jeudi 6 décembre 2012

Top Concerts 2012 (15 -> 6)

La review de concert est un genre de plus en plus délaissé par la presse spécialisée. Allez savoir pourquoi. Disons que, à l'instar des photographes qui shootent les artistes lors des trois premières chansons et puis s'en vont, les journalistes musicaux ne vont que très peu aux concerts, ou n'y vont pas pour les raisons qu'on croit. D'une part car les invitations se font plus rares et sélectives, et débourser 30 euros ou plus de sa propre poche, très peu pour eux. D'autre part, et il s'agit d'une dérive de la presse culturelle, l'objectif n'est plus de retranscrire des sensations, de jauger de la qualité d'un artiste sur scène, mais bel et bien de promouvoir. On ne raconte plus une prestation, on l'annonce. Le profit doit être immédiat. Fait : ni Magic, ni Les Inrocks (très peu dans le magazine, un peu plus sur le site), ni Pitchfork, ni tant d'autres publications spécialisées ou webzines ne consacrent des paragraphes à pareil exercice. En revanche, les encarts publicitaires sur les shows à venir, les agendas mis à jour de façon chirurgicale, ne manquent pas. On peut toujours le regretter, mais il semble que ce qui est à venir ne déroge pas à la règle : concerts de plus en plus courts, groupes qui tournent de plus en plus, industrialisation des festivals, etc. Bref, j'en ai quand même vu quelques-uns. Et des bons. 


#15 Prince Rama @ Le Grand Mix, Tourcoing


Peut-être le concert le plus étrange auquel j'ai pu assister. Faut dire que voir Taraka Larson débouler sur scène vêtue d'un immense voile blanc et se jeter dans la fosse telle une folle à lier, comme guidée par je-ne-sais-quel putain de commandement biblique, ça fout les jetons. Après cette mise en appétit stupéfiante de discrétion, Taraka et sa soeur, la bombastique Nimai Larson, emballent tout le public dans leur délire. Véritablement habitées, elles explusent une énergie revigorante, tellement séductrice qu'on se prend au jeu. Les Prince Rama n'ont même pas peur de trop en faire : elles ne se fixent aucune limite. Si, musicalement, leurs morceaux varient entre pétaraderie psychédélique et combo tribal organique safari à Tourcoing city, leur engagement scénique et leur fureur communicative font forte impression. Rarement une première partie aura autant donnée de sa personne tout en donnant l'impression que la fin de tout n'est plus une grossière fumisterie. 




#14 Black Keys @ Rock en Seine, Paris


A trop en attendre, on finit par être désappointé. Black Keys, c'est un peu les effets secondaires d'une cuite mémorable. Tout va bien, tout est réuni pour passer un bon moment, sauf qu'il manque un truc. Ce truc = le moment inattendu, imprévisible. Qu'on ne s'y méprenne pas, car la performance fut grande. Alignant les tubes, Dan Auerbach (guitare, voix) et le batteur Patrick Carney se livrent à fond, le public suit la danse, sans grande difficulté. Ils ont pour eux l'acclamé El Camino (2011), mais bien vite l'on prend conscience que les plus fouillés, les plus ténébreux et les plus rêches sont les morceaux issus de leurs précédents albums. Bien sûr que Lonely Boy ou l'exceptionnelle Little Black Submarinesfont mouche, mais à force de vouloir imposer le tempo, les Black Keys réduisent frénétiquement la durée de leurs titres en live, à tel point que certains dépassent douloureusement les 120 secondes. Résultat : un horrible faux rythme, une folie qui tombe à plat entre chaque chanson. Au final, le concert s'oublie aussi vite qu'il se termine (une heure dix seulement). Mais la dureté du jugement d'un excellent concert corrobore l'immense talent d'un groupe exaltant.


#13 Perfume Genius @ Divan du Monde, Paris



Là encore, légère déception. Car Mike Hadreas a livré, avec Put Your Back N2 It, l'un des albums les plus éblouissants de l'année, qu'on écoute encore aujourd'hui avec délectation. Mais la scène et le studio étant deux mondes bien distincts, Perfume Genius apparaît tantôt tétanisé, tantôt au bord des larmes, comme un enfant de 3 ans qui ne veut pas lâcher le bras de sa maman lors de la rentrée des maternelles. Le spectateur se sent du coup gêné, comme catapulté dans l'intimité d'un artiste sans rien demander. Mais bien souvent, il parvient à dépasser ce trop plein d'émotions (regardez son magnifique Concert à emporter filmé par La Blogothèque) pour dévoiler une sincérité très humaine. Mention spéciale à Dark Parts et Hood, somptueuses. A n'en pas douter l'un des grands artistes de demain.


#12 Chromatics @ Gaîté Lyrique, Paris


Petite mesure de précaution : déclarer à qui veut l'entendre sur Twitter que ce concert de Chromatics était réellement bon vous vaudra : A) des insultes B) des "t'étais bourré ?" C) des décrédibilisations ineptes sur votre capacité de jugement D) les trois réunis. Je n'en démords pas, les Chromatics, emmenés par la divine Ruth Radelet, ont quelque chose qu'aucun groupe touche, ni de près ni de loin. Un certain sens de la classe, une modération distinguée, mais surtout un énorme potentiel. Basses, batterie, guitares réunies, auquel on ajoute un chant de velours, pas besoin d'en faire des caisses pour hypnotiser l'audience. Si leur album contient des longueurs, le live ne dure même pas une heure. Mais quoi de mieux pour appâter, pour se donner une bonne raison de les revoir (vus également au Pitchfork, tout aussi bon, le public respectueux en moins) que de ne révéler que des soubresauts de talent inespéré ? Italiens Do It Better, surtout quand ils viennent de Portland.


#11 Villagers @ Ancienne Belgique, Bruxelles


Villagers a toujours été un groupe sympathique qu'on se plaît à écouter et à voir. Parmi tant d'autres. Cette époque est désormais révolue. Les Irlandais vont désormais viser beaucoup plus haut, frapper beaucoup plus fort. Comme régénérés par le fait d'ouvrir pour Grizzly Bear, Conor et les siens furent une première partie inespérée, quasi parfaite. L'ampleur rythmique apportée aux morceaux est très louable. Becoming A Jackal suivie de la pépite Nothing Arrived ont donné le ton de cette partition irréprochable. Villagers ne vont pas tarder à prouver qu'il faudra désormais compter sur eux, car Awayland, leur nouvel album sort début janvier et s'annonce sismique. Petit avant goût à écouter ici. Bonus : croiser les Villagers totalement éméchés à 5 heures du petit matin dans les rues de Bruxelles est assez exquis. Saint Patrick, everytime, everywhere



#10 Beach House @ Rock en Seine, Paris


Après 4 concerts de la paire de Baltimore auxquels j'ai assisté par le passé, celui-ci aura raison de moi. Une seule raison à cela : Bloom, leur fantastique album sorti cette année. Sur scène, le son nappé, les poses de Victoria Legrand, les envolées chahutées d'Alex Scally... Tout y est. Par rapport à leurs autres prestations, le cadre adéquat (en extérieur et en hauteur, le son pulvérise le soleil couchant) sied bien aux effluves amoureuses qui font palpiter nos cœurs. Le son se fait puissant, parfois agressif, et l'allure des trois compères (Daniel Franz s'ajoute à la batterie) sur scène confinent à la classe absolue. A de rares occasions, Legrand pousse un peu fort sur la voix et la batterie se montre trop envahissante. Mais l'alchimie est inaltérable. Victoria, fume tant que tu voudras, ta voix est de plus en plus belle, et ta crinière tellement romanesque. Voilà, grand concert. Marquant même, puisque le meilleur titre du groupe tout albums confondus est également fracassant sur scène. Tel un papillon nocturne éclairant la constellation de l'indie, Lazuli se pose là, tout bas, au sublime fracas.


#9 Benjamin Biolay @ La Cigale, Paris


Benjamin Biolay est un artiste à part. Sans aucun concurrent dans la longue famille de la chanson française (Dominique A, peut-être), le Rhônais a signé un superbe album il y a trois ans. Dithyrambes de toutes parts. Son Trash Yéyé paru en 2007 aurait pourtant dû nous mettre la puce à l'oreille : tôt ou tard, son génie allait être reconnu. Il le fut. Et ce concert fût ô combien attendu, le seul de 2012 de Biolay, venu présenter son remarquable Vengeance. La prestation fut à la hauteur des espérances. Accompagnés de quelques musiciens assez statiques, Biolay va et va vient sur la scène, tantôt avec une clope au bec, tantôt avec un verre de vin, au rythme de ses tourments. Bien que court, le concert atteint des sommets d'intensité assez stupéfiants : sur Los Angeles, sur Marlène Déconne, sur ce poignant duo avec Orelsan (voir la vidéo) et ce couple déchiré avec Jeanne Cherhal sur la phénoménale Brandt Rhapsodie. Le tout Paris était là, mais le public a salué l'artiste comme il se doit. A ne pas rater en 2013. 




#8 Metronomy @ Pont du Gard, Vers

J'ai pas vraiment envie de raconter là. Bisous. 


#7 Animal Collective @ Le Grand Mix, Tourcoing


Animal Collective a changé. Le groupe a pris de la bouteille, n'a plus grand chose à apprendre de ses pairs et surtout se fiche bien de plaire ou non. A Tourcoing, on les retrouve dans une petite salle bien foutue et un son quasi irréprochable en plus. Tandis qu'il fallait prier les cieux pour avoir droit à un morceau tiré de leurs albums il y a quatre ans (et encore, dans une version totalement retravaillée), David et les siens interprètent quasi intégralement les pièces de Centipede Hz, qui trouvent une régénérescence assez stupéfiante en live. Chaque membre demeure concentré sur son élément, interagit peu avec le public, moins par snobisme que par réelle imprégnation et souci de bien faire. Animal Collective est maître dans l'art de la transition, n'interrompant que rarement les titres, préférant laisser une note au diapason et bidouiller leurs instruments. Les temps morts ? Il n'y en a pas. Le groupe parvient à créer une osmose, à captiver une audience archi-conquise, car ils aiment la musique et surtout la respectent. 
Le clou du spectacle restera l'enchaînement Brothersport / Peacebone. Dotés d'une exceptionnelle rythmique, ces deux morceaux sont absolument gargantuesques. Le public, en totale transe, s'oublie, tant l'évidence est palpable : Animal Collective a eu ses hauts et ses bas mais fait figure de groupe précurseur, radical, total. Les souliers étaient, au départ, collés au sol par la bière renversée. Ils sont, désormais, glissants à cause de toute la sueur déversée. Pourquoi attendre l'aube pour s'enivrer dans un swing endiablé ?


#6 A Silver Mt. Zion @ La Maroquinerie, Paris 

Bon, soyons francos : le nouvel album de Godspeed You! Black Emperor après une décennie d'absence, aussi puissant soit-il, n'est pas un chef d'œuvre. Les deux derniers de Silver Mt. Zion, aussi remarquables soient-ils, ne sont pas essentiels à la survie. Les deux formations, dont les membres swinguent entre les deux, ont peut-être fait leur temps. E.R.R.E.U.R. GY!BE à la Villette en 2011 était... ailleurs. D'un hermétisme sans précédent, le groupe s'est bien rattrapé au Bikini de Toulouse, où le concert fut mémorable. Les Silver Mt. Zion, vus à Prague en 2008, étaient extraordinaires. Bis repetita à Paris, pour fêter les 15 ans du label canadien Constellation. Sur une scène très réduite pour leur collectif, les Montréalais ont tout détruit. Même si Efrim Menuck a dû regretter de demander à l'auditoire de lui poser toutes les questions qu'il souhaitait ("Qu'est-ce que tu penses du conflit israélo-palestinien ?", "Tu crois en Dieu, Efrim ?", "Hey Efrim, pourquoi t'es triste quand tu joues avec Godspeed ?"), ce petit jeu de Q/R a au moins eu le mérite de détendre l'atmosphère. Car un concert de Silver Mt. Zion n'est pas vraiment un concert. C'est plus que ça. Peu importe les titres interprétés, le groupe met un plaisir quasi sadique à transcender ses morceaux pour en faire de véritables ouragans. Et écrire sur un ouragan, c'est aussi le risque de finir noyé, de peur de pas avoir su anticiper sa portée... Y'a rien à dire en fait, allez-y !

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