Vendredi 27 mai
Au fond, le rythme d'un festivalier est assez facile à suivre : attente devant les portiques d'entrée, attente pour trouver la meilleur spot possible afin d'assister au meilleur concert possible, attente pour choper une bière, attente devant les toilettes, attente d'un nouveau concert, attente de ses amis perdus entre la bière et la pause toilettes, attente de la fin des concerts pour aller dormir, attente des bus ou tramways surbondés, attention pour retrouver son hôtel, attente de lever du jour parce que c'est poétique de rentrer au réveil du soleil, attente des shows du lendemain (ou plutôt des prochaines heures), attente de trouver le sommeil après une journée à attendre…
Et dire que l'attente est loin d'être terminée ! En effet, pour faire partie des privilégiés à voir sur scène le prodige Sufjan Stevens, deux solutions : avoir réservé - payant - sur Internet sa place quelques jours avant le début de Primavera, ou bien attendre faire la queue par terre derrière des centaines de personnes bien plus prévoyantes que le raisonnable. Seuls les 500 premiers pourront rentrer dans l'auditorium Rockdelux - où se produiront également DM Stith, John Cale et Mercury Rev. Deux heures plus tard, les courageux rentrent au compte-goutte. Problème : les personnes qui avaient réservé sont entrées depuis belle lurette, il ne reste donc que les plus mauvaises places de la salle - pouvant accueillir 2 000 personnes environ. On s'en contentera.
Déjà vu deux semaines plus tôt à l'Olympia, le plaisir pourrait s'en trouver diminué. En fait, non. D'une telle densité, longueur et intensité, la deuxième session d'un tel concert n'est pas de refus. Même si l'essentiel du concert reste le même, Sufjan Stevens nous réserve quelques surprises, notamment le titre Sister, et cette reprise de R.E.M, The One I Love. Si la position assise s'avère parfois frustrante sur certains titres, l'arrivée de la dévastatrice Impossible Soul fera soulever la foule. L'ambiance générée par ce titre, à la fois festif, fou et touchant, au potentiel cathartique hallucinant, est indescriptible. Malgré la fin de tournée, Sufjan Stevens semble régénéré à chaque prestation, comme éconduit par l'attention que lui porte son public. Alors, s'il ne devait rester qu'un moment, peut-être que la prestation de Vesuvius resterait gravée au coeur, tant ce morceau atteint une puissance émotionnelle inespérée sur scène. Festival oblige, le concert est un peu moins long qu'à l'accoutumée - il dure deux heures, quand même. Chacun repart avec son ballon, son sourire ou sa sensation.
A peine le temps de retrouver ses esprits et de se poser pour profiter des déambulations passagères, l'appel de la scène Pitchfork est plus fort que tout. Car un autre prodige, dans un tout autre registre, va pouvoir faire ses preuves devant une foule impatiente. A la surprise générale, James Blake, toujours accompagné d'un guitariste et d'un batteur, se révèle bien plus décomplexé qu'il y a un mois à la Maroquinerie. Setlist similaire, maîtrise hors pair. Dès le début, la voix fragile et gracile fait hérisser les poils. On aurait pu penser que ses compositions glaciales et intimistes allaient se retrouver broyées par l'immensité d'un festival. Il n'en est rien. Blake ne change pas, toujours très appliqué derrière ses claviers. C'est au public de rentrer dedans, ou non. Son apparente désinvolture cache une détermination de tous les instants. Et toujours, pour finir, ce Wilhelm Scream, d'une ineffable beauté, d'une effarante simplicité.
21h30, déjà. L'ubiquité est un don dont on userait volontiers, car qui voir entre The National et Ariel Pink's Haunted Graffiti ? Autant ne pas choisir, en bon festivalier carnassier. Un petit tour du côté du Llevant où le soleil jaune et rouge sied à la fiévreur de The National. Déjà vus en novembre dernier à Paris, on ne s'attardera que le temps nécessaire pour remarquer que le groupe emmené par Matt Berninger n'a rien perdu de son élégance. Très classieux, The National enchaîne les titres déjà bien rodés devant une foule toute acquise. Agréable surprise : le jamais-fatigué Sufjan Stevens rejoint les rejoint pour faire les choeurs sur la magnifique Afraid of Everyone. Changement de tenue (le fluo n'est plus) mais vocalises toujours de haute tenue.
Au look totalement improbable, Ariel Pink déçoit grandement. Fatigue de notre part ? Usure de la sienne ? Il y a comme un mur entre la scène et le public. Et puisqu'il n'est pas conseillé de rentrer tête baissée dans un mur, on ne rentrera jamais dans le show. Sans être archi-mauvais, la prestation paraît terne. Voilà, filons. Filons car, à quelques centaines de mètres de là, Low détonne. En puissance tout en sachant mesurer les décibels, Alan Sparhawk, Matt Livingstone et Mimi Parker dévoilent leur expérience et leur savoir-faire pour proposer un show très convaincant, sérieux et pêchu.
On les remerciera d'ailleurs d'avoir épargné nos tympans. Ce ne fut pas le cas du concert suivant. Une tempête ravageuse de sons soniques. Bonjour Explosions in the Sky. Leur gros plus, c'est de proposer un son aussi bruyant que précis. Et c'est fichtrement efficace. La Ray Ban stage tremble comme un tonnerre étoilé.
3h45. L'envie féroce de voir Battles en live prend le pas sur l'exténuation. Il va falloir lutter, car la fosse se compresse et la batterie de John Stanier promet d'être fulgurante. Beaucoup regrettent le départ de Tyondai Braxton, génial membre originel du groupe new-yorkais à qui on doit beaucoup du succès de Mirrored (2007). A première vue, le groupe manque de cohésion : Stanier est dans un autisme total, frappant ces cymbales en furie, Ian Williams semble plus préoccupé par les yeux rivés sur lui que sur les cordes de sa guitare, tandis que Dave Konopka orchestre tant bien que mal le tout. Autant le dire, le show est inégal. Les moments trop expérimentaux (les 3/4 du concert…) manquent de générosité, et Mirrored fait cruellement défaut. Le set est entièrement dévolu au dernier album, Gloss Drop (2011), même pas encore dans les bacs au moment du concert, donc mal apprivoisé. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : musicalement, un concert de Battles est une claque monstrueuse. John Stanier est foudroyant à la batterie, ne se laissant aucun moment de répit. Les grosses gouttes de sueur dévalant sur ces symboles parlent pour lui. Très rythmé, hyper calibré, le concert devient un cours de samba géant lorsque Matias Aguayo apparaît sur l'écran disposé sur la scène. Ice Cream est une bombe délicieusement dégoulinante, une ode géniale au corps et à la sensualité. Un show à haute température, donc. Après tout, c'est la primevère, on peut tout se permettre.
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