mardi 28 juin 2011

SBTRKT - s/t (2011)


Rêvons un peu : et si cette décennie était celle de la discrétion ? Faisant fi des extravagances suintantes, des artistes comme Jamie XX ou James Blake ont eu la décence de faire profil bas. Pour mieux frapper leur coup. Délicatement. Mêmes origines d'outre-Manche, même label que les Londoniens de The XX (Young Turks), SBTRKT (le jeune homme se nomme Aaaron Jerome) suit une ligne d'attaque similaire pour proposer un premier album bien séduisant. Au groove imparable, ces onze titres empruntent autant au dubstep du cygne Blake qu'à l'électro cristalline de Sascha Ring aka Apparat. Hold On repose sur une boucle, une voix, un xylophone, et c'est tout. Résultat : une bombe pop formée de flopées éthérées, comme un clin d'oeil aux contrées solistes de Thom Yorke. Plus expansifs, les titres suivants oscillent entre une électro clinquante et une pop de magnificences. Corde d'appui : la voix d'Aaron Jerome, vernie d'une pureté qui n'est pas sans rappeler, parfois, l'organe d'Owen Pallett (notamment sur l'addictive Never Never). Sans inventer la poudre ni détruire le monde, le Britannique jonche des terrains déjà explorés par d'autres (le dubstep n'est pas né de la dernière pluie) mais y laisse bravement sa marque, sans rougir. Alors quoi ? Certes, ce premier LP n'atteint à aucun moment le sommet orgiaque attendu (Hold On et Never Never sont malgré tout de douces jouissances sonores). Il a au moins le mérite de ne pas nous engoncer dans un tournis d'expérimentations claustrophobe, desquelles on ressort bien plus souvent sonné qu'habité. Ne pas se fier à la consonance rustre de SBTRKT car derrière le front surgit tôt ou tard un tourbillon.

7/10

Underground Railroad - White Night Stand (2011)


Il fut une époque, dans un monde hostile et injuste, où les Underground Railroad jouaient au Secret Palace de Montpellier devant une vingtaine de personnes. D'accord. Underground Railroad ? Le nom évoque ces systèmes de routes secrètes mis en place pour les esclaves noirs nord-américains au 19e siècle. Leur but :  rejoindre des Etats libres et regagner un semblant de liberté. Comme animés par cet épisode historique, les trois Français d'Underground Railroad (Raphael Mura, Marion Andrau, JB Ganivet) s'exilent à Londres en 2005 et ne tardent pas à recevoir les louanges de la presse britannique spécialisée. Le groupe signe alors chez One Little Indian Records (Björk, Alabama 3, Rose Kemp) puis tourne aux côtés de Deerhoof ou Albert Hammond Jr.

Trois ans après Stick and Stones (2008), Underground Railroad poursuit sa route, tout en maîtrise. Car c'est vraiment cela qui laisse coi à l'écoute de White Night Stand. Pour preuve : 8 Millimetres, ouverture. Une évidence. Underground Railroad n'en est plus au stade de la séduction factice, à lancer un premier titre faussement ahurissant pour ensuite s'écrouler comme de la ferraille. Ici, c'est fort et calibré. Les assaillir de références serait commode : We Were Slumbering sonne comme du Sonic Youth, la sublime The Orchid's Curse rappelle les débuts de Blonde Redhead… Mais injuste : la production très soignée et la lame qui taille chacun des morceaux les immunise contre toute accusation de plagiat ou de manque d'inspiration. Seule la durée de l'album, avoisinant les 50 minutes, peut leur être reprochée. A l'écoute des neuf minutes de Seagull Attack, montagne post-rock sanglante, on comprend que le tour de force de cet opus est de rester sur les rails tout en explorant des reliefs rarement admirés de ce côté-ci de la Manche.

7.5/10


jeudi 23 juin 2011

Primavera, le Best of


10) Explosions in the Sky : Qui ose dire aujourd’hui encore que le post-rock une une musique bruitiste ? Certainement pas quelqu’un qui a écouté Explosions in the Sky. Les Texans ont livré à Primavera une performance parfaitement calibrée, mettant à l’honneur le dernier album du groupe, Take Care, Take Care, Take Care (2011). Prudence, oui, car le son ravageur nourri par de bagarreuses guitares et une batterie outrageuse parvient aussi à créer des moments d’une finesse et précision infinies. La recette du succès de ce concert tient à cet équilibre fait de mesure , pour mieux atteindre la démesure. Explosions in the Sky a dévoilé ce soir là un ciel rempli d’étoiles orageuses.

9) Rubik : Détrompez-vous, Rubik n’est pas un groupe casse-tête. Cette bande de joyeux Finlandais propose un set foutraque et allumé. Finlandais, oui madame. Un peu à l’étroit sur la scène Jägermeister, le groupe profite de cette promiscuité pour créer une relation incandescente avec le public. Les titres s’enchaînent à une vitesse folle, histoire de ne pas faire retomber la température et de ne pas trop laisser refroidir la bière. A n’en pas douter, Rubik offre le rock le plus simple, jovial et généreux entendu depuis bien longtemps. La révélation de Primavera.  

8) Battles : Ah, amour Battles, que ne ferais-je pas pour toi ? Attendu toute la nuit tu fus, près de 4 heures du matin (ou du soir, je ne sais plus) désormais il est. Toi qui as ensanglanté mon âme avec l’extatique Mirrored (2007) et qui s’apprête à la faire chavirer avec ce nouveau Gloss Drop. Ton set halluciné me fera tantôt danser (Futura, Dominican Fade, Ice Cream), tantôt me questionner (Wall Street, My Machines) telle une incarnation féline lisant la prose de Pouchkine. Je t’aime, bien sûr que oui, mais je ne sais plus vraiment si je te suis. Puisses-tu être moins « décadent cérébral » la fois prochaine, et peut-être alors t’offrirai-je une glace à la pistache caramélisée. Il est bientôt 5 heures, et si nous nous réveillions à présent de ce rêve étoilé ?

7) Of Montreal : Voilà un groupe qui a compris que la pagaille est la meilleure des orgies collectives. Impossible d’affirmer qu’avec Of Montreal, c’est pas gai. Mais on pagaie, oh oui, vers des contrées toutes plus folles les unes que les autres. Vu les costumes bariolés et les visages maquillés, le groupe semble nous dire en ce 26 mai : « Coucou vous, c’est le Carnaval ! » : leur pop bariolée sent le bordel mal organisé. A tel point qu’on a parfois l’impression d’être en expédition safari au fin fond de la Tanzanie. Les morceaux faisant le plus d’effet sont ceux tirés de Hissing Fauna Are You the Destroyer? (2007) et Skeletal Lamping (2008) : HeimdalsgateLike a Promethean Curse ou She’s a Rejector transforment la fosse de la scène San Miguel en piste de danse hallucinée. Mais les Américains savent changer leurs registres : le groupe s’adonne à des instants plus groovy sur l’étincelante Plastis Wafers, sans forcer son talent, juste en étant complètement dedans. Dix albums en 13 ans : on ne peut pas être aussi endurant sans savoir varier les plaisirs.

6) The Flaming Lips : Difficile de cacher son excitation en apprenant que le groupe était programmé à Primavera. Si le concert se retrouve si bien placé dans ce top, c’est que forcément la performance a été de taille. Mais il y a des choses qui ne peuvent s’écrire, car elles s’en retrouvent irrémédiablement affaiblies. La magie provoquée par Wayne Coyne et les siens tient de ces instants là. Visuellement prodigieux, le groupe fait preuve d’une énergie débordante, signant un set sous forme d’heureux adieu. La discographie est pléthorique, le talent de Flaming Lips n’a pas de limite. Dans sa bulle géante, Wayne Coyne a beau marcher sur la foule, il est inatteignable.  On ne peut que s’enthousiasmer à l’unisson lorsque démarrent les guitares exterminatrices de See the Leaves, laissant mourir le morceau sur d’authentiques trémolos de cordes. Splendide. Mais le meilleur reste à venir. Indescriptible fut cette version de Yoshimi Battles the Pink Robots Pt. 1 : au sommet de son art, Flaming Lips est comme habité, emportant la foule dans les méandres de sa sincérité. Et que dire de cette conclusion qui, en termes magiques, n’aura pas d’égale : Do You Realize ?, scandé ad nauseam comme le credo d’une vie, l’adagio d’une nuit. Renversant. 

5) James Blake : Que les choses soient claires : il est du droit de tous de voir en James Blake un génial talent, un sérieux imposteur ou tout simplement un joueur de tennis. Mais les débats sur sa cote de hypitude et de son supposé  label« chouchou de lapresse über branchée » épuisent. Le concert de JamesBlake à Primavera a fait, espérons-le, taire les mauvaises langues. Bien plus décontracté que deux mois plus tôt lors de son concert parisien, le Londonien se lance un défi : faire briller ses compositions cristallines dans un festival immense. Pas gagné. Mais Blake, sûr de lui, n’est pas là pour s’adapter. Au public de plonger dans l’apparent hermétisme de ses morceaux. Et ça  a l’air de fonctionner : ovationné à chacune de ses compos, il lance même un mouvement de « ouaaah »lorsque démarre The Limit to Your Love , reprise de Feist . Mais comme souvent, le meilleur est pour la fin. D’une inénarrable beauté et simplicité, le titre de Wilhelm Scream, verni d’un blues incroyable, atteint l’apogée émotionnelle grâce à la voix inimitable de son interprète. Et le DJ Set de sir Blake le lendemain, à coups de remix de Telefon Tel Aviv et Destiny’s Child, prouve si besoin en est que le petit prodige sait aussi aller là où on ne l’attend pas. 

4) Animal Collective : Il y a comme un bug chez les Animal Collective. « On n’ose pas vraiment les critiquer parce que ça fait toujours bien de les placer en soirée, par contre en concert, paye ton down trip. Si c’est pour voir des machines, autant rester chez soi ». Discours fréquent. C’est pourtant le prix à payer lorsque, comme ces gars de Baltimore, on utilise la prestation scénique non pas comme un moyen de partager ses morceaux mais plutôt en laboratoire d’expérimentations.  Bien moins prétentieux qu’on ne voudrait le croire, Animal Collective est en perpétuel processus de création. Alors tant pis s’ils nous balancent 8 morceaux (sur 12) non identifiés. Ce qu’on retire de ce concert c’est que le groupe a encore beaucoup de choses à dire. Noah Lennox en guerre avec sa batterie, Avey Tare plongé dans ses claviers ainsi que Geologist et Deakin ne sont pas la pour nous brosser dans le sens du poil. Ces bêtes sauvages n’aiment pas se faire dicter leurs règles. Et même si ces nouveaux titres font plaisir, le groupe n’est jamais aussi transcendental que quand il nous verse ses pépites à la Brothersport ou Summertimes Clothes.  Enlevez-le haut, à Primavera c’est déjà l’été.

3) PJ Harvey : On ne la présente plus. Discographie irréprochable, tantôt pyromane, maintenant plus discrète, PJ Harvey est un corbeau sans fard. Vêtue  d'une volumineuse robe blanche, elle est accompagnée de son acolyte John Parish, Mick Harvey et Jean-Marc Butty. Loin de ses coups sanguinolents lors de sa tournée 2004, Polly Jean a changé. Parce qu’elle a les moyens pour. Possédant tellement de cordes à son arc, l’Anglaise peut à peu près tout faire : harpe, guitare, chant perchée, voix grave acérée, rien ne l’arrête. Les morceaux de Let England Shake, son somptueux dernier effort, baignent dans un écrin rouge brique. Elle ne s’en contentera pas. Très généreuse – 20 titres interprétés – elle a la joyeuse audace de piocher un peu dans tous ces disques, offrant de beaux sommets d’intensité, avec Angelene ou Down By the Water. Puis soudain, on entend de retentissants cris de joie jaillissent de la fosse. Ah mais d'accord : le FC Barcelone vient d'étriller Manchester United en finale de la Ligue des Champions de foot. PJ est Anglaise mais ça va, elle ne semble pas trop faire la gueule. Sa victoire ce soir, elle la tient, offrant un concert sublime, sincère et habité. 

2) Caribou : Pour une surprise, c’est une belle prise. Le concert de Caribou a atteint des sommets d’électricité et se classe très très haut dans nos cœurs. Anciennement appelé Manitoba, le Canadien hésitait  entre des morceaux pop passant au générique du Grand Journal ou alors des titres un peu plus risqués. En 2010, avec l’album Swim, il a choisi. Ne perdant rien du potentiel tubesque de ces chansons, celles-ci gagnent en consistance. En 2011, Caribou nous lance une claque monumentale, faisant preuve d’une maîtrise scénique stupéfiante et  physiquement intense. Impossible d’arrêter son corps sur les bouillonnantes Kali et Found Out. Mais rien d’extraordinaire : des artistes comme Caribou, Battles ou James Blake ont simplement compris que le son était une pierre précieuse, qu’on peut tailler pour faire briller, mais qu’on peut aussi briser à trop les tripoter. La foule se compacte encore un peu plus sur l’énormissime Odessa, tube en puissance, d’un groove imparable, aux beats dévastateurs. Le morceau terminé, on se dit : « Wow, quel finish, ça tombe bien je suis lessivé ». Mais il fallait en garder un peu sous le pied car le point culminant reste encore à venir. Au sommet de son art, Caribou envoie une version de Sun véritablement cataclysmique. On ne sent alors plus son corps, ni ses jambes, tout ce que l’on sait c’est que l’âme n’est jamais plus belle que lorsqu’elle danse au milieu d’un loup nommé Caribou. 

1) Sufjan Stevens : Ce mec là est une angoisse dans son genre. Petit rappel : entre 2009 et 2010, il passe une bonne partie de ses journées chez lui, à soigner une étrange maladie dont il pense ne jamais se relever. En 2010, il conchie tous ceux qui attendaient de lui un Illinois bis en sortant The Age of Adz, plus décadent tu meurs. Et voilà qu’en 2011, Sufjan Stevens s’habille en super-héros, livre des prestations de 2h30, danse comme Lady Gaga. Normal. Si l’Américain peut se permettre tout cela sans passer pour un malade mental, c’est qu’il a eu la chance de connaître une deuxième naissance. Stevens a dû tout réapprendre, et surtout apprendre à oublier qui il était. Résultat : ses concerts sont des live-mondes. Inutile de dire que c’est beau, qu’il parle beaucoup, qu’à la fin y’a des ballons de baudruche qui tombent du plafond et tout oh mon dieu ! On s’en fout. Il n’y a rien à dire. Il y a tout à vivre. Véritable être hors du temps, Sufjan Stevens est déjà ailleurs. Tel un prophète, il dicte ce qui fera rage dans 20 ans. Aujourd’hui, on dit de lui qu’il est grand et talentueux. Dans 20 ans, qu'il n’a jamais existé. Car dévoiler l’existence d’un tel monstre sacré, au lieu de le garder précieusement pour soi est, croyez-moi, la plus belle connerie qui soit.

samedi 18 juin 2011

Primavera Sound Festival - J 3


Dernier jour, déjà : si les jambes ne pesaient pas aussi lourd, on n'aurait pas dit. Au Parc del Forum, la journée promet beaucoup : Fleet Foxes, PJ Harvey, Animal Collective, The Black Angels… Le temps est jovial, comme l'ambiance à Primavera : pas de bousculades pendant les concerts, pas trop d'indignation, ni de spectateurs amorphes. Une belle nuit d'ivresse printanière en perspective.

Que peut donner un concert du gringalet Tallest Man on Earth sur la grande scène San Miguel ? On aurait pu penser que le monsieur (à vue d'oeil, 1m71) allait se laisser écraser par l'immensité du lieu. Mais Kristian Matsson a les épaules. Il propose une folk de taille, très souvent comparé à Bob Dylan. Oui, certainement, mais est-ce bien important ? Porté par son lumineux album The Wild Hunt, le Suédois fait fi de son apparente réserve pour proposer un spectacle bouillant et habité. La guitare à l'épaule, il va et vient sur la scène, clamant ses ballades folk comme un condamné heureux. Le public adhère. Partageant son micro avec Amanda Bergman sur Thrown Right at Me, Tallest Man on Earth s'approche, s'approche, lèvres collées à sa duettiste. Mignon. 

Petit détour ensuite sur la scène Pitchfork, où tUnE-yArDs attise la curiosité. A la voix inimitable, l'atypique Merrill Garbus fait son effet. Les instrumentations tribales renvoient aux origines des sons : pas de superflu, rythme saccadé et catapulté, le show intrigue autant qu'il séduit. Même si l'effet de surprise ne dure pas, la singularité de l'artiste nous fait apprécier ces quelques chansons que les premières notes lancées par Fleet Foxes à quelques mètres de là écourteront. Pour passer un bon festival, il faut avant tout ne pas faire d'infidélités à ses priorités. Mais toujours se laisser guider par les plaisirs inavoués.

Fleet Foxes sur la grande scène : on rentre dans le très lourd de cette dernière journée. Venus de Seattle - le Canada est ses bûcherons ne sont pas loin - Robin Pecknold et les siens sont très attendus. Tout le monde est assez curieux de voir comment résonne le récent Helplessness Blues sur scène, surtout après un précédent album largement acclamé. D'emblée, The Cascades et Grown Ocean rassurent : les légères guitares, l'entêtante batterie et les choeurs célestes sont toujours là. L'EP Sun Giant (2008) est mis à l'honneur avec la belle Drops in the River. Mais ce sont les tubes de l'album Fleet Foxes (2008) qui remportent les honneurs du public : l'hymnique White Winter Hymnal provoque un déferlement de joie assez hallucinant, suivie directement par le tube Ragged Wood. Et voilà qu'arrive le chef d'oeuvre d'Helplessness Blues. D'une construction et d'une beauté terrassantes, le dyptique The Shrine / An Argument laisse coi, n'atteignant malgré tout pas les sommets de la version studio. Et c'est bien là le hic avec Fleet Foxes : leur folk vernie dans le bois sur album se transforme trop souvent sur scène en un tronçon dont l'écorce ne brille plus. La méticulosité d'orfèvre avec laquelle sont taillées les compositions disparaît subitement. 

C'est regrettable, mais Fleet Foxes ne semble pas faire d'effort particulier pour enrayer cette mécanique, à tel point que le public dandine de la tête machinalement, quels que soient les morceaux joués. Ne rentrons pas dans la critique forcée, ce concert reste dans son ensemble bien satisfaisant. Bien plus que satisfaisant se révèle le passage du collectif Rubik, le plus enjoué du festival. Les foutraques Finlandais s'emparent haut la main du prix de la révélation de Primavera. Un peu à l'étroit sur le modeste Jägermeister Vice Stage, les musiciens délivrent un rock d'une imparable efficacité. Mais ce qui touche le plus, c'est l'évident plaisir de Rubik à jouer, à donner au public et à boire des bières tièdes. Une telle spontanéité est rare en ces temps très calibrés. 

Avec cette flopée de (bons) concerts, on en perdrait presque la notion du temps. Mais sur la scène San Miguel, en voilà une qui va littéralement prendre son temps. Pour notre plus grand plaisir. L'une des artistes les plus attendues du festival arrive avec une dizaine de minutes de retard - fait rarissime pendant ce Primavera Sound - et livre un show d'une grande générosité - 20 titres. Parée d'une volumineuse robe blanche, PJ Harvey est accompagnée de son acolyte John Parish, Mick Harvey et Jean-Marc Butty. Loin, très loin de ses coups sanguinolents lors de sa tournée 2004, Polly Jean a changé. Sans être froide, elle paraît imperturbable. Sûre d'elle-même et de ses capacités, elle démarre tout naturellement avec deux titres de son magistral dernier opus : Let England Shake et The Words that Maketh Murder. Saisissant. Mais pas question pour elle de reproduire à l'identique l'album : voilà qu'arrive un C'mon Billy fiévreux, rappelant les premières heures de PJ la rebelle. 

Elle n'en fait ni trop ni pas assez. Elle se canalise, dit "merci" quand il le faut, entièrement dévouée à son interprétation. Car Polly Jean est une romancière : faisant de sa voix sa plus belle plume, elle distille par-ci par-là ses fêlures et nous livre ses illustres pages. Alors parfois on s'ennuie un peu, mais jamais on ne perd le fil, désireux de savoir où tout cela mène. Et quand on assiste à Down By the Water, plus de doute : PJ Harvey est une femme mutante, qui paraît sage pour mieux terroriser l'ennemi lorsqu'elle sort ses griffes. Elle gagne à tous les coups, par K.O (All and Everyone) ou chaos (The Big Guns Called Me Back Again). Soudain, de retentissants cris de joie jaillissent de la fosse. Ah mais d'accord : le FC Barcelone vient d'étriller Manchester United en finale de la Ligue des Champions de foot. PJ est Anglaise mais ça va, elle ne semble pas trop faire la gueule. Plus endurante que les Mancuniens, elle profite de la fin du concert pour varier les plaisirs : un morceau de Is thés Desire? , puis de Uh Huh Her, en revenant à Let England Shake. Le script est parfait. Encore sonnés par la beauté de On Battleship Hill, voilà que Harvey nous prend à contre-pied en terminant son show les guitares raides perchées : avec l'inattendue Big Exit puis la veineuse Meet Ze Monstra. D'une dévastatrice efficacité, la grande artiste montre que ses pouvoirs sont multiples et immortels. Polly Jean Harvey est une artiste hors-temps.

Après une claque telle, le meilleur moyen de ne pas être déçu par ce qui suit et d'assister à une performance radicalement différente. C'est le cas avec le DJ Set de James Blake, qui promet beaucoup connaissant les références du jeunot. Il est minuit. Alors qu'en dire ? Parfois, les jambes témoignent mieux que les souvenirs. D'un intérêt visuel proche du néant - le Britannique, derrière ses platines, ne bouge que pour tourner sa pochette remplie de CD -, musicalement, le set a de l'audace. Sans crainte du délit de schizophrénie, Blake fait autant honneur à Telefon Tel Aviv qu'à ses idoles du dubstep (Mount Kimbie). Le petit prodige a l'oreille bienséante et garnit son mix d'une multitude de subtilités. Et, preuve que le "crooner cluber" ne jure pas que par l'underground über conceptualiste, son remix de Bills, Bills, Bills des Destiny's Child apporte une véritable cure de jouvence. En voilà un qui, en deux prestations séparées de 24 heures, aura montré que son phénoménal talent n'est pas un jouet en plastique.

Déjà une grosse journée dans les pattes, une pause s'impose avant de se ruer vers Animal Collective, d'autant plus lorsqu'on sait que le groupe aime à prendre son monde de court lors de ses concerts. Et c'est peu de le dire : seulement 4 des 12 titres sont identifiés, le reste étant des nouvelles chansons pas encore enregistrées. Perte de repères. Avey Tare (alias David Porter), Panda Bear (Noah Lennox), Deakin (Josh Dibb) et Geologist (Brian Weitz) sont alignés sur scène, chacun dans leur environnement naturel, tripatouillant leur instrument. Il n'est pas facile d'évaluer des morceaux pas connus d'avance, mais tentons le coup. Même après l'immense Merriweather Post Pavilion, il semblerait que le groupe de Baltimore ait encore quelque chose à dire. Si certains titres frôlent le conceptuel bouseux, la grande partie du concert se révèle être un bouillonnement ingénieux. Pas très loquaces, seul Avey Tare se charge d'administrer une once de communication entre le public et le groupe, histoire de prouver qu'ils parlent encore le même langage, un petit peu. Noah Lennox s'arrache les muscles à la batterie tandis que Geologist a la tête fourrée dans on ne sait trop quoi. 
Mais quand Animal Collective nous donne rendez-vous en terre connue, on retrouve alors tout leur gniaque et leur ingéniosité, comme sur Did You See the Words? Et la foule, parfois désarçonnée par les délires expérimentaux de ces bêtes en folie, répond d'un seul homme au "Open up Your Throat" scandé sur la géniale Brothersport. Alors, géniaux avant-coureurs ou imposteurs teigneux ? Au fond, peu importe. Face à une discographie si fournie, une telle prise de risque scénique et une névralgie aussi contagieuse, on ne peut qu'abdiquer dans leur sens. 

Un tout dernier effort. Il serait injuste d'invoquer l'heure tardive ou les cieux pour se justifier de ne pas aller saluer les Black Angels. Même si des soucis techniques retardent le début du concert, on est rassurés de voir que leur son si rocailleux fait merveille même à 3h30 du matin. Ce Primavera Sound Festival aura fait découvrir des réserves d'énergie insoupçonnées et des talents secrètement bien préservés. A la sortie du Parc del Forum, des centaines de personnes déambulent encore dans les rues. Les fans du FC Barcelone font la fête, les Indignados font la tête et les festivaliers n'ont que faire la fête en tête.



mercredi 15 juin 2011

Primavera Sound Festival - J 2


Vendredi 27 mai

Au fond, le rythme d'un festivalier est assez facile à suivre : attente devant les portiques d'entrée, attente pour trouver la meilleur spot possible afin d'assister au meilleur concert possible, attente pour choper une bière, attente devant les toilettes, attente d'un nouveau concert, attente de ses amis perdus entre la bière et la pause toilettes, attente de la fin des concerts pour aller dormir, attente des bus ou tramways surbondés, attention pour retrouver son hôtel, attente de lever du jour parce que c'est poétique de rentrer au réveil du soleil, attente des shows du lendemain (ou plutôt des prochaines heures), attente de trouver le sommeil après une journée à attendre…

Et dire que l'attente est loin d'être terminée ! En effet, pour faire partie des privilégiés à voir sur scène le prodige Sufjan Stevens, deux solutions : avoir réservé - payant - sur Internet sa place quelques jours avant le début de Primavera, ou bien attendre faire la queue par terre derrière des centaines de personnes bien plus prévoyantes que le raisonnable. Seuls les 500 premiers pourront rentrer dans l'auditorium Rockdelux - où se produiront également DM Stith, John Cale et Mercury Rev. Deux heures plus tard, les courageux rentrent au compte-goutte. Problème : les personnes qui avaient réservé sont entrées depuis belle lurette, il ne reste donc que les plus mauvaises places de la salle - pouvant accueillir 2 000 personnes environ. On s'en contentera. 

Déjà vu deux semaines plus tôt à l'Olympia, le plaisir pourrait s'en trouver diminué. En fait, non. D'une telle densité, longueur et intensité, la deuxième session d'un tel concert n'est pas de refus. Même si l'essentiel du concert reste le même, Sufjan Stevens nous réserve quelques surprises, notamment le titre Sister, et cette reprise de R.E.M, The One I Love. Si la position assise s'avère parfois frustrante sur certains titres, l'arrivée de la dévastatrice Impossible Soul fera soulever la foule. L'ambiance générée par ce titre, à la fois festif, fou et touchant, au potentiel cathartique hallucinant, est indescriptible. Malgré la fin de tournée, Sufjan Stevens semble régénéré à chaque prestation, comme éconduit par l'attention que lui porte son public. Alors, s'il ne devait rester qu'un moment, peut-être que la prestation de Vesuvius resterait gravée au coeur, tant ce morceau atteint une puissance émotionnelle inespérée sur scène. Festival oblige, le concert est un peu moins long qu'à l'accoutumée - il dure deux heures, quand même. Chacun repart avec son ballon, son sourire ou sa sensation. 

A peine le temps de retrouver ses esprits et de se poser pour profiter des déambulations passagères, l'appel de la scène Pitchfork est plus fort que tout. Car un autre prodige, dans un tout autre registre, va pouvoir faire ses preuves devant une foule impatiente. A la surprise générale, James Blake, toujours accompagné d'un guitariste et d'un batteur, se révèle bien plus décomplexé qu'il y a un mois à la Maroquinerie. Setlist similaire, maîtrise hors pair. Dès le début, la voix fragile et gracile fait hérisser les poils. On aurait pu penser que ses compositions glaciales et intimistes allaient se retrouver broyées par l'immensité d'un festival. Il n'en est rien. Blake ne change pas, toujours très appliqué derrière ses claviers. C'est au public de rentrer dedans, ou non. Son apparente désinvolture cache une détermination de tous les instants. Et toujours, pour finir, ce Wilhelm Scream, d'une ineffable beauté, d'une effarante simplicité.



21h30, déjà. L'ubiquité est un don dont on userait volontiers, car qui voir entre The National et Ariel Pink's Haunted Graffiti ? Autant ne pas choisir, en bon festivalier carnassier. Un petit tour du côté du Llevant où le soleil jaune et rouge sied à la fiévreur de The National. Déjà vus en novembre dernier à Paris, on ne s'attardera que le temps nécessaire pour remarquer que le groupe emmené par Matt Berninger n'a rien perdu de son élégance. Très classieux, The National enchaîne les titres déjà bien rodés devant une foule toute acquise. Agréable surprise : le jamais-fatigué Sufjan Stevens rejoint les rejoint pour faire les choeurs sur la magnifique Afraid of Everyone. Changement de tenue (le fluo n'est plus) mais vocalises toujours de haute tenue. 


Au look totalement improbable, Ariel Pink déçoit grandement. Fatigue de notre part ? Usure de la sienne ? Il y a comme un mur entre la scène et le public. Et puisqu'il n'est pas conseillé de rentrer tête baissée dans un mur, on ne rentrera jamais dans le show. Sans être archi-mauvais, la prestation paraît terne. Voilà, filons. Filons car, à quelques centaines de mètres de là, Low détonne. En puissance tout en sachant mesurer les décibels, Alan Sparhawk, Matt Livingstone et Mimi Parker dévoilent leur expérience et leur savoir-faire pour proposer un show très convaincant, sérieux et pêchu. 

On les remerciera d'ailleurs d'avoir épargné nos tympans. Ce ne fut pas le cas du concert suivant. Une tempête ravageuse de sons soniques. Bonjour Explosions in the Sky. Leur gros plus, c'est de proposer un son aussi bruyant que précis. Et c'est fichtrement efficace. La Ray Ban stage tremble  comme un tonnerre étoilé. 

3h45. L'envie féroce de voir Battles en live prend le pas sur l'exténuation. Il va falloir lutter, car la fosse se compresse et la batterie de John Stanier promet d'être fulgurante. Beaucoup regrettent le départ de Tyondai Braxton, génial membre originel du groupe new-yorkais à qui on doit beaucoup du succès de Mirrored (2007). A première vue, le groupe manque de cohésion : Stanier est dans un autisme total, frappant ces cymbales en furie, Ian Williams semble plus préoccupé par les yeux rivés sur lui que sur les cordes de sa guitare, tandis que Dave Konopka orchestre tant bien que mal le tout. Autant le dire, le show est inégal. Les moments trop expérimentaux (les 3/4 du concert…) manquent de générosité, et Mirrored fait cruellement défaut. Le set est entièrement dévolu au dernier album, Gloss Drop (2011), même pas encore dans les bacs au moment du concert, donc mal apprivoisé. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : musicalement, un concert de Battles est une claque monstrueuse. John Stanier est foudroyant à la batterie, ne se laissant aucun moment de répit. Les grosses gouttes de sueur dévalant sur ces symboles parlent pour lui. Très rythmé, hyper calibré, le concert devient un cours de samba géant lorsque Matias Aguayo apparaît sur l'écran disposé sur la scène. Ice Cream est une bombe délicieusement dégoulinante, une ode géniale au corps et à la sensualité. Un show à haute température, donc. Après tout, c'est la primevère, on peut tout se permettre.


mardi 14 juin 2011

Primavera Sound Festival - J 1

Les chiffres du Primavera Sound Festival ont de quoi donner le tournis : 229 concerts, près de 140 000 visiteurs, 3 sites, un espace de 73 800 m2, des milliers de bières consommées,  des millions d'applaudissements. Pourtant, loin de se perdre dans un gigantisme tourbillonnant, cette édition n'a gravité autour que d'une seule planète : la musique. Récit.



Jeudi 26 mai

Plantons le décor : un espace de concert de 73 800 m2 (presque le double de l'an dernier), une bonne dizaine de scènes, un cadre proche de l'Eden avec la mer bleuâtre à l'horizon… Bien avant de franchir le fameux Parc del Forum (là où ont lieu la plupart des concerts), le karma est bon. Même dispersée dans un site frôlant la démesure (comptez presque une demi heure pour passer de la scène Pitchfork au Llevant, situées aux extrémités du Parc), la foule impressionne, disparate et cosmopolite. Certains se sont déplacés du Canada, d'Israël, du Brésil… Les raisons de l'engouement ? Une programmation prestigieuse devançant les festivals estivaux, rassemblant autant les grosses pointures internationales que des groupes de scène locale prometteurs.

Jeudi, 19 h. Après une heure passée à obtenir le précieux sésame d'entrée au site et pris la température du lieu, direction l'ATP Stage pour écouter la sensation du moment : Cults. Le couple Madeline Folin et Brian Oblivion signe un set en totale adéquation avec l'atmosphère ambiante : frais, rétro et enjoué. Ode à la reverb et au xylophone qui structurent une bonne partie du concert. C'est plaisant. Une bonne ouverture de festival, disons. La foule hoche de la tête, puis sautille aux accords de l'imparable Go Outside, bande-son parfaite aux soirées enfumées sur une plage d'été.

Fin du concert. Très vite, le dilemme : "On suis large, il reste 10 min avant le concert d'Of Montreal. Et si on allait recharger sa carte ?". En effet, le staff du festival a mis en place une carte magnétique qui permet de se sustenter en bières et nourriture. Inutile de préciser que ce système est un véritable fiasco, les stands étant victime d'une panne, les cartes ne sont pas utilisables. Et tant pis si, le ventre plus gros que le porte-monnaie, on a mis tous ses sous dans ce petit rectangle blanc. 

Les picotements dans le ventre oubliés, on court vers la grande scène où les Américains d'Of Montreal sautent déjà de partout. Avec eux, le credo pourrait être : "Coucou, c'est le carnaval" tant leur pop foutraque et bariolée sent le bordel mal organisé. Et tant mieux. Faisant la part belle à leurs albums Hissing Fauna Are You the Destroyer et Skeletal Lamping, le show surprend par sa folie maîtrisée. Ils ont beau courir dans tous les sens, Kevin Barnes et ses musiciens ne font pas n'importe quoi. L'auditoire suit, en redemande. Expansif et généreux, le groupe livre d'excellentes versions de Plastis Wafers, très groovy et She's a Rejecter, très rocky. Seul bémol : l'absence de The Past is  a Grotesque Animal, dont la prestation en concert est connue pour dépasser les sommets de la version studio. C'est dire. 

Le concert de Big Boi, la moitié d'Outkast, se fera dans la file d'attente de la buvette. Tant pis. Mais le monsieur envoie, et même à des mètres de la scène, les bombes Shutterbugg et You Ain't no DJ déboîtent. Cults, Of Montreal, Big Boi : variété des genres égale merveille. Le beat dans les pompes, le concert à venir s'annonce classieux. The Walkmen arrive sur la scène Pitchfork (qui niveau hype n'aura d'égal). Déception immédiate. Encore temps d'aller du côté de Grinderman ? Non, trop tard. Brouillons, trop consensuels, les New-Yorkais enchaînent les titres, mollement. Rien ne se déchaîne. Oui, il y a bien Angela Surf City qui sauve de la léthargie  mais rien n'y fait : on s'ennuie ferme. Tout miser sur quelques bons tubes pour contenter le public n'est jamais très fortuit. 

D'un côté, cela arrange. Car qui prédirait que Caribou allait retourner littéralement la foule de Primavera ? Dan Snaith et les siens délivrent une prestation prodigieuse, totalement accortes et électriques. Servi par un remarquable batteur, Caribou réussit le pari d'allier précision mathématique, sonorités enragées et lubie électronique. L'album Swim réunit tout cela. Swim performed live va bien au-delà. Kaili et Found Out sont des compagnons d'échappées sonores, précieux et fidèles. Ces morceaux sont d'une consistance telle qu'on sait d'avance qu'ils ne peuvent s'égarer. On nage en plein bonheur, mais quand arrive Odessa, tube plus que tube archi-remixé, les plombs dévissent. Comme espéré, le titre entraîne dans une obnubilante ivresse cosmique, touchant les tripes et libérant les mouvements comme jamais. Le sommet ? Pas encore. Débarque dans nos tympans une version orgasmique de Sun. Grandiose. Pas besoin d'en rajouter. Il est 2 heures et des poussières. La nuit nous appartient.

Revigorée, la masse humaine se dirige gaiement vers la grande scène, où pour rien au monde il ne faudrait rater la performance de Flaming Lips. D'emblée, Wayne Coyne prévient : "Sérieusement, je tiens à vous mettre en garde contre ce concert. Il peut nuire à la santé". Il est vrai que le jeu de lumières particulièrement soigné mais étourdissant a le potentiel pour lancer une épidémie de Parkinson. Mais l'heure est à la fête, et ça se sent. Durant le concert, Coyne assène des dizaines de "Come on, fuckers" à un public pourtant bien réveillé. Il va même jusqu'à le bousculer frontalement dans sa bulle géante, marchant dans la fosse comme un prophète. Accompagné par une pléthore de musiciens et de choeurs féminins, Flaming Lips semble hanté par une mélancolie funeste. Comme si la fin n'était plus très loin. La teneur psychédélique du groupe est pourtant intacte. Parmi les moments forts : l'apocalyptique See the Leaves dont les guitares déstructurées laisse place à des cordes liquéfiées de manière assez grandiose. Yoshimi Battles The Pink Robots célèbre la relation de l'artiste et ses fans, reprenant en choeur les psaumes de Wayne Coyne. La communion atteint son paroxysme à la toute fin du set avec un Do You Realize ? somptueux et déchirant. Il n'en faut pas plus pour réaliser que Flaming Lips est un groupe à part, et que cette première journée de festival, très convaincante, se clôt sur une magnifique architecture de sons et d'émotions.


vendredi 10 juin 2011

Johann Johannsson - Miners' Hymns (2011)


ATTENTION : énorme coup de coeur !


Il y a des albums comme ça, qui vous détruisent et vous comblent à la fois. Autant annoncer la couleur, The Miners' Hymns est de ceux-là. Complètement inattendue, une telle profondeur dans un monde de surfaces et de transparence, est une aberration temporelle. 

Les six morceaux du disque composent la bande originale du film du même nom, réalisé par le réalisateur américain Bill Morrison (Decasia, c'est lui). Une ambiance cinématographique qui sied à merveille aux compositions de l'artiste natif d'Islande. L'album est bizarrement construit : six plages d'écoutes, les trois premières excédant les dix minutes, puis entre trois et sept minutes pour les suivantes. La construction est pourtant dérisoire tant il ne viendrait à l'esprit de personne de suspendre un tel rêve.

On semble assister à l'union entre les genres, entre les âges, comme si la musique baroque d'Erik Satie rencontrait les compositions conceptuelles d'un Olivier Messiaen. Les morceaux contiennent des ambiances d'une rare tristesse (An Injury to One is thé Concern of All), sauvées par une lumière cosmique omniprésente sur l'album : les mirifiques cuivres de There is no Safe Side but the Side of Truth sont d'une éblouissante beauté. Mais il est assez vain d'en parler : il faut s'imprégner de la musique de Johann Johannsson comme une déchirure corporelle qui baigne l'âme dans l'ombre et l'horreur. 

Car si la musique de Johann Johannsson est éminemment classique, désespérément bouleversante, elle est surtout, plus encore que les autres, une musique d'images. Il n'y a ici aucune métaphore possible, aucune référence admise. A chacun d'allumer sa bougie intérieure pour laisser ce disque éradiquer ses démons les plus tenaces. 

9/10


Jonny Greenwood - Norwegian Wood O.S.T (2011)


Il est des tâches plus aisées que celle de chroniquer une bande originale de film, sans léser ledit film. Tellement inextricable des images, la musique suffit parfois à sauver un brouillon visuel, voire même à le sublimer. Difficile alors de juger de manière indépendante cet album, a fortiori lorsque le film est vu et apprécié. 

Ici, c'est Jonny Greenwood qui s'y colle, lui qui a déjà composé pour des bandes sons avec Bodysong (2003) et There Will Be Blood (2007). L'artisan, guitariste de Radiohead, musicien admiré tant qu'admirable, s'attaque aux amours adolescentes mises en images par Tran Anh Hung. Les morceaux, aux noms nippons imprononçables, sont marqués par des adagios de cordes, au violon, guitares et violoncelle. S'esquisse ainsi une atmosphère inquiétante, délibérément nostalgique, parfois pesante. Mais le travail produit est d'une telle volupté qu'il ne dégage aucun lourdeur, sinon de l'inquiétude. Greenwood est compositeur résident à la BBC, cela s'entend, tout comme son amour pour Messiaen (sur Naoko Ga Shinda). Pour cet album, il a également repris des passages de chansons du groupe Can en les incorporant à ses propres compositions. 

D'agaçantes redondances sont toutefois à relever, bien qu'elles assurent la cohérence de l'oeuvre. Et si à quelques reprises la tension redescend grâce à une guitare vernie dans le bois, (Iiko Dakara Damattete, Toki no Senrei wo Uketeinai mono wo Yomuna), les morceaux tirent toujours sur la corde, parfois la larmoyante, bien plus souvent l'élégante.  

De par son exigence et ses inénarrables talents, Jonny Greenwood nous montre qu'il n'y pas que la terre qui tremble au Japon. Il y aussi des coeurs meurtris par l'absence.

7/10