mardi 4 octobre 2011

Sóley - We Sink (2011)




On aurait pu la voir venir. Sóley Stenfánsdóttir s'est faite un nom au sein du génial collectif Sin Fang (ex Seabear). A 24 ans, l'Islandaise vire désormais en solo, après l'EP Theater Island (2010) qui présageait de beaux horizons à venir. De la délicatesse, une voix de porcelaine (avec ce si particulier accent nordique) et un piano éclatant : la recette employée convainc. We Sink se déroule comme une pellicule photo, chaque pièce révèle celle qui la précède. Comme une éternelle enfant, Sóley clame sa singulière fantaisie. Premier constat : tout sonne (trop ?) charmant, un peu naïf mais attachant. L'omnipotent piano rencontre une discrète batterie pour créer un gimmick additif et dansant (Pretty Face). Sur Dance puis And Leave, Soley l'artisane dote ses morceaux de douces ruptures, de contretemps, tel un conte à rebondissements. 

Malgré tout, l'absence de titres plus percutants, de réelle envolée se fait sentir. Trop lisse, l'Islandaise ? Patience. Dès Kill that Clown, Sóley délaisse toute vérécondie et dévoile une face résolument plus fantasmagorique. Et audacieuse. Le morceau tant attendu arrive avec le brillant About Your Funeral : des claquements de langue, une valse lancinante, le tour est joué. Le morceau meurt absorbé par un enchevêtrement de voix habitées et un bricolage sonore rappelant les beaux débuts de Cocorosie. Le diptyque The Sun is Going Down est du même acabit, avec un clavier plus sobre et somptueux que jamais. Qu'il est bon de voir ces créatures étoilées hanter la bienveillante bulle dans laquelle l'Islandaise nous couvait jusque là. Et se laisser charmer, tout entier, en attendant le prochain rayon de Sóley. 

7.5/10

(Morr Music/La Baleine)



Apparat - The Devil's Walk (2011)




Mais où diable ranger Sascha Ring ? Tantôt DJ prolixe, tantôt compositeur sensible, l'Allemand dévore les genres comme autant de conquêtes à son actif. En explorateur permanent, il n'est jamais là où on croit. Et décide, pour ce nouvel opus, de s'exiler à Sayulita, un village mexicain au bord du Pacifique. De retour à Berlin, il change tout et se remet à la charge. Un éternel recommencement.

Le sublime Walls (2007) mettait déjà en lumière les qualités de mélodiste de Sascha Ring. The Devil's Walk, allusion à un poème de Shelley vieux de 200 ans, est de la même trempe. Eblouissant de bout en bout, l'album érige une cathédrale en perpétuelle construction. Des voix cosmiques et sacrées (Sweet Unrest) placent l'oeuvre là où elle doit être : très haut. On les retrouve plus discrètes sur la pop électronique de Song of Los, au charme immédiat. Anja Plaschg, alias Soap & Skin s'invite sur Goodbye, complainte sombre un poil convenue. Mais que dire de ce qui suit ? Le flow dévastateur de Candil de la Calle et ses faisceaux sonores sont à tomber. Et puis ? The Soft Voices Die, vernie d'un léger xylophone, de boucles rythmiques et de somptueuses cordes, touche comme rarement Apparat l'a fait jusque là. Une démonstration. Au jeu de cordes remarquable, la frénétique Ash Black Veil n'est pas en reste, rappelant les contrées solistes d'un Thom Yorke

D'une maîtrise implacable, lunaire et troublant, The Devil's Walk s'achève (et achève) avec Your House is My World, morceau d'une dextérité et d'une profondeur époustouflantes. Apparat, muni d'un ukulélé (oui), se meut en tisseur de toile d'un autre temps. Car quelle que soit la marche suivie par ce diable-là, sa destination finale importe peu. Le voyage se suffit à lui-même tant il permet de s'arracher, le temps d'un songe, à cette satanée destinée qui nous unit.     

9/10

(Mute/Naive)



En concert à la Gaîté lyrique le 12 octobre (Paris).

lundi 19 septembre 2011

Kasabian - Velociraptor! (2011)



Un jour, il faudrait songer à mettre au point une avancée chirurgicale conçue pour des mecs comme Tom Meighan. Une de celles qui l'autoriserait à chanter - le bougre n'a pas à rougir là-dessus - mais stopperait net toute autre élucubration orale. Car teaser sur une radio britannique que Velociraptor! représente ni plus ni moins "le futur" - prédictions courantes chez le meneur du groupe - a de quoi faire fuir. 

Abstraction faite de cette pichenette peu avenante, force est de constater que Velociraptor! est costaud. L'album démarre sagement, avec des compositions très écrites et fluides, loin des gros tubes calibrés qui firent leur gloire (Empire, Shoot the Runer). Goodbye Kiss ressemble sans détour à un titre d'Oasis, de la mélodie nonchalante jusqu'aux cordes un peu inutiles. Même refrain sur La Fée Verte mais en mieux, tandis que l'inaugurale Let's Roll Just Like We Used To, avec ses cordes rappelant The Last Shadow Puppets et son swing fringant, frôle l'excellence. 

Démarre alors un tout autre album, où les sonorités se font plus explosives voire tapageuses. Quand Kasabian se met à singer Offspring ou Muse, ça donne la désolante Velociraptor!. Un carnage. Mais quand Kasabian met à profit son énorme potentiel et prend des risques, jaillit l'époustouflante Acid Turkish Bath (Shelter From the Storm). Et que dire de Switchblade Smiles avec son beat tonitruant et son côté rentre-dedans désarticulé ? Se taire, et savourer. Mais, tantôt passable, tantôt phénoménal, claudiquant sans cesse entre expérimentations sonores et morceaux inodores, il manque un peu de constance à ce Velociraptor! pour faire croire à un futur vraiment "dévastator".

7/10

(Columbia/Sony Music)

lundi 12 septembre 2011

Cymbals Eat Guitars - Lenses Alien (2011)


En 2009, Cymbals Eat Guitars nous en collait une bonne : 'Why There Are Mountains' ? La réponse est donnée dans le premier album du groupe : pour multiplier ses perspectives, se détruire le corps d'efforts, mais surtout pour le plaisir de les réduire en fumée. L'urgent Why There Are Mountains (2009) éclatait en pleine face, dans tous les sens possibles. Le jeune quatuor de Staten Island laissait sa griffe par un son très influencé mais non moins ébouriffant. 

Lenses Alien est venu, le moment de la reconstruction aussi. Pas question de perdre du relief, non, mais canaliser l'énergie, pour éviter de s'écrouler prématurément dès l'étape du deuxième album, devient nécessaire. Sans rien perdre de sa superbe au niveau des instrumentations complexes et narratives, le quatuor a réduit son champ de vision. Et vise plus juste. La voix de Joseph d'Agostino, beau timbre désinvolte et juvénile, évite l'éparpillement. Sonic Youth rôde fréquemment, en particulier sur  Keep Me Waiting et Another Tunguska. Les deux groupes sont d'ailleurs produits par John Agnello. L'ouverture Rifle Eyesight, du haut de ces huit minutes, est une brillante symbiose entre les cymbales entêtantes de Matthew Miller, un clavier discret mais bien fichu et les dévastatrices guitares, au paroxysme de leurs capacités sonore et émotionnelle. Un sommet.

Si Lenses Alien atteint l'alchimie, c'est grâce à cet équilibre, à cette constante sensation de rupture non avertie. La délicieuse nonchalance de Shore Points (sous ses faux airs de MGMT) et la vibrante énergie déployée sur Secret Family résument le tour de force de cet album : associer un étoffé travail de composition, fait de variations, à une brumeuse intensité rythmique. De la surgit non plus la force d'anéantissement mais la faculté de création. 

8/10

(Memphis Industries/PIAS)

mercredi 7 septembre 2011

Le rayon de Sóley


Sóley Stefánsdóttir n'est pas vraiment une inconnue. A 24 ans, cette Islandaise au visage de poupée s'est faite connaître au sein du collectif Sin Fang (ex-Seabear). Et puis, le grand saut en solo, avec l'EP Theater Island (2010). A quelques jours du début de sa tournée, on l'a rencontrée dans un bar branché de Reykjavík. 30 minutes de retard, mais qu'importe : son sourire enfantin et son charme l'excusent sans mal. Sóley nous parle de ses amours musicales, de poésie et de son premier LP, We Sink, qu'elle défendra à la Flèche d'or, à Paris, vendredi 9 septembre.



Tu t'apprêtes à partir en tournée dans toute l'Europe. Comment tu te sens ?

Bien, très excitée. Je vais faire la première partie de Sin Fang avec mes propres chansons. Je joue aussi du clavier au sein de son groupe.

Pourquoi avoir décidé de mener une carrière solo en parallèle ?

Je ne l'ai pas vraiment choisi. Mon label m'a proposé de composer des chansons et six mois plus tard je sortais mon EP, Theater Island. C'est arrivé un peu par hasard. 

D'où te vient ce goût de la musique ? 

J'en écoute depuis l'âge de 4 ans. A 8 ans, j'ai commencé le piano et plus tard j'ai intégré une école de musique. Mais j'ai toujours été très timide. Au départ, quand je devais chanter sur certains morceaux de Sin Fang, je n'osais pas me mettre en avant, même si c'est agréable de s'entendre, oui.

Ta voix est très spéciale…

Je n'ai jamais pris de cours. D'un point de vue technique, je ne sais pas chanter !  En revanche, je n'ai jamais arrêté de jouer du piano. C'est l'instrument majeur sur l'album. Le piano est mon meilleur ami. C'est assez étrange car je me souviens qu'avant, je voulais jouer de la trompette. 

Qui t'accompagne sur l'album ?

Il y a Jon Oskar qui joue de la batterie et j'ai aussi un bassiste, Simon Nykjaer, qui est Danois. Mais sur scène je ne suis qu'avec Jon. Les morceaux sonnent donc plus épurés sur scène que sur l'album. J'aime beaucoup réarranger mes morceaux, rajouter des loops, des voix, des percussions…  J'essaie d'incorporer ces éléments en live même si c'est assez périlleux. 

Comme beaucoup de groupes ou artistes islandais, tu choisis l'anglais pour t'exprimer. 

Je n'ai pas vraiment d'explication, mais en ce qui me concerne, quand j'essaie d'écrire mes textes en islandais, quelque chose ne colle pas. Je connais trop de mots, trop d'expressions… En anglais, c'est plus simple, plus direct car mon vocabulaire est moins riche. J'ai commencé comme ça. Maintenant, ça ne me déplairait pas de composer en islandais. Je m'inspire beaucoup de la poésie, j'en écris aussi.

Cela explique peut-être pourquoi on retrouve beaucoup de métaphores dans tes textes. 

Quand j'écris, des dessins animés défilent dans ma tête, des histoires un peu étranges, et les gens qui écoutent mes chansons y voient sûrement autre chose. Ca me plaît. Je ne dis pas "ça c'est comme ça". Des gens m'ont confié ce à quoi ils pensent quand ils écoutent mes chansons de l'EP, et personne ne pense à la même chose. Mais je présume que beaucoup ne comprennent rien à mes textes (rires). 

C'est différent pour toi de jouer en Islande ou à l'étranger ?

C'est plus stressant en Islande, car il y a mes amis, ma famille, et tout le monde se connaît ici. En tournée à l'étranger, c'est un peu comme travailler dans un supermarché, assez mécanique. Mais j'aime ça. 

La question est clichée mais est-ce que tu as des influences particulières ? 

Bien sûr. Il y a cet auteur islandais, Davíð Stefánsson, aux poèmes sombres, horribles. Il guérit toutes mes pannes d'inspiration. J'écoute aussi beaucoup Joanna Newsom. Ses paroles sont excellentes, avec plein de détails. J'apprécie beaucoup tUnE-yArDs et Fleetwood Mac également.

Et Cocorosie ? Certaines de tes chansons me font penser à elles. 

Oui, les chansons bizarres ! 

Notamment sur la fin de l'album. Le début est plus tourné vers le songwriting, ensuite ça devient beaucoup plus sombre, plus cinématographique.

Ca a été difficile d'ordonner les chansons. Quand j'ai fini l'album, je ne pouvais plus l'écouter. Je commence à l'apprécier à nouveau. Mais c'est assez terrifiant de s'entendre constamment. 





Infos

- 9/09 : Soley + Sin Fang + We Were Ever Green @ Flèche d'or, Paris 20e. 20 h.
- Album We Sink (Morr Music/La Baleine) - septembre 2011.

lundi 15 août 2011

Gold Bears - Are You Falling in Love? (2011)



Are You Falling in Love? est sorti en mai 2011. La précision a son importance car ces 33 minutes semblent tout droit débarquées de la fin du siècle dernier. 'Remember that night in 1993 ?', apostrophe même le chanteur sur Besides You. Un voyage dans le temps ? Pourquoi pas. Avec un son très daté et un nom de groupe animalier vraiment très original, Gold Bears n'a plus grand chose à perdre de toute façon. 

Mais ne vendons pas la peau de l'ours avant de l'avoir hué : après quelques écoutes laborieuses, l'album se révèle vite familier, tel ce vieil habit démodé qu'on aimerait porter à tout jamais. Rien ne surprend chez Gold Bears. Vraiment rien. Il n'empêche que l'album, joliment, suspend le temps. Le leader Jeremy Underwood habille sa voix d'une teinte nostalgique qui n'est pas sans ranimer le romantisme élancé d'un Morrissey sur East Station Attendant. Les guitares saturées sont souvent (mal) déployées pour délivrer une gentillette pop shoegaze. 

C'est comme si les quatre lurons de Gold Bears avaient entrepris de ressusciter une époque révolue, avec une pointe de mélancolie et de distraction. La candeur adolescente des délicieux Pains of Being Pure at Heart n'est pas très loin, notamment sur In This City, I'm Invincible. Il y a dans la musique de ces deux groupes quelque chose de naïf, inoffensif mais qui paraît sincère, illustré à merveille sur la ballade Besides You. Dans cette démarche un peu malhabile mais touchante, Gold Bears veut  croire qu'il n'y a pas d'âge pour tomber amoureux. Il faudra un peu plus de mordant pour nous en convaincre complètement.

5.5/10



(Slumberland/Differ-Ant) 

vendredi 12 août 2011

Big Talk - s/t (2011)




Avoir entre les mains la production d'un nouveau groupe est souvent source d'enthousiasme. Une fois dans les oreilles, en revanche… Ici, il s'agit de Ronnie Vanucci, le batteur des Killers qui s'associe à Taylor Milne pour former Big Talk. En dévoilant deux titres de l'album il y a quelques mois, le duo a presque réussi à nous faire croire que cette escapade, c'était du lourd. A quelques détails près.

Getaways, premier single tiré de Big Talk, est pourtant fort agréable. Parfaitement calibré pour les ondes FM estivales, le titre démontre que le choix de Vanucci d'accaparer le micro est plutôt judicieux. La ligne instrumentale est prévisible à des kilomètres, mais faisons comme si. Et No Whiskey est prenante, sous ces airs de ritournelle folk charnelle. A la Jack White, version minimaliste. 

L'appréciation de l'album s'arrête là. Les éléments restants, variations plus ou moins subtiles de ces deux morceaux, n'ont pas grand intérêt. Aussi vite écoutés, aussi vite peu aimés. Sans être déplaisants, ces titres mineurs sonnent comme des tas d'autres groupes tout aussi peu captivants. The Next One Living, au couplet sensible et charmeur, se retrouve décapitée par un refrain insipide. Des bribes d'idées desservies par la production archi-classique de Joe Chicarelli (The Strokes, My Morning Jacket) et étiquetée "bande-son rock de l'été". Cessons l'écoute de ce verbiage en gardant Big Eye à l'esprit. Une belle conclusion dans la veine de No Whiskey, qui ne suffit pourtant pas à oublier l'atonie de ce Big Talk.

3.5/10

(Epitaph/PIAS)

mercredi 6 juillet 2011

Les Beach Boys à Paris ce soir!


Ce soir, mercredi 6 juillet au Grand Rex, les Beach Boys vont dynamiter Paris au rythme de leurs imparables tubes, retraçant leur inénarrable carrière. 

Est-il encore besoin de les présenter ? En tout cas, les Beach Boys,  groupe mythique des sixties se présentent ce soir sur la scène du Grand Rex à Paris pour un concert événement. Culminant aux sommets des charts dans les années 1960, les Californiens n'ont pas pris une ride (allez, peut-être une seule).  Incarnant l’esprit de la Californie pré-psychédélisme, pré-changements et pré-libération des mœurs, leurs chansons deviennent frénétiquement les hymnes de la jeunesse américaine, qui se reconnaît dans ce quintet détaché, jovial et festif.
La musique des Beach Boys, étroitement liée au génie de leur leader Brian Wilson, n’a cessé de s’étoffer au fil des années : le style léger de la surf music des débuts a laissé place à partir de 1965-1966 à une pop music d’envergure dont le sommet est l’album Pet Sounds. Les problèmes psychologiques de Wilson ont fait que le groupe a perdu, à la fin des années 1960, sa place d’honneur dans la musique rock internationale. Les Beach Boys ont toutefois connu des retours surprenants dans les décennies suivantes, ravivant ainsi leur image de mythe vivant.



En 1966, Pet Sounds marque LE tournant dans leur carrière.  Ils goûtent aux joies du psychédélisme et changent d'apparence pour un look plus débridé. Les Etats-Unis boudent l'album dans un premier temps, mais il cartonne en Angleterre. Le célèbre membre des Beatles Paul McCartney dira de « God only knows » qu’elle est la meilleure chanson jamais enregistrée. Il déclara aussi que l'album a été une source d'inspiration pour l'enregistrement de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, sorti en 1967.

Près de dix de leurs singles occuperont les premières places du Billboard américain, depuis 1963. On n’oublie pas "Good vibrations", "Surfin’ USA" (disque d’or) "California Girls", premier morceau enregistré avec Bruce Johnston, ainsi que 25 années plus tard  "Kokomo". Après le semi-échec de Pet Sounds, le titre « Good Vibrations » redore le blason des Californiens. Suivront Smiley Smile (1967), Wild Honey (1967), Sunflower (1970), Surf's Up (1971), Holland (1973) et 15 Big Ones (1976).

Les Beach Boys sont entrés au légendaire Rock and Roll Hall of Fame en 2001 et un 5ème Grammy Awards marque leur ultime consécration.


Et inutile de dire : "Je peux pas, j'ai plage". Le concert des Beach Boys est à ne manquer sous aucun prétexte. 


Beach Boys @ Grand Rex, 1 bd Poissonnière, 75 002 Paris. Première partie : 20 heures. De 65,90 à 98,90 €. Possibilité d'acheter ses billets sur place. Ouverture des portes : 19 heures.


mardi 28 juin 2011

SBTRKT - s/t (2011)


Rêvons un peu : et si cette décennie était celle de la discrétion ? Faisant fi des extravagances suintantes, des artistes comme Jamie XX ou James Blake ont eu la décence de faire profil bas. Pour mieux frapper leur coup. Délicatement. Mêmes origines d'outre-Manche, même label que les Londoniens de The XX (Young Turks), SBTRKT (le jeune homme se nomme Aaaron Jerome) suit une ligne d'attaque similaire pour proposer un premier album bien séduisant. Au groove imparable, ces onze titres empruntent autant au dubstep du cygne Blake qu'à l'électro cristalline de Sascha Ring aka Apparat. Hold On repose sur une boucle, une voix, un xylophone, et c'est tout. Résultat : une bombe pop formée de flopées éthérées, comme un clin d'oeil aux contrées solistes de Thom Yorke. Plus expansifs, les titres suivants oscillent entre une électro clinquante et une pop de magnificences. Corde d'appui : la voix d'Aaron Jerome, vernie d'une pureté qui n'est pas sans rappeler, parfois, l'organe d'Owen Pallett (notamment sur l'addictive Never Never). Sans inventer la poudre ni détruire le monde, le Britannique jonche des terrains déjà explorés par d'autres (le dubstep n'est pas né de la dernière pluie) mais y laisse bravement sa marque, sans rougir. Alors quoi ? Certes, ce premier LP n'atteint à aucun moment le sommet orgiaque attendu (Hold On et Never Never sont malgré tout de douces jouissances sonores). Il a au moins le mérite de ne pas nous engoncer dans un tournis d'expérimentations claustrophobe, desquelles on ressort bien plus souvent sonné qu'habité. Ne pas se fier à la consonance rustre de SBTRKT car derrière le front surgit tôt ou tard un tourbillon.

7/10

Underground Railroad - White Night Stand (2011)


Il fut une époque, dans un monde hostile et injuste, où les Underground Railroad jouaient au Secret Palace de Montpellier devant une vingtaine de personnes. D'accord. Underground Railroad ? Le nom évoque ces systèmes de routes secrètes mis en place pour les esclaves noirs nord-américains au 19e siècle. Leur but :  rejoindre des Etats libres et regagner un semblant de liberté. Comme animés par cet épisode historique, les trois Français d'Underground Railroad (Raphael Mura, Marion Andrau, JB Ganivet) s'exilent à Londres en 2005 et ne tardent pas à recevoir les louanges de la presse britannique spécialisée. Le groupe signe alors chez One Little Indian Records (Björk, Alabama 3, Rose Kemp) puis tourne aux côtés de Deerhoof ou Albert Hammond Jr.

Trois ans après Stick and Stones (2008), Underground Railroad poursuit sa route, tout en maîtrise. Car c'est vraiment cela qui laisse coi à l'écoute de White Night Stand. Pour preuve : 8 Millimetres, ouverture. Une évidence. Underground Railroad n'en est plus au stade de la séduction factice, à lancer un premier titre faussement ahurissant pour ensuite s'écrouler comme de la ferraille. Ici, c'est fort et calibré. Les assaillir de références serait commode : We Were Slumbering sonne comme du Sonic Youth, la sublime The Orchid's Curse rappelle les débuts de Blonde Redhead… Mais injuste : la production très soignée et la lame qui taille chacun des morceaux les immunise contre toute accusation de plagiat ou de manque d'inspiration. Seule la durée de l'album, avoisinant les 50 minutes, peut leur être reprochée. A l'écoute des neuf minutes de Seagull Attack, montagne post-rock sanglante, on comprend que le tour de force de cet opus est de rester sur les rails tout en explorant des reliefs rarement admirés de ce côté-ci de la Manche.

7.5/10


jeudi 23 juin 2011

Primavera, le Best of


10) Explosions in the Sky : Qui ose dire aujourd’hui encore que le post-rock une une musique bruitiste ? Certainement pas quelqu’un qui a écouté Explosions in the Sky. Les Texans ont livré à Primavera une performance parfaitement calibrée, mettant à l’honneur le dernier album du groupe, Take Care, Take Care, Take Care (2011). Prudence, oui, car le son ravageur nourri par de bagarreuses guitares et une batterie outrageuse parvient aussi à créer des moments d’une finesse et précision infinies. La recette du succès de ce concert tient à cet équilibre fait de mesure , pour mieux atteindre la démesure. Explosions in the Sky a dévoilé ce soir là un ciel rempli d’étoiles orageuses.

9) Rubik : Détrompez-vous, Rubik n’est pas un groupe casse-tête. Cette bande de joyeux Finlandais propose un set foutraque et allumé. Finlandais, oui madame. Un peu à l’étroit sur la scène Jägermeister, le groupe profite de cette promiscuité pour créer une relation incandescente avec le public. Les titres s’enchaînent à une vitesse folle, histoire de ne pas faire retomber la température et de ne pas trop laisser refroidir la bière. A n’en pas douter, Rubik offre le rock le plus simple, jovial et généreux entendu depuis bien longtemps. La révélation de Primavera.  

8) Battles : Ah, amour Battles, que ne ferais-je pas pour toi ? Attendu toute la nuit tu fus, près de 4 heures du matin (ou du soir, je ne sais plus) désormais il est. Toi qui as ensanglanté mon âme avec l’extatique Mirrored (2007) et qui s’apprête à la faire chavirer avec ce nouveau Gloss Drop. Ton set halluciné me fera tantôt danser (Futura, Dominican Fade, Ice Cream), tantôt me questionner (Wall Street, My Machines) telle une incarnation féline lisant la prose de Pouchkine. Je t’aime, bien sûr que oui, mais je ne sais plus vraiment si je te suis. Puisses-tu être moins « décadent cérébral » la fois prochaine, et peut-être alors t’offrirai-je une glace à la pistache caramélisée. Il est bientôt 5 heures, et si nous nous réveillions à présent de ce rêve étoilé ?

7) Of Montreal : Voilà un groupe qui a compris que la pagaille est la meilleure des orgies collectives. Impossible d’affirmer qu’avec Of Montreal, c’est pas gai. Mais on pagaie, oh oui, vers des contrées toutes plus folles les unes que les autres. Vu les costumes bariolés et les visages maquillés, le groupe semble nous dire en ce 26 mai : « Coucou vous, c’est le Carnaval ! » : leur pop bariolée sent le bordel mal organisé. A tel point qu’on a parfois l’impression d’être en expédition safari au fin fond de la Tanzanie. Les morceaux faisant le plus d’effet sont ceux tirés de Hissing Fauna Are You the Destroyer? (2007) et Skeletal Lamping (2008) : HeimdalsgateLike a Promethean Curse ou She’s a Rejector transforment la fosse de la scène San Miguel en piste de danse hallucinée. Mais les Américains savent changer leurs registres : le groupe s’adonne à des instants plus groovy sur l’étincelante Plastis Wafers, sans forcer son talent, juste en étant complètement dedans. Dix albums en 13 ans : on ne peut pas être aussi endurant sans savoir varier les plaisirs.

6) The Flaming Lips : Difficile de cacher son excitation en apprenant que le groupe était programmé à Primavera. Si le concert se retrouve si bien placé dans ce top, c’est que forcément la performance a été de taille. Mais il y a des choses qui ne peuvent s’écrire, car elles s’en retrouvent irrémédiablement affaiblies. La magie provoquée par Wayne Coyne et les siens tient de ces instants là. Visuellement prodigieux, le groupe fait preuve d’une énergie débordante, signant un set sous forme d’heureux adieu. La discographie est pléthorique, le talent de Flaming Lips n’a pas de limite. Dans sa bulle géante, Wayne Coyne a beau marcher sur la foule, il est inatteignable.  On ne peut que s’enthousiasmer à l’unisson lorsque démarrent les guitares exterminatrices de See the Leaves, laissant mourir le morceau sur d’authentiques trémolos de cordes. Splendide. Mais le meilleur reste à venir. Indescriptible fut cette version de Yoshimi Battles the Pink Robots Pt. 1 : au sommet de son art, Flaming Lips est comme habité, emportant la foule dans les méandres de sa sincérité. Et que dire de cette conclusion qui, en termes magiques, n’aura pas d’égale : Do You Realize ?, scandé ad nauseam comme le credo d’une vie, l’adagio d’une nuit. Renversant. 

5) James Blake : Que les choses soient claires : il est du droit de tous de voir en James Blake un génial talent, un sérieux imposteur ou tout simplement un joueur de tennis. Mais les débats sur sa cote de hypitude et de son supposé  label« chouchou de lapresse über branchée » épuisent. Le concert de JamesBlake à Primavera a fait, espérons-le, taire les mauvaises langues. Bien plus décontracté que deux mois plus tôt lors de son concert parisien, le Londonien se lance un défi : faire briller ses compositions cristallines dans un festival immense. Pas gagné. Mais Blake, sûr de lui, n’est pas là pour s’adapter. Au public de plonger dans l’apparent hermétisme de ses morceaux. Et ça  a l’air de fonctionner : ovationné à chacune de ses compos, il lance même un mouvement de « ouaaah »lorsque démarre The Limit to Your Love , reprise de Feist . Mais comme souvent, le meilleur est pour la fin. D’une inénarrable beauté et simplicité, le titre de Wilhelm Scream, verni d’un blues incroyable, atteint l’apogée émotionnelle grâce à la voix inimitable de son interprète. Et le DJ Set de sir Blake le lendemain, à coups de remix de Telefon Tel Aviv et Destiny’s Child, prouve si besoin en est que le petit prodige sait aussi aller là où on ne l’attend pas. 

4) Animal Collective : Il y a comme un bug chez les Animal Collective. « On n’ose pas vraiment les critiquer parce que ça fait toujours bien de les placer en soirée, par contre en concert, paye ton down trip. Si c’est pour voir des machines, autant rester chez soi ». Discours fréquent. C’est pourtant le prix à payer lorsque, comme ces gars de Baltimore, on utilise la prestation scénique non pas comme un moyen de partager ses morceaux mais plutôt en laboratoire d’expérimentations.  Bien moins prétentieux qu’on ne voudrait le croire, Animal Collective est en perpétuel processus de création. Alors tant pis s’ils nous balancent 8 morceaux (sur 12) non identifiés. Ce qu’on retire de ce concert c’est que le groupe a encore beaucoup de choses à dire. Noah Lennox en guerre avec sa batterie, Avey Tare plongé dans ses claviers ainsi que Geologist et Deakin ne sont pas la pour nous brosser dans le sens du poil. Ces bêtes sauvages n’aiment pas se faire dicter leurs règles. Et même si ces nouveaux titres font plaisir, le groupe n’est jamais aussi transcendental que quand il nous verse ses pépites à la Brothersport ou Summertimes Clothes.  Enlevez-le haut, à Primavera c’est déjà l’été.

3) PJ Harvey : On ne la présente plus. Discographie irréprochable, tantôt pyromane, maintenant plus discrète, PJ Harvey est un corbeau sans fard. Vêtue  d'une volumineuse robe blanche, elle est accompagnée de son acolyte John Parish, Mick Harvey et Jean-Marc Butty. Loin de ses coups sanguinolents lors de sa tournée 2004, Polly Jean a changé. Parce qu’elle a les moyens pour. Possédant tellement de cordes à son arc, l’Anglaise peut à peu près tout faire : harpe, guitare, chant perchée, voix grave acérée, rien ne l’arrête. Les morceaux de Let England Shake, son somptueux dernier effort, baignent dans un écrin rouge brique. Elle ne s’en contentera pas. Très généreuse – 20 titres interprétés – elle a la joyeuse audace de piocher un peu dans tous ces disques, offrant de beaux sommets d’intensité, avec Angelene ou Down By the Water. Puis soudain, on entend de retentissants cris de joie jaillissent de la fosse. Ah mais d'accord : le FC Barcelone vient d'étriller Manchester United en finale de la Ligue des Champions de foot. PJ est Anglaise mais ça va, elle ne semble pas trop faire la gueule. Sa victoire ce soir, elle la tient, offrant un concert sublime, sincère et habité. 

2) Caribou : Pour une surprise, c’est une belle prise. Le concert de Caribou a atteint des sommets d’électricité et se classe très très haut dans nos cœurs. Anciennement appelé Manitoba, le Canadien hésitait  entre des morceaux pop passant au générique du Grand Journal ou alors des titres un peu plus risqués. En 2010, avec l’album Swim, il a choisi. Ne perdant rien du potentiel tubesque de ces chansons, celles-ci gagnent en consistance. En 2011, Caribou nous lance une claque monumentale, faisant preuve d’une maîtrise scénique stupéfiante et  physiquement intense. Impossible d’arrêter son corps sur les bouillonnantes Kali et Found Out. Mais rien d’extraordinaire : des artistes comme Caribou, Battles ou James Blake ont simplement compris que le son était une pierre précieuse, qu’on peut tailler pour faire briller, mais qu’on peut aussi briser à trop les tripoter. La foule se compacte encore un peu plus sur l’énormissime Odessa, tube en puissance, d’un groove imparable, aux beats dévastateurs. Le morceau terminé, on se dit : « Wow, quel finish, ça tombe bien je suis lessivé ». Mais il fallait en garder un peu sous le pied car le point culminant reste encore à venir. Au sommet de son art, Caribou envoie une version de Sun véritablement cataclysmique. On ne sent alors plus son corps, ni ses jambes, tout ce que l’on sait c’est que l’âme n’est jamais plus belle que lorsqu’elle danse au milieu d’un loup nommé Caribou. 

1) Sufjan Stevens : Ce mec là est une angoisse dans son genre. Petit rappel : entre 2009 et 2010, il passe une bonne partie de ses journées chez lui, à soigner une étrange maladie dont il pense ne jamais se relever. En 2010, il conchie tous ceux qui attendaient de lui un Illinois bis en sortant The Age of Adz, plus décadent tu meurs. Et voilà qu’en 2011, Sufjan Stevens s’habille en super-héros, livre des prestations de 2h30, danse comme Lady Gaga. Normal. Si l’Américain peut se permettre tout cela sans passer pour un malade mental, c’est qu’il a eu la chance de connaître une deuxième naissance. Stevens a dû tout réapprendre, et surtout apprendre à oublier qui il était. Résultat : ses concerts sont des live-mondes. Inutile de dire que c’est beau, qu’il parle beaucoup, qu’à la fin y’a des ballons de baudruche qui tombent du plafond et tout oh mon dieu ! On s’en fout. Il n’y a rien à dire. Il y a tout à vivre. Véritable être hors du temps, Sufjan Stevens est déjà ailleurs. Tel un prophète, il dicte ce qui fera rage dans 20 ans. Aujourd’hui, on dit de lui qu’il est grand et talentueux. Dans 20 ans, qu'il n’a jamais existé. Car dévoiler l’existence d’un tel monstre sacré, au lieu de le garder précieusement pour soi est, croyez-moi, la plus belle connerie qui soit.