'on découvre à l'aube ou la nuit, après un bonheur profond ou un piteux échec. Et qui ne vous lâchent plus, car vous les aimez tant qu'ils prennent soudainement possession de vous. Valgeir Sigurðsson est peu connu, disons-le franchement. Il est pourtant derrière de nombreux albums plus ou moins fréquentables : la co-production en Metals (2011)de Feist, l'ingénierie de l'organisme de Vespertine (2001) et Medúlla (2004) de Björk mais aussi le trou d'air Music Hole (2008) de Camille, c'est lui. Son patronyme ne fait aucun doute : l'homme nous vient d'Islande qui, une fois de plus, dévoile à la face de la stratosphère ses pépites. Non pas un coucher de soleil sur le lac de Jökulsárlón, ni un volcan fiévreux prêt à en découdre avec les continents. Un trésor humain qui fait de son instinct un monument. Architecture of Loss est de ceux-là. Proche des compositeurs Craig Armstrong et Jóhann Jóhannsson dans la conception cinématographique de leur musique, Valgeir Sigurðsson n'a plus à se cacher derrière ses pairs. En Islande, dans un élan d’auto-dérision, il est de bon ton d'affirmer que tous les autochtones font partie de la même famille. Ce n'est donc pas une surprise si ces artistes ont l'air de partager le gène du talent inné. Là-bas, lorsque les jours se font cruellement courts et les nuits froides, il ne reste guère qu'à se recueillir dans ce que tout être a de plus précieux : le don.  


Sur son premier travail solo de 2007, Ekvílibríum, le compositeur érige un discret et curieux édifice sure lequel le songwriting repose sure la délicatesse et le silence. Et l'ellipse. Trois ans plus tardDraumalandið (“Dreamland”) sert de bande originale à un documentaire traitant de l'exploitation des ressources naturelles en Islande, de la destruction des paysages crépusculaires du pays et des ravages causés par les industries d'aluminium. La dénonciation et pas seulement la contemplation : voilà l'essence même de la musique de Sigurðsson, là où ses compères de Sigur Rós ont longtemps préféré l'aspect descriptif. Cette volonté de ne pas laisser les choses et les éléments couler irrigue constamment sa troisième œuvre, Architecture of Loss, qui réussit l'exploit d'apaiser le corps tout en torturant l'âme. Chaque écoute du disque sonde le monde qui nous entoure et nous renvoie à notre propre finitude : que faisons-nous sur Terre ? Si l'on réalise qu'on n'est peut-être qu'un mécréant sur pattes qui ne rend ni les choses meilleures ni pires, qui se contente de se laisser vivre, alors peut-être faudrait-il songer à partir. Tel est le tentaculaire mais réaliste message délivré par l'Islandais. Pour lui, le monde n'est déjà plus. Les titres des morceaux en attestent : World Without Ground ou encore Reverse Erased sont d'une transparence destructrice qui fait froid dans le dos. Les démons ne sont pas laissés derrière soi : ils sont combattus, à l'arrachée, dans un valeureux combat où la musique vainc à tous les coups (bas).

L'artiste s'est entouré de ses compagnons présents sur son album de 2007. Des fers de lance du label Bedroom Community : le claviériste Nico Muhly, déjà aux côtés de Sufjan Stevens et Bryce Dessner au sein du projet Planetarium, Nadia Sirota au violon (sa performance confine à l'époustouflant) et le multi-instrumentiste Shahzad Ismaily. Le fil conducteur est le même que son son précédent opus, à la différence près que Valgeir ne se dissimule plus non plus derrière des images : ils les créent lui-même, à l'envi. Ce n'est pas toujours beau à voir : Reverse Erased, d'une noirceur absolue, évolue vers une marche frénétique et apeurée, jusqu'au final, résolument apocalyptique avec des cordes subjuguées et cinglantes. Ça n'en demeure pas moins magnifique à écouter. Il y a une telle osmose entre les émotions, les sonorités et les photographies qu'induisent ce disque qu'il crée un liant sans fin, une exploration voltaïque non sans danger mais diablement excitante. Architecture of Loss est un album, au sens conceptuel du terme, que l'auditeur se doit d'écouter du début à sa fin, comme une histoire rattachée par des fils de soie. Là se trouve la moelle de l’œuvre : l'homme n'est ni bon ni mauvais, il est juste vulnérable ou inattaquable selon les expériences qu'il traverse, les sols qu'il souille ou découvre, à petits pas, avec fracas. 


L'inaugurale Guard Down décrit parfaitement cette ambivalence : les cordes chevrotantes donnent l'impression de pouvoir exploser à tout moment, avec des staccatos assez flippants. The Crumbling, qui la suit, montre alors une face plus humaine et fragile de l'entité que fonde l'artiste : un piano d'une noirceur et d'une identité apocryphes, des cordes reluisantes et stridentes, tout est là. World Without Ground poursuit merveilleusement le triptyque. Mais Valgeir Sigurðsson s'accorde fort heureusement (pour nous et surtout pour lui) des moments de répit : la candeur sensible et apparente de Between Monuments ou la très picturale Plainsong révèlent le penchant vivifiant et sublime du travail de l'Islandais. Oui, les cordes sont omnipotentes bien qu'elles ne semblent jamais superflues. Elles dictent le tempo de la marche, vers l'abysse ou le céleste, c'est selon. Et quoi de mieux que ces cuivres enivrants de douceur sur Gone Not Forgotten, arrivés à point nommé pour, au final, ne jamais choisir sa voie : l'existence et la décrépitude sont pensées dans un seul et même schéma. C'est ce qui rend l'issue si incertaine et cette architecture de la perte si fantastique. Jamais elle n'impose à l'auditeur telle ou telle direction. Se fiant à son intelligence et à son instinct, il est libre de préférer le chaos ambiant à la tranquillité primesautière qu'offrent la vie. Lui seul décide, car le destin ne le fera pas pour lui. Valgeir Sigurðsson confère ainsi une force d'agir et une puissance inestimable à l'Homme, à son libre arbitre et à sa capacité de toucher du bout de ses doigts l'or, l'authentique et le majestueux. Levez les yeux, la fin vous ouvre les bras. Ne tombez pas, le sol se défait sous vos pas. L'insoutenable élévation de l'être par la musique, ses sentiments et, par dessus-tout, les éléments.

lundi 17 décembre 2012

Top Albums 2012 (10 -> 2)

Dans une année normalement constituée, sans fin du monde, sans enfants tués ni fous à lier, chacun de ces albums aurait fini en haut du podium. La musique est insaisissable, et elle le restera. Le PSY coréen n'a pas encore réussi à franchir la barre astronomique du milliard de brebis sur le YouTube, les Spice Girls présentent une comédie musicale à Londres et Birdy continue de faire sa pétasse en s'accaparant l'une des plus belles chansons folk des dernières années. Sinon, tout va bien. Il y aura toujours des disques, tant qu'il y aura des gens pour les écouter. Il y aura toujours des cons pour ne pas les apprécier, mais ça c'est leur problème. Le marché des concerts est plus instable, contrairement à ce que tous les magnats veulent nous faire croire. J'y reviendrai, en 2013. Retenons pour l'instant ces dix disques, différents, prégnants, salvateurs. Ce sont le travail  de ces artistes qu'il faut louer, pas les magazines ni les gens qui vous les présentent. 


#10 David Byrne & St. Vincent 
Love This Giant


L'un, leader charismatique de Talking Heads, n'a plus sa réputation à faire. L'autre, grande musicienne qui n'a pas encore le succès qu'elle mérite, est prête à toutes les aventures. Sur le papier, la collaboration prêtait à la surprise, à l'audace. Sur disque, c'est en réalité tout sauf une surprise. C'est un incroyable pari plus que réussi. Love This Giant a la texture d'un objet rare et les contours d'une merveille pastel terriblement classe. Des compositions jazzy, sensuelles et osées, ne cédant jamais à la facilité sans non plus tomber dans la démonstration absconse. David Byrne et Annie Clark livrent un album hors-norme, peut-être l'un des plus risqués de l'année, mais diablement malin et honnête. Injustement boudé par la critique, Love This Giant est une oeuvre pas évidente, saisissante, qui appelle au respect. Une suite bientôt ? 

#9 Tame Impala 
Lonerism


On connaissait le potentiel des Australiens, leur sens de la punchline auditive, leur attitude fièrement crâneuse. Innerspeaker (2010), leur premier effort, montrait tout cela à la fois. On était pourtant à des années-lumière d'imaginer que Lonerism pouvait se révéler aussi impactant et nécessaire. Lorgnant sans rougir du coté du meilleur des années 1970, le groupe livre un album quasiment parfait, brut. Les claviers, au service d'un psychédélisme ardent, confinent aux réceptacles sacrés, tandis que les aguicheuses guitares ne semblent jamais trop en faire. Même si tous les titres sont des tubes immédiats (Elephant en tête), l'album n'est, loin s'en faut, sans liant ni cohérence. Avec Tame Impala et Jonathan Boulet, l'Australie marque au fer rouge les belles lettres de la musique indie.

#8 Patrick Watson 
Adventures In Your Own Backyard


Patrick Watson est incroyable. Son apport au Cinematic Orchestra est colossal, ses disques solos sont des merveilles absolues, le mec est adorable. Que demander de plus ? Là encore, Adventures In Your Own Backyard n'a pas bénéficié de la meilleure promo qui soit, mais qui donne un fuck ? Toujours cristallin et sondant l'imaginaire, Watson n'a pas son pareil pour émouvoir, briller, sans donner à pleurer dans les chaumières. D'une incroyable luminosité, très libre et toujours très inspiré, l'album laisse tout simplement coi, car il est inattaquable. Il vient de Montréal, évidemment.

#7 Chromatics
 Kill For Love


Difficile de passer à côté de Chromatics en 2012. Même si peu connaissent leurs précédents albums, les chroniques de Kill For Love laissaient à croire que tout le monde connaissait les Américains comme personne. Il est de bon ton de les encenser, alors que Night Drive (2007) annonçait déjà la couleur. Mais soyons honnêtes, l'album est renversant. Ruth Radelet et ses amicos ont pourtant une street cred assez dégueulasse : certains trouvent leurs concerts prétentieux et masturbatoires. Sachez aussi que certains sont des cons qui adorent fouetter le dos des soi-disantes impostures du moment. Le groupe est plus simple que beaucoup ne veulent le croire. Kill For Love a mis des années à voir le jour. Sans être parfait (quelques longueurs et redites par-ci par-là), il est, mieux, éblouissant. Rarement un disque n'aura autant mérité l'appellation d'album conceptuel. Conceptuel n'a rien de péjoratif : les 17 morceaux s'assemblent tellement bien, ils dessinent si joliment ce décor nocturne, brumeux, parfois inquiétant mais ô combien suave dans lequel certains titres nous plongent, que son aura est dès lors décuplée. Tuer non par amour, mais pour l'amour. 

#6 Animal Collective 
Centipede Hz


Alors que tout le microcosme s'extasiait (à raison) sur Merriweather Post Pavilion (2009) et beaucoup ont fait la gueule à l'écoute de Centipede Hz. Oui, le groupe véhicule une image équilatérale, de mecs qui n'en ont rien à foutre de leur public et qui écrivent leur partition musicale avec de la sauce samouraï. Emoi. Mais lire de la plume de Jean-Vic Chapuis, dans son édito Voxpop de cet été "Animal Collective sont avachis, répondent à contretemps, ont l'air de s'emmerder. Des robots sur lesquels on aurait appuyé sur le bouton "En promo je ne parle que de ma promo. Bip, bip, bip...", me semble déplacé. L'interview a tout de même été publiée. Coup fatal, puisque Voxpop met la clé sous la porte. Centipede Hz n'est pas le meilleur AnCo, il prouve quand même que les gars ne se laissent pas dicter par l'air du temps. Et en plus, ce sont des crèmes. (Ah et Dave Portner aka Avey Tare prépare un successeur à Down There, mais chut).

#5 Perfume Genius
 Put Your Back N2 It


Mike Hadreas est talentueux, Mike Hadreas est beau garçon, Mike Hadreas a subi violences et agressions sexuelles. Il ne s'en est jamais caché. De quoi horrifier la première victime. Pas lui. Envisager la musique comme une thérapie est sacrément couillu et casse-gueule, quand on sait à quel point livrer une partie de soi devient parfois un acte de bravoure. L'Américain semble toujours à fleur de peau, toujours en décalage. Pour Put Your Back N2 It (vous voulez vraiment une traduction ?), il dit s'inspirer de sa mère et des films pornos. Après un honorable Learning (2010) en guise d'album de carrière, Perfume Genius a semble-t-il très vite après car ce sophomore est une étourdissante démonstration de songwriting. Il y a tellement de lui dans ses chansons, jamais sa sincérité n'est en cause, que ne pas les aimer serait détester une personne que nous n'avons jamais rencontré. Arbitraire. Si Hadreas parvient à lâcher son instrument de prédilection - le piano - pour s'essayer à des sonorités plus troublantes ou exotiques, il pourrait réaliser qu'on n'apprend jamais mieux à savoir qui l'on est lorsqu'on s'oublie un peu. 

#4 Frank Ocean 
 Channel Orange


On pourrait écrire un livre Frank Ocean. Son incroyable ascension. Son étrange parcours. Dans cette tentative de vendre un R'n'Bisme cérébral, Ocean fait office de chevalier parfait. Puisque tous les tops le recensent dans les meilleures productions de l'année (hyper-mérité), n'allons pas en rajouter. Pointons plutôt les quelques faiblesses de Channel Orange. Si Frank le centriste a une capacité à pondre d'exceptionnelles chansons comme Pyramids, Thinkin Bout You ou Bad Religion, je peux pas m'empêcher de penser que tous ces interludes ne servent que de remplissage. Même remarque que pour Janelle Monae (The Archandroid) ou Arcade Fire (sauf que sur The Suburbs, même les "vrais" morceaux étaient du remplissage). Ca n'apporte pas beaucoup de liant, au contraire, ça a tendance à casser un peu le rythme. Que de détails par rapport à l'immense qualité du disque, d'un artiste hors du commun et d'un petit homme plein d'amour. 

#3 Dirty Projectors 
 Swing Lo Magellan



Quel album, quel album. N'étant pas fan de Bitte Orca, leur album de 2009, je n'attendais pas grand chose de Swing Lo Magellan. A dire vrai, je l'ai écouté pour le titre. Et pourtant, c'est un disque comme rarement j'en ai entendu. Frappant de virtuosité. Moins foutraque que son frère ainé, le Magellan s'improvise dans une conquête folle : sonner résolument moderne tout en ne reniant pas ses racines passées. Peu y parviennent. L'album n'est pas évident, il est rêche parfois, souvent gênant, mais le tout est d'une cohérence ! Le penchant 2012 de Stilness is the Move est sans conteste le tube imparable Gun Has no Trigger, subjugante épopée pop d'une évidence très énervante. Le titre monte en puissance, les coeurs féminins frôlent la perfection de grâce, et la voix de Dave Longstreth est à son apogée de maîtrise. Ce qui tue est simple : c'est cet équilibre parfait entre des sonorités bidouillées et complexes et ces lignes de guitares convoquant les plus grands. Uppercut.  Longstreth déclarait il y a peu se placer entre Thom Yorke et Beyoncé dans le jeu de l'oie musical. Pessimiste sur le chaos subi par l'industrie, s'est-il jamais dit qu'il y remédiait ? Car Dirty Projectors est une formation périlleuse : bon nombre d'anciens membres s'y sont cassé les dents. Quelle plus belle victoire qu'une expédition difficile et magicienne ? Swing Lo Magellan est un chef d’œuvre absolu. Son génie tient à cette capacité de redonner sens au terme "chanson", tout en n'en respectant pas les règles. Maestria. 

#2 Grizzly Bear 
 Shields



Simply. Perfect. L'album d'une vie. 
-> Chronique + Live report

vendredi 14 décembre 2012

Top Albums 2012 (25 -> 11)


#25 Spitzer - The Call


Appelez cela comme vous voudrez : révélation, bombe, trop-de-la-balle, made in France.  Damien (batterie) et Matthieu (guitare), révélés par le festival Les Nuits Sonores, ont transformé leur cocon ménager en studio d’enregistrement à Lyon. Pas de temps à perdre. Quelques remixes osés (Kylie Minogue, Sally ShapiroPortishead) et le tour est joué. Car The Call est un de ces disques qui appellent au respect, à l’écoute minutieuse et surtout à la danse énamourée. Quel flair qu’a eu – encore une fois – le label InFiné sur ce coup-là. Spitzer renvoie des mecs comme C2C dans un champ de Bourgoin Jallieu, entre les vaches à lait productivistes et les faiseurs d’opinion à l’instinct grégaire. -> Chronique complète ici
A écouter : Breaking The Waves, Clunker, Masbat.

#24 Benjamin Biolay - Vengeance


La réputation du Monsieur n'étant plus à faire, passons sur son statut d'icône de la chanson française? Avec Vengeance, Biolay se livre à un exercice périlleux : éviter de faire d'un disque polyphonique (instrumentations opulentes, touche-à-touche) un simplet name dropping à deux balles (Vanessa Paradis, Orelsan, Oxmo Puccino, Carl Barat, etc). C'est réussi. Vengeance n'est le fruit que d'une longue et remarquable carrière, de ces premiers disques passés inaperçus alors que l'on a l'intime conviction qu'ils sont bons et profonds. Revanchard, le petit. Et gagnant sur toute la ligne.
A écouter : Ne Regrette Rien, Sous le Lac Gelé, Personne Dans Mon Lit.

#23 Tindersticks - The Something Rain


N'étant pas un spécialiste du groupe, ne comptez pas sur moi pour vous dire que "ce neuvième album est l'aboutissement d'une carrière merveilleuse, l'auréole d'un cheminement implacable, un rayon de soleil dans nos souvenirs meurtris par l'absence" (non mais sérieux quoi). Je me contenterai de relever les grandes qualités d'un disque taillé pour les saisons froides (je vous ai déjà parlé de la théorie des saisons ?) : The Something Rain parvient à faire naître une émotion, qui nous prend à la première croche et qui ne part que longtemps après la fin du disque. Et ça c'est fort. Difficile de récompenser un seul titre tant le disque brille par sa teneur, mais The Fire of Autumn est quand même une bonne tasse de thé qu'on avale par le coeur. 
A écouter : Chocolate, The Fire of Autumn, A Night to Still.

#22 Mount Eerie - Ocean Roar


Après avoir lâché son projet The Microphones en 2003, Phil Elverum n'a pas chômé, au point de sortir deux albums cette année : Clear Moon et celui dont je vous parle. Ce dernier satisfera tous ceux avides de post-rock délicat, de sonorités brumeuses et puissantes. Pas révolutionnaire mais vraiment prenant. 
A écouter : Pale Lights, Ocean Roar, I Walked Home Beholding.

#21 Mermonte - Mermonte


Beau et envoutant comme rarement la pop française l'a fait, Mermonte délivre le meilleur disque français de l'année. D'une délicatesse et d'une fraîcheur inouïes, l'album donne envie de prendre le large, sur un voilier, et de ne jamais se retourner, si ce n'est pour contempler les espèces de l'océan. Je pense que Ghislain Fracapane et les neuf (!) autres musiciens du groupe sont capables d'aller beaucoup plus loin, à condition d'insuffler un peu de sang à ces compositions trop parfaites pour faire vraiment mal. Mais quand même :  régal absolu.
-> Chronique complète ici + portrait de Mermonte.  
A écouter : David Le Merle, Eté, Oups.


#20 Godspeed You! Black Emperor - Allelujah! Don't Bend! Ascend! 


Beaucoup de choses ont été dites sur cet album de GY!BE, le premier en 10 ans. Comme quoi "Godspeed n'évolue plus, fait du surplace". Peut-être. Il aurait pu sortir dix ans plus tôt, le disque n'aurait pas été plus précurseur. Mais ce n'est pas tant les Canadiens qui n'ont pas changé que l'équilibre du monde lui-même qui s'est bouleversé. GY!BE a longuement fait état de son inquiétude face au "chaos". Sauf qu'en une décennie, tout est partie un peu plus en couille, donc pas de raison que l'album ne noircisse un peu plus le tableau. Même si on aurait aimé plus de claques (à ce titre, Lift Your Skinny... et Yanqui U.X.O sont des ouragans dans la face), GY!BE n'a plus grand chose à prouver et n'en a plus rien à foutre d'être en avance. Pourquoi aller plus vite que le monde si c'est pour finir la tête coincée dans un tas d'ordures ? Pas de raison qu' Efrim Menuck et les siens payent pour les conneries des autres. Jamais un disque n'aura paru aussi en phase avec son monde. 

#19 Kindness - World, You Need a Change of Mind


Sur le papier, l'album avait tout pour se casser la gueule : titre pompeux, chanteur au look improbable, ode au "disco des années d'antan"... Pas de quoi jacasser dans son slip. Il n'y a qu'à voir les morceaux de World, You Need a Change of Mind joués sur scène en 2010 pour se dire qu'Adam Bainbridge allait droit dans le mur. "Alors pourquoi tu le fous en #19 ?". Bonne question. Kindness n'aurait pas volé sa place dans le top 10. Kill For Love de Chromatics à part, cette pépite est probablement la mieux produite de tout ce qui est sorti en 2012. Incroyablement discoïde et aventureux, World,... est d'une légèreté, d'une hétérogénéité stylistique à couper le souffle. Que des tubes, alliant funk, soul, jazz, pop, dans un même refrain. L'album est frais, stylé, terriblement séduisant, y compris dans ses fautes de goût. Bainbridge assume tout et suit son instinct. Ca peut paraître désuet, un peu vaniteux, ça n'en demeure pas moins excellent, et c'est tout ce qui compte. Puisse le monde en prendre de la graine. 
A écouter : SEOD, That's Alright, Cyan.

#18 Cheek Mountain Thief - Cheek Mountain Thief


J'ai eu la petite chance de rencontrer Mike Lindsey (ex-Tuung), chef de file de Cheek Mountain Thief, lors de mon séjour en Islande. Par le plus grand des hasards, nous nous somme retrouvés assis face à face prenant les mêmes cours d'islandais. "Ah, tu es journaliste musical ? Moi je fais de la musique, je reviens d'Husavik où j'ai enregistré un album, mais rien de foufou tu sais". Il n'en fallait pas plus pour qu'on aille voir plein de concerts ensemble. N'ayant même pas cherché à écouter ses travaux, c'est lors de mon retour en France qu'un pote me parle de Cheek Mountain Thief et que je daigne m'y intéresser. Putain la voix me dit trop quelque chose. J'ai mis plusieurs semaines à faire le lien. Alors bien sûr que le disque a une valeur un peu spéciale du coup, mais s'il avait été mauvais j'aurais été le premier à ne pas en parler. Sauf qu'il est génial, tu vois. Et que ce premier album sous ce nom est une merveille de folk artisanale orchestrale, sans chichis, sans "j'ai-mal-au-coeur-je-me-réfugie-dans-une-cabane-pour-composer" (bisous Justin). Non, Cheek Mountain Chief est joliment verni, bâti avec peu de moyens, mais avec beaucoup d'allure, de sobriété et d'entrain. Mike, si tu me lis... Takk fyrir
A écouter : Cheek Mountain, There's a Line, Darkness.

#17 Julia Holter - Ekstasis


La Californie a voulu la jouer pute en gardant pour elle Julia Holter, au point que Tragedy (2011), son premier album, est quasiment passé inaperçu en France. Tout est une question de timing, et tôt ou tard Holter allait être reconnue. Codirectrice du label Human Ear Music, meneuse de son projet The Remarkable Things About Swans, la belle n'est pas née dans les choux. On pourrait dire qu'Ekstasis, à l'image de son merveilleux single In The Same Room, est un condensé d'onirisme, de candeur, de bande son pour câlins avec son chat. J'y vois avant tout un travail titanesque, un souci de composition remarquable, et une formidable mise en abyme du songe. C'est comme si Holter voyait tout dans nos rêves, sauf que contrairement à nous, elle en extirpe les moindres détails, y compris les plus inavouables et amnésiques. Tout ceci est bien plus que mignon : c'est indéchiffrable. 
A écouter : Marienbad, In The Same Room, Four Gardens

#16 Beach House - Bloom




Tout le monde sait que Bloom est génial en tout point. Pour une fois, tout le monde a raison. Joyeux Noël.
A écouter : Myth, Lazuli, New Year

#15 Young Man - Vol. 1


Grand admirateur de Deerhunter, Animal Collective et Beach House, il était à craindre que Colin Caulfield ne se contente de piocher ici ou là du côté de ses pairs pour son sophomore album. Le résultat aurait été catastrophique et très peu inspiré. Il n'en est rien. Vol. 1, d'une terrifiante maturité, est là encore un précis de composition. A seulement 23 ans, Colin Caulfield nous attrape le coeur pour ne plus jamais le relâcher. Rien ne dépasse, rien n'est en trop, tout est absolument bien travaillé, bien pensé, ce putain de disque a un pouvoir hypnotique de malade. Ceux qui l'écouteront en pensant que ça suffira pour gépi toute la discographie des groupes à la cool du moment peuvent directement balancer leur matériel hi-fi par la fenêtre et se jeter avec par la même occasion.
A écouter : By And By, Do, 21.

#14 DIIV - Oshin

DIIV n'a pas vocation à imiter qui que ce soit, surtout pas Beach Fossils, dont Zachary Cole Smith, leader de DIIV, est membre. Ici, pas une seule croche ou demi-pause n'est superflue. Alors que les mélodies se déversent, la lassitude aurait pu pointer. Mais non, le rêve éveillé subsiste grâce à la pointe de nostalgie moderne qui ronge les titres. Pour l'exemple, Earthboy est d'une tristesse infinie quand on l'autorise à entrer dans notre tête. Quel incroyable équilibre trouvé ici, sans jamais tomber dans la torpeur apathique. D'une fluidité et d'une puissance magistrales, Oshin dérobe le bijou certes pas révolutionnaire mais qui brille de mille feux. Une telle intensité désintéressée, voilà ce qui manque aux productions actuelles, trop avides d'ostentation mal placée. Oshin est une escapade infiniment DIIVine. -> Chronique complète ici. 
A écouter : tout, l'album n'est pas un coupon gagnant à découper.  

#13 Jonathan Boulet - We Keep the Beat...


La nouvelle graine que propose Jonathan Boulet, 24 ans, est vouée à transformer le boulet en bouquet estival. C'est l'été dans ce côté de l'hémisphère, mais l'Australien connaît l'hiver et nous régale. Après un premier album éponyme (2009) enregistré et composé seul dans un garage comme un roc autodidacte, le jeune homme s'entoure ici de nombreux musiciens pour donner vie à ses idées farfelues. Comparables à l'énergie foutraque de Vampire Weekend, les compositions de Jonathan Boulet sont cependant plus denses, plus envolées et tout simplement plus belles. D'apparence bordélique et allumé, l'album est, si on l'observe de plus près, un édifice bien rangé, qui égaye par sa polymorphie et sa délicate folie. Tant d'énergie revigorante, vraiment. Des boulets aussi présentables et canons, on en voudrait à foison. -> Chronique complète ici
A écouter : Hallowed Hag, Piano Voca Slung, Black Smokehat


#12 Here We Go Magic - A Different Ship


Encore un groupe venu de Brooklyn, encore un grand nom signé chez Secretly Canadian, et encore une renversante production publiée cette année. Point trop de grâce et de magie ici nécessaire, c'est surtout l'excellence rythmique et le don d'insuffler à chaque note une authenticité exemplaire qui frappe. Bien sûr, le bijou est produit par Nigel Godrich (Radiohead, Air, Beck). Il n'y a pas de hasard. A Different Ship est fantastique de bout en bout. 
A écouter : Make Up Your Mind, I Believe in Action, How Do I Know.

#11 Sylvain Chauveau - Simple



La ville de Bayonne comporte deux intérêts majeurs : son jambon, dont la réputation n'est plus à faire, et Sylvain Chauveau. Simple répertorie 18 titres, inédits ou raretés, composés entre 1998 et 2010 et écrits principalement pour le cinéma. Pour sa deuxième livraison sous le label FatCat (après Un Autre Décembre, 2003), Chauveau frappe fort. Il n'est plus question pour lui d'étonner son monde comme il l'avait fait avec un album revisitant Depeche Mode (Down To The Bone, 2005). Qu'a-t-il encore à prouver ? Malgré l'hétérogénéité des sources et la densité chronologique des compositions, Simple s'écoute d'une seule traite, séduit par sa profonde cohérence et illumine par son inextricable beauté. Dès lors, on se plaît à espérer une collaboration de rêve entre Sylvain Chauveau et Nils Frahm, pour s'engager dans une folle entreprise : mettre le silence en musique, comme il semble en appeler à la fin de son œuvre. Il n'y a pas de raison que l'amitié franco-allemande ne soit légion qu'au sommet de l'Europe.  
A écouter : Within The Orderly Life, Everything Will Be Fine, Beast.

Fin du top albums 2012 publié prochainement. Que du lourd.

mercredi 12 décembre 2012

Bilan musical + Top Albums 2012 (50 -> 26)


Quelle année, quelle année. En 2012, la musique continue d'écrire ses lettres de noblesse, en dépit de toutes les crises. Comme tous les arts, les productions pullulent, au point qu'il est impossible de tout écouter, tout saisir, et qu'il faut déjà passer à autre chose. Mais, contrairement au cinéma (je compte sur les doigts d'une main les films qui m'ont marqués cette année), l'industrie musicale ne s'est jamais aussi bien portée. Ceux qui pleurent encore sur la chute des ventes et la fin du règne des maisons de disque doivent derechef quitter le XVIIe siècle. 

Le constat est tout autre : les ventes de vinyles explosent, le facteur financier n'empêche plus un talent de se faire connaître, même vivant au fin fond de la France, les festivals estivaux affichent quasiment tous complets (seule la Route du Rock fut un échec commercial), les stars musicales font énormément parler d'elles (pour le meilleur et pour le pire) mais n'empêchent pas aux autres de se faire une place. Rarement une année avait révélé autant de nouveaux noms. Côté français, on peut noter le succès retentissant de Lou Doillon, Aline, Pendentif, Melody's Echo Chamber, Granville, Lescop... Même topo en province mondiale. Je serais bien incapable d'établir pareille liste pour des réalisateurs ou des écrivains.

Sauf que. Le marché semble accaparé par une poignée d'acteurs, que la presse spécialisée porte aux nues au détriment de pléthores d'autres noms. C'est le revers de la crise : il est plus rentable de miser sur quelques chevaux de course plutôt que de mettre tout le monde à égalité sur la ligne de départ. Un petit tour sur les listes de fin d'année suffit à s'en convaincre : toujours les mêmes noms qui reviennent, toujours les mêmes publicités déguisées, et toujours les mêmes méthodes. Trois exemples : 

- Benjamin Biolay : Une des Inrocks, de Télérama et de Magic, trois Victoires de la Musique glanées à la sortie de La Superbe, promotion titanesque pour Vengeance (en écoute exclusive sur iTunes, concert unique aux Inrocks Festival...). Pour quelqu'un qui était ignoré voire souillé au début de sa carrière, c'est une sacrée revanche. Biolay rapporte, et les médias ne retiennent que ça, quitte à faire preuve d'instinct grégaire. 

- Lana del Rey : elle n'a rien inventé, n'a pas de talent particulier, et pourtant tout le monde n'a eu que son nom aux lèvres (refaites ?). Là encore, stratégie marketing en acier blindé : concert ultra sélect au Nouveau Casino en novembre 2011, pré-buzz, sortie de Born to Die en janvier, buzz, déclarations à tout va "J'arrête la musique mais n'oubliez pas d'acheter la prochaine réédition de mon album", retour de bâton avec une campagne de pub lobotomique (H&M). Et on la fait passer pour la future égérie de David Lynch ! 

- The xx : à force de vouloir jouer la carte du "d4rk" et du "on-est-différents", The xx s'est complètement vautré cette année. La Route du Rock, en misant sur eux comme tête d'affiche du festival, doit encore se demander comment renflouer les caisses pour assurer l'édition suivante. Beggars a même sorti le champagne en voyant la mise en avant de l'album à la Fnac. Et tant pis si Coexist est d'une platitude et d'une fadeur inédites, le style emo-goth-minimal a le vent en poupe. Less is more.

En dépit de ces tendances racoleuses et suiveuses, retenons le positif et la myriade de bons albums sortis en 2012. Première partie de mon top, here we go :

#50 Beth Jeans Houghton - Yours Truly Cellophane Nose 

#49 Spiritualized - Sweet Heart Sweet Light

#48 Breton - Other's People Problems

#47 Chevalier Avant Garde - Heterotopias

#46 Laetitia Sadier - Silencio

#45 Peter Broderick - It Starts Hear

#44 Light Asylum - Light Asylum

#43 Sébastien Tellier - My God Is Blue

#42 Chilly Gonzales - Solo Piano II

#41 Lou Doillon - Places


#40 EL-P - Cancer 4 Cure

#39 Hot Chip - In Our Heads 

#38 Lower Dens - Nootropics

#37 Hannah Cohen - Child Bride

#36 Swans - The Seer 

#35 Dark Dark Dark - Who Needs Who

#34 Dan Deacon - America

#33 Yeti Lane - The Echo Show

#32 Melody's Echo Chamber - Melody's Echo Chamber

#31 Jason Lytle - Dept. of Disappearance


#30 Chairlift - Something

#29 Get Well Soon - The Scarlet Beast O'Seven Heads

#28 Porcelain Raft - Strange Weekend

#27 Sigur Ros - Valtari

#26 Efterklang - Piramida

Mention spéciale aux albums de Motorama, Meursault, Fiona Apple, Jens Lekman et Para One qui ne sont pas passés loin de la sélection. La suite arrive bientôt.

mardi 11 décembre 2012

Top Tracks 2012 (10 -> 1)

#10 Holy Shit - You Made My Dreams Come True
Derrière une fringante ligne de basse juxtaposée à une rythmique faite de cordes, le titre tire sa superbe par par ses milliers détails et son refrain évident. En l'écoutant, on s'imagine dans les bras d'un ami ou d'un amour, à une autre époque, celle où tout allait mieux. La portée mélancolique du morceau et saisissante ; le feu d'artifice de cuivres dans la deuxième partie, terriblement bien amenée, brise le coeur pour en faire des flocons de bonheur distillés sur tous les toits du monde. Prodigieux. 



#9 Chevalier Avant-Garde - Young 
Si j'adore à un point inimaginable ce titre, c'est d'abord parce que c'est un tube monstrueux, aérien, mais aussi car il décrit pour moi les hauts et bas des coups de foudre. Young est une chanson sur l'amitié déchue. On s'aime, on est pareils, on se séparera jamais, tu m'as déçu, je ne t'ai pas compris, tu lis mes tweets en scred, je ne réponds pas à tes textos, le temps passe, qui es-tu ? 


#8 Dirty Projectors - Gun Has No Trigger
Avec Swing Lo Magellan, les Brooklyniens tiennent enfin leur chef d'œuvre. Difficile d'en extirper un seul tube, mais Gun Has No Trigger a quelque chose qu'aucun autre titre écouté cette année ne possède : une saisissante narration. L'album est un véritable roman, Dave Longstreth en est le fabuleux narrateur, et ce titre le chapitre le plus excitant. A la fois percutant et délicat, GHNT tient de la perfection, les voix féminines y sont pour beaucoup. Sans parler de la batterie et de la ligne de basse, atomiques. 



#7 Frank Ocean - Pyramids
Frank Ocean n'est pas un génie (pas encore, laissons-lui l'occasion de se vautrer) mais il est sans doute aucun l'une des grandes révélations de l'année. Derrière ces pyramides se cache un condensé de ce que ce talent de 25 ans est capable : une écriture sobre et rêche, des effets utilisés avec parcimonie, une aisance vocale stupéfiante, mais surtout un flow unique. Fou de littérature, figure du R'n'B cool et sensible, l'Américain insuffle une vraie force de caractère à ce titre fleuve (10 minutes). Et rien n'a l'air superflu, forcé ou surproduit ! La deuxième séquence du titre, poignante, est une leçon de musique. Ocean tsunamise (oups) en deux temps trois mouvements toute la discographie de Kanye West. 



#6 Sufjan Stevens - Mercury
Sufjan Stevens, again, en mieux, beaucoup mieux. Au-delà de ses productions de Noël et son triolet semi-raté s / s / s, Sufjan a surtout chamboulé son monde par un formidable concert à Paris où il présentait son nouveau projet fou, Planetarium. Il consacre une chanson à chacune des planètes du système solaire. On aurait pas parié cher sur la peau de Mercure, mais le fait est que c'est la mieux vernie. En substance, elle renferme tous les attributs de la patte du bonhomme : une introduction douce où sa voix rencontre un piano brut, auxquels viennent se mêler des cuivres, avant une explosion finale adipeuse. A ce titre, Mercury n'a rien de surprenant, mais esquisse à merveille les talents d'architecte sonore du Monsieur. 




#5 Kindness - It's Alright
Si voir Sufjan Stevens bien placé n'est pas une surprise, Kindness qui se hisse dans le quinté gagnant l'est déjà un peu plus. A la personnalité semble-t-il pas évidente et renfermée, Adam Bainbridge n'inspire pas une sympathie débordante. Mais là encore, quelle claque ! It's Alright terrasse toutes les genres : jazz, funk, soul, pop, rock, disco. Il y a tout. Tout. L'introduction, éblouissante, laisse place à une épopée swingante assez inespérée. Le titre n'a rien d'évident, et peut laisser de marbre. Toujours est-il que c'est une  preuve que les styles sont caducs, désormais.


#4 Grizzly Bear - What's Wrong
On va pas se mentir : si j'ai décidé du "un titre seulement par album", c'est pour éviter que vous mangiez du Grizzly Bear à toutes les sauces. Sans ça, vous trouveriez huit voire neuf titres de Shields dans ce classement, et vous m'auriez détesté. Mais là j'ai décidé de pas en faire des tonnes et me demande encore comment ce titre ne finit pas #1. Difficile à décrire, What's Wrong est un morceau exceptionnel car très travaillé, bien arrangé, mais aérien, avec une tension, une ligne de cuivres A+, et les voix d'Ed Droste et Daniel Rossen sont impeccables. J'ai l'impression de salir ce titre en tentant vainement de le décrire, ou ne serait-ce d'exprimer ce que je ressens à son écoute, mais tout va bien hein (puisque Grizzly Bear me demande, je réponds, bah ouais). Je ferme ma gueule là. On appuie sur Play ? 



#3 Hot Chip - Flutes 
Flutes est le titre que j'ai le plus écouté cette année. Tout cumulé, on doit avoisiner les 200 scrobblings. Ce qui est troublant ; car Hot Chip est vraiment vomitif sur scène, mais il y a un morceau qu'ils ont pas trop amoché : Flutes. Flutes fait partie de ces titres que des milliers d'artistes aimeraient avoir à leur actif. Car on ne sait pas ce qui les rend si particuliers. On sait simplement qu'ils envahissent notre esprit et qu'ils font partie de nos vies tellement il nous reviennent plus souvent à l'esprit qu'une visite à rendre chez un parent, par exemple. Il doit y avoir une explication neuroscientifique à cela, c'est sûr. Et ces Hot Chip, geeks comme ils sont, ont sûrement exploré cette brèche là. La faiblesse en nous.  



#2 Tame Impala - Elephant
Tout ce qui fut écrit ci dessus pour Flutes de Hot Chip vaut irrémédiablement pour ce titre de Tame Impala. A un détail près : il faudrait rajouter et oser parler de la putain de tension sexuelle qui jaillit de ce titre et qui donne envie de faire l'amour à à peu près tout le monde, ou de se trémousser au beau milieu de l'Ethiopie. Absolument indescriptible et diablement efficace, Elephant est le morceau parfait qui fait le pont entre un certaine héritage des années 1980 ainsi qu'une texture et une visée très moderne. Rien que la basse assure la démolition sans préavis de tous les titres de 2012. Et les Australiens sont immenses, car produire un titre d'une telle évidence tient de l'exploit. 



#1 Daniel Rossen - Return to Form
Moins on goûte aux grandes oeuvres, mieux on les savoure. En parler, c'est la même. Simplement, avec ou sans Grizzly Bear, Daniel Rossen reste un immense artiste, bien qu'on sache très peu de choses sur lui. Son EP sorti cette année,  Silent Hour/Golden Mile (chez Warp) en atteste plus que de raison. Rossen, et très précisément sur ce titre, rappelle Nick Drake (trop tard, c'est écrit) et son inégalable trésor Five Leaves Left, de par ses arpèges ambivalents, sa voix habitée, et la magnificence naturelle du morceau. Le jugement est personnel, mais si vous estimez que Return to Form ne mérite pas le statut de titre de l'année, laissez-le moi, j'en serai le dernier lésé.