vendredi 19 décembre 2014

Album de l'année : Dean Blunt - Black Metal

Il aura donc fallu attendre le tout dernier moment pour voir 2014 marquée par le sceau de la grandeur. Découvert au détour d'un tweet le samedi 13 décembre, Black Metal s'est imposé, dès la première rencontre, comme un évident disque fort. Au bout de la cinquantième, je lui ai déclaré ma flamme et consacré meilleur album de l'année. Un choix discutable, peut-être, mais combien de fois par an a-t-on le privilège de mettre la main sur une oeuvre unique, sans compromis et insaisissable ? Nous n'étions pas prêts.



Il est crucial de peser ses mots quand vous faites face à une musique qui n'a ni poids, ni mesure ou quelque consistance matérielle d'ordre physique. Une sorte de liquéfaction vaporeuse s'éprend de vous, expérience chimique hasardeuse où les effets sont aussi néfastes que sniffer du gazole. Si je ne peux pas toucher ce qui se présente face à moi, alors autant me l'approprier par d'autres moyens. Avec Dean Blunt, on ne sait pas vraiment s'il survole au-dessus d'un nid de médiocrité ou si l'intraveineuse nous a insufflé une forte dose de mélatonine. Qu'est-ce qui le rend si addictif et imprenable à la fois ? Gardez pour vous vos concepts de "rêve éveillé" : Black Metal n'a en réalité jamais existé. 

Ce qui frappe d'entrée et pousse à se pincer, c'est la durée des morceaux. Entre une et treize minutes, les pièces de Black Metal questionnent le notion de temps et de durabilité. Les motifs au piano de Forever, le plus long morceau du disque ne semblent pas durer bien plus longtemps que la minute consacrée à Hush. Etrange ? Prodigieux, surtout. Dean Blunt use et abuse de trompe-l'oeil catégoriels (non, Black Metal n'est pas un album de metal, pas plus que Country ne se veut un clin d'oeil à la carrière pré-"imma let you finish but" de Taylor Swift). En voulant se jouer de nous, l'artiste interroge notre rapport au temps. Une séquence intrigante prolongée mais tenue par un motif répété (Forever) semble avoir la même temporalité que les beats lunaires et connus de Hush, donc. D'où la sensation que Black Metal ne dure qu'une poignée de secondes, que certains titres auraient gagné à être plus longs et mieux développés. C'est oublier que la musique est ici réécrite par le prisme de l'esprit, selon ses propres critères et instincts. Voilà pourquoi la perfection slow motion de 50 Cent résonne encore longtemps lorsque Blow, qui lui succède, se termine. Même pas le temps de s'attacher que le morceau ne nous appartient déjà plus. 



Tout est absorbé, en conséquence, par l'importance accordée à nos sensations, que Dean Blunt éveille de manière assez incroyable, à partir de petits rien. C'était le cas déjà lorsqu'il officiait sous le nom de Hype Williams aux côtés d'Inga Copeland, mais de manière bien plus poseuse et didactique. Seul, et notamment depuis The Redeemer (2013), l'Anglais a gagné en fluidité même si son message paraît toujours aussi abscons. 

50 Cent, portée par l'élan échoïque de Joanne Robertson, semble narrer des ruptures. Celle des voix : rustre et profonde pour Blunt, enfantine et aérienne pour Robertson. Celle de deux êtres qui se sont déjà trop dit. Et surtout celle d'une ligne de guitare (brumeuse et magique) et sa batterie qui rappellent que, peu importe la teneur des dommages collatéraux, le temps suit son cours et tend à dédramatiser les choses, non ? Mais derrière l'écrin théorique se cache l'irrépressible beauté des compositions. 100 (l'interlude Over My Shoulder des Pastels ici samplée) répond d'ailleurs à 50 Cent : même ligne mélodique un peu plus dynamique, même jeux vocaux et un seul constat : ces titres semblent voler tellement haut (alors qu'ils ne pèsent rien !) qu'il est impossible de s'en défaire. Le même morceau, écouté à un autre moment de la journée, ne sera déjà plus le même. Les grandes oeuvres n'appartiennent à personne, rappelons-le. 


Mais Dean Blunt n'est pas un simple prestidigitateur sensoriel et temporel : c'est aussi un compositeur hors pair, soucieux de se renouveler, d'aller là où on ne l'attend pas. A ce titre, Black Metal et The Redeemer semblent à des années-lumière l'un de l'autre, et la distance à parcourir pour relier ces deux points est celle non pas de la beauté, mais de la continuité de la démarche artistique. Là où la cuvée 2013 peut paraître plus majestueuse et consistante, le métal noir gagne en limpidité et en bravoure. En toute circonstance, l'évolution est criante et ne date que d'un an et demi, bon Dieu. L'artiste assume son amour de la pop. Il était temps. On pense d'ailleurs parfois à la lascivité sombre d'un Tricky circa sa meilleure époque aka entre 1995 et 1999 (Maxinquaye/Juxtapose) sur Hush ou la dilettante Punk ("shabadabadabadaaaa", putain de génie). Mais on pense surtout que le son ici créé peut influencer bon nombre de productions à venir (tant musicales qui cinématographiques, là est le piège).

Car notre gars célèbre en apothéose la fin des genres, porosités auxquelles certains croient encore, et fait fi des barrières posées par le rap, la pop ou l'indie. L'ouverture Lush n'aurait pas été boudée par Get Weel Soon ou un Neil Hannon. Tel un septuple champion du Tour de France, Dean Blunt n'a cure des vallées, des monts à franchir, des difficultés à s'affranchir. Sauf que lui ne triche pas, et la sincérité de son engagement contribue à rendre l'album extrêmement attachant. 


Pareille entreprise de cassage des codes dans un geste égo-consciencieux mais radical ne peut être que salutaire. Son ambition n'a plus beaucoup de limites. Et via ces titres, très personnels et indissociables les uns les autres, on a là un avant goût de comment pourrait sonner un monde chaotique qui n'attend plus son heure. On serait alors frappé par le caractère universel de ce bourgeon hiémal qui, rouge vif, mourra sur l'instant, avant d'avoir vécu, pétrifié par l'hostilité environnante. Désormais, il ne pourra plus se dire que personne n'était là pour tenter de le réanimer. Plus qu'une consolation, c'est une bénédiction. 

mercredi 17 décembre 2014

Top 2014 Albums (10 -> 2)


Sans conteste, les 10 albums qui m'ont le plus marqué en 2014. 

#10 Caribou
Our Love 
(Pias)


Qu'il semble loin l'interprète de Melody Day... Et que de chemin parcouru pour celui qui sait mieux que personne activer la bande magnétique pour faire tourbillonner le corps. On nage en plein bonheur, mon amour.



#9 Kippi Kaninus 
Temperaments
(Mengi)


Le meilleur groupe islandais du monde, ce sont eux. Des années d'activité, une reconnaissance restée trop discrète, mais les volcans le savent déjà : ils ne sont plus les seuls à pouvoir exploser quand personne ne les attend. 


#8 Owen Pallett
In Conflict
(Domino)


Surdoué, élégiaque, céleste : Owen Pallett a pris le chemin inverse de ses compagnons Arcade Fire. Contrairement au conflit annoncé, son album apaise et surplombe les paresses de l'esprit. A écouter sans fréquentation. 



#7 Clark
Clark
(Warp)


La hype Pitchfork a eu raison de moi. Et raison tout court. Rarement un disque électro ne s'est autant intéressé aux élucubrations de l'âme, pour lui trouver comme remède le corps salué. Enivrant, glacial et intelligent : on en demandait tant. 



#6 Mac DeMarco
Salad Days
(Captured Tracks)


On le dit branleur ingérable, un peu couillon. En l'écoutant, on ne voit pourtant qu'un monstre de songwriting et un jeune homme désabusé. Une éternelle âme d'enfant, trop pure pour ce monde. Pas pour celui qu'il s'est créé.



#5 Perfume Genius
Too Bright
(Matador)


Un livre pourrait être écrit sur Mike Hadreas, tant son parcours regorge d'aléas. Mais Too Bright est déjà le récit d'une métamorphose : la sienne. Une de celles qui vous fait grandir plus vite en un instant que lors de toute une vie passée à subir. D'ailleurs, "subir" en portugais veut dire "s'élever". Renversant.


#4 Arca
Xen
(Mute)


Natif du Vénézuela, Alejandro Ghersi a produit les derniers Kanye et FKA Twigs. Il est aux manettes du prochain Björk, aussi. Mais désormais on s'en fout, puisqu'en l'espace d'un album, il s'est lui-même propulsé au rang d'artiste incontournable. Xen est un OVNI, la mise sur pied d'un androïde qui n'hésite pas à s'aventurer vers des terrains insoupçonnés : les monuments instantanés.



#3 FKA Twigs
LP1
(Young Turks)


En 2014, il n'y a eu qu'elle. Et à l'avenir, il y aura elle et les autres. LP1 est une démonstration du talent protéiforme de l'Anglaise : voix, beats, acrobaties rythmiques : c'est la Nadia Comaneci du R'n'B, à l'évidence. La "fille de la vidéo" a connu une montée en puissance assez spectaculaire. Robert Pattinson (son boyfriend) accuse le coup : la star, c'est bien elle. 



#2 Swans
To Be Kind
(Mute)


Rarement un album m'a autant donné foi en l'avenir de la musique. Après plus de 30 années de carrière (dont quelques-unes en mode avion), Swans réécrit les lettres de noblesse du rock. To Be Kind est une oeuvre monstrueuse, indéfinissable, à mille lieues de la production du moment. Enchaîner deux chefs d'oeuvre coup sur coup (après The Seer, 2012) est le cygne d'une bénédiction (sic). Ni plus ni moins. 


(L'album de l'année sera dévoilé vendredi).

mardi 16 décembre 2014

Top 2014 Albums (20 -> 11)


On est passé près des catastrophes : celles de l'indifférence et de l'insuffisance. Le long et besogneux premier semestre 2014 a été un carnage, tant il préfigurait une année de disette. 

Bander mou. Un top 3, pas plus. Beaucoup de grosses pointures ont déçu un peu (St. Vincent, Thom Yorke), beaucoup (Sharon Van Etten, Todd Terje) et atrocement (Sébastien TellierBlonde Redhead...). Obligé donc d'aller voir ailleurs (du côté du hip hop, du rap ou du punk rock) pour trouver de quoi se sustenter - et passer l'hiver. 
Pêle-mêle, on a assisté à la descente aux enfers de Lana del Rey, qui n'a pas su nourrir l'espoir permis par son Born to Die (2012), à la pollution médiatique de starlettes made in francophonie, toutes surcotées (FAUVE, Yelle, Christine & the Queens), à la prise de melon de St. Vincent (annulant tous les concerts possibles dès que la TV américaine l'appelle), à la guéguerre stérile entre Mark Kozelek et The War On Drugs (Booba a grave le seum) et j'en passe. Bref, une année où Coldplay, Zaz et U2 dézinguent est toujours sujette au désastre. 
Et puis, la lumière. Depuis la fin de l'été, paradoxalement. Les grands disques pleuvent enfin, de quoi accorder moins de crédit à la médiocrité ambiante. Si les most awaited releases vont inonder 2015, cette année fait plus que sauver les meubles, au final. Mais il a fallu tendre l'oreille pour écouter ces voix qu'on avait fini par chasser et qui pourtant indiquaient de nouvelles directions à suivre.  

Voilà donc les 20 meilleurs albums parus en 2014 selon moi, sur environ 130 écoutés (intégralement et plus d'une fois), classés par ordre de préférence. Les goûts se discutent donc n'hésitez pas à réagir si vous le souhaitez. 


#20 Beyoncé - Beyoncé  (Columbia)

On commence donc par un disque qui ne date pas de 2014, en toute logique. Sorti à la surprise générale sur iTunes le 13 décembre 2013, il était trop tard pour l'apprécier au calme et avec recul. La très grande qualité du cinquième album de l'hyperstar a surpris, elle-aussi, tant on ne s'attendait pas à la voir écraser avec autant de facilité la concurrence (un peu plus qu'avant, quoi). Truffé de collaborations, Beyoncé séduit pourtant par sa cohérence et une production irréprochables, des titres-hymnes dignes de ses classiques (PartitionDrunk in Love, ***Flawless) et par son rendu scénique (les Carter au Stade de France, c'est énorme ; ceux qui ont tenté de vous consoler à coups de "déception" ou de "surfait" n'avaient qu'à vous revendre leur place). On la dit sur le déclin, attaquée à coups de rumeurs sur sa relation avec Jay-Z ou sur sa vraie-fausse grossesse, vieillissante face aux RihannaTaylor ou Ariana... Mais quelque part dans une salle du Louvre, Queen B rit bien fort, mettant un terme à la plus grande intrigue picturale au monde. Si elle parvient à voler la vedette à Mona Lisa, ce n'est pas un parterre de pop stars en sucre qui risquent de l'inquiéter. Bow down, bitches, qu'elle vous dit. 

A écouter : Mine (ft. Drake), ***Flawless, 7/11)


#19 tUnE-yArDs - Nikki Nack (4AD)

Aperçue pour ma première fois au Primavera Sound Festival en 2011, elle semble, trois ans plus tard, n'avoir jamais quitté la scène, tant son numéro se veut sans fin. Injustement oubliée des bilans annuels, l'Américaine demeure fidèle à elle-même : inventive, déjantée et unique. Nikki Nack reste dans la continuité de ses précédentes oeuvres, entre bric-à-brac tribal et sonorités remuantes. Face à ce déferlement d'idées géniales, Merill Garbus fait valoir une voix inimitable pour remettre un peu d'ordre dans une démarche qui déborde d'énergie. Si certains peuvent trouver ça lourdingue et dolipranien, le disque répond néanmoins à un souci de construction devenu rare, le tout dans une bonne humeur communicative. Résultat : l'auditeur ne se perd jamais mais virevolte entre pistes entêtantes, un titre parfait (Real Thing) et des genres rendu caducs (Manchild). Celle qui a commencé à composer en étant nounou dans le Massachusetts déclarait sur BiRd-BrAiNs (2009) pouvoir donner naissance à des oiseaux. Tout est dit.  



#18 Sébastien Schuller - Heat Wave  (Modulor)

Depuis 2005 et la publication de son chef d'oeuvre Happiness, j'attends le jour où le frenchie de Philly me décevra, histoire de lui écrire une lettre mélancolique et énamourée. Ce n'est pas pour tout de suite. Aux côtés d'artistes tels qu'Arman Méliès ou Syd Matters, Schuller s'illustre en métronome du temps manqué. Cinq ans depuis son précédent opus, c'est long. On aurait d'ailleurs pu s'attendre à plus de virages dans le sentier que représente la carrière de cet originaire des Yvelines, et notamment sur ce Heat Wave. Mais non, l'architecture du monde onirique mis sur pied n'est pas prête de tomber en ruines, tant chaque composition consolide la fiabilité dans l'excellence de Sébastien Schuller. Plus swinguant (Endless Summer et Memory/Les Halles) que ses grands frères, Heat Wave brille par la fluidité de ses morceaux, aux ambiances feutrées mais plus joyeuses qu'antan. Rarement connu un ami (imaginaire) aussi consistant et réconfortant que lui. 

     
                                                                     #17 Grouper - Ruins  (Kranky)

"Nous avons une règle de ne jamais écouter de musique triste. C'est une décision que nous avons prise très tôt. Les chansons sont aussi tristes que celui qui les écoute, mais nous n'écoutons jamais de musique". Cette déclaration désabusée de l'écrivain Jonathan Safran Foer semble taillée pour Ruins. Pensé, élaboré et enregistré à Aljezur, magnifique municipalité du sud du littoral portugais, l'album fait passer le For Emma, Forever Ago de Bon Iver (2008) pour une playlist de Paris Hilton lors d'un DJ set à Coachella. Triste, oui : Liz Harris a composé ces pièces dans un état "de colère politique et émotionnel au bord du gouffre". Simple, aussi : un piano, une voix, une atmosphère. Pas de place pour la fantaisie. Terrassant, surtout : la jeune artiste nous glace le sang, chope sa proie dans un état de paralysie générale, pour mieux le faire fondre. Le résultat est vraiment saisissant de sobriété et de grâce, rappelant par moments les états d'âme de Half Asleep ou la finesse d'une Julie Holter. Il est difficile d'en parler au final, car Ruins s'adresse à chacun d'entre nous mais pas à tout le monde. Problème : on a tous promis de garder le secret et de ne rien révéler. 

A écouter : tout, du début à la fin

#16 How To Dress Well - What Is This Heart? (Domino)

C'est la grosse surprise de l'année. L'histoire d'un outsider, peu avare en mixtapes et projets obscurs. Tom Krell, archétype du bon élève mais dont le comportement ingérable l'empêche de progresser. Ce n'est plus le cas. Produit par Rodaidh McDonald (Vampire Weekend, The xx, Adele), What Is This Heart? propulse son géniteur trois étages au-dessus de la plèbe. Car l'élève a appris de ses erreurs. Pour en faire d'autres, certes, mais surtout pour aller de l'avant. Et s'assumer. Pas question de choisir entre les loops électroïdes ou le R'n'B de babtou fragile, Tom Krell se donne tout entier dans son oeuvre (il chante, et sans trop d'effets), qui épate par sa portée et son engagement : entiers. Si son Total Loss (2012) préfigurait déjà une sensibilité à fleur de peau, WITH? en fait une force centrifuge. On dirait l'autoportrait, sans anicroche ni ellipse, d'un artiste au firmament, qui élève sa prise de position (envers lui-même) en bataille quasi politique. Le résultat n'est pas sans défaut mais la sensation générale à l'écoute tourne chacun vers sa quête de liberté et de sincérité, devenue (trop) rare (dans l'industrie musicale) (partout). Un cas d'école exemplaire. 



(N.B. : à ceux qui se demandent s'il y a une réelle différence entre un #17 et un #18, la réponse est oui. On continue ?)


#15 Kindness - Otherness  (Female Energy)

Si je devais dresser une liste des artistes les plus sous-estimés des années 10's, Kindness serait sans doute aucun le premier d'entre eux. Remarqué pour son charmant et funky World, You Need a Change of Mind (2012), Adam Bainbridge devait mettre tout le monde d'accord avec son sophomore album. C'est raté, visiblement. Entre ceux qui détestent et les autres qui s'en foutent, veillent les adorateurs, dont je fais partie. Otherness éblouit dès la première écoute, regorge de maturité et se démarque de son prédécesseur. Il s'affaiblit un peu par la suite mais n'en demeure pas moins de haute volée. Très composite (Robyn, Devonté Haynes, Kelela, M.anifest y collaborent), le disque souffre par moments d'une vision trop large et de sonorités datées (l'interminable Geneva). Peu d'entre eux peuvent cependant se targuer de réinventer la folk africaine (For the Young), de signer un tube générique (Who Do You Love?) et de caresser la soul comme le fait I'll Be Back. Il y a beaucoup de conscience dans ces compositions et une volonté de surprendre l'auditeur tout en le laissant en terrain connu. Si la voix du Britannique reste discrète, ses talents de producteur et l'énergie scénique parlent pour lui. Il ne faut pas voir de fumée là où le garçon ne fait que couler : l'intuition est la première de ses inspirations. Gageons que lorsqu'il décidera de couper ses cheveux, Pitchfork et consorts (trop occupés à storytell le premier (par)venu) daigneront s'y intéresser autrement que via le trou de la poubelle. 

A écouter : World Restart, Who Do You Love (ft. Robyn), For the Young


#14 Sun Kil Moon - Benji (Caldo Verde)

Voici le moment tant redouté : écrire une palabre sur Sun Kil Moon. Que dire, si ce n'est que Benji aurait dû se retrouver dans le top 5 de ce classement les doigts dans le nez. Sauf que Mark Kozelek a préféré les garder dans le cul, en fait. Ca complique les choses, tout d'un coup, à commencer par son cas. J'aurais pu déclarer avoir écouté cet album une bonne centaine de fois du début à la fin sans interruption pendant des mois. Ou alors que j'ai pleuré dessus (oui, tiens, ça fait bien de dire que la musique peut encore faire pleurer - sauf que c'est vrai). Sinon, je peux aussi raconter cet affreux concert au Divan du Monde à Paris, l'un des pires auquel il m'ait été donné d'assister. La gifle fut brutale, mais elle ne fut pas celle espérée. Ce n'est même pas de la déception, juste un dégoût de voir Kozelek, branleur aviné certifié (Ariel Pink a un nouvel ami), déverser des inepties entre deux morceaux joués sans vie, alors que les textes de Benji sont incroyables. Ses nombreuses sorties à l'encontre de The War On Drugs n'ont pas arrangé les choses. Bref, je ne tiens pas beaucoup à relancer le débat sur l'artiste et son oeuvre en godwinant sur Louis-Ferdinand Céline. Les grands disques n'appartiennent à personne, pas même à leur maître. 

A écouter : tout, sauf Kozelek parler. 


#13 Spoon - They Want My Soul  (Loma Vista)

Qui pouvait encore y croire ? Pas grand monde. Qui pouvait se permettre un tel revirement ? Peu d'entre eux. Spoon, c'est une carrière en dents de scie, avec moult départs précipités de ses membres et des livraisons alternant le meilleur (Gimme Fiction en 2005, Ga Ga Ga Ga Ga deux ans plus tard) et le "putain, pourquoi ?" (Transference, 2010). Mais c'est surtout une carrière entière, qui, en vingt ans, a tout connu, les havres comme les trous d'air, donc prête à ressurgir quand plus personne ne parierait sur elle. Autant ne pas y aller avec le dos de la cuillère (huhu) : They Want My Soul est un magnifique comeback, un pied-de-nez à ceux qui pensaient les Texans finis (moi le premier), et surtout un formidable second souffle. Si l'album est une succession de tubes imparables, c'est aussi le récit d'une histoire qui nous tient en haleine grâce à des paroles révélatrices et une production remarquable (ça n'a pas été toujours le cas par le passé). Impossible de passer à côté de Inside Out, de la folie joviale de Do You, de la patte seventies de Let Me Be Mine. Spoon a la créativité rythmique pour lui, tandis que Britt Daniel et cette voix semblent à jamais faits pour durer. Des chansons, des chansons, et des bonnes, tant qu'à faire : comptez sur eux pour poser les bases d'un groupe culte, qui n'a jamais sonné aussi jeune et novateur. 

A écouter : Inside Out, Do You, Knock Knock Knock.


#12 Chapelier Fou - Deltas (Ici d'Ailleurs)


Le voilà, le meilleur album français de l'année. Chapelier Fou n'en est pas à son premier coup d'éclat. Dès 2007, en première partie de Matt Elliott, l'artiste longiligne surprenait avec ses performances très personnelles et diablement excitantes. Au fur et à mesure, il n'a fait que consolider un univers bien délimité et peaufiner son talent, désormais incontournable. C'est une musique géométrique qu'il nous offre, à teneur électronique minimaliste, mais surtout très intuitive et corporelle. Beaucoup de trouvailles dans ces compositions bricolées, qu'on n'a plus l'habitude d'entendre. Deltas sonne comme une évidence pour le Lorrain, qui rappelle Yann Tiersen (sur Polish Lullaby) autant que Dan Snaith (Tea Tea Tea). Si le résultat peut laisser froid à la première écoute, l'intraveineuse fait son effet dès l'approche suivante. D'une maturité et d'un équilibre raffinés, Louis Warynski n'a pas fini de nous surprendre. 

A écouter : Pluisme, Tea Tea Tea, Carlotta Valdes


#11 Timber Timbre - Hot Dreams (Arts&Crafts)

Appelez-ça un "all in", un va-tout ou un sacré flush. En tout cas, c'est un énorme coup de poker. Parce que c'était loin d'être gagné. On savait déjà que Taylor Kirk ne respirait pas la joie de vivre, du moins sur ses chansons. On sait désormais que le coup de cafard est contagieux. Mais à quel prix ! D'une beauté désarmante, Hot Dreams s'incruste dans les tréfonds de l'âme, tel une vieille blessure impossible à panser. De la première à la dernière portée, le disque suit un fil rouge pour ne jamais le lâcher. Une telle capacité à tenir son concept tient du coup de maître. Grand disque glacial et brûlant à la fois, il incite l'auditeur à se plonger une seconde ou une vie dans ce qu'il a de plus enfoui, de plus lumineux. C'est un album, dans le sens le plus noble qui soit, dont on se délecte du début à la fin, sans interruption, sans saut, si ce n'est celui de l'humeur. Epris d'une obsession cinématographique, Timber Timbre se classe définitivement parmi les grands auteurs des années 2000. On pense beaucoup au Third de Portishead (2008), mais on pense surtout avoir trouvé l'ange gardien qui saura chasser nos démons les plus tenaces. Merveilleux et précieux.  

A écouter : Beat the Drum Slowly, This Low Commotion, Run From Me

( -> le top 10 à suivre très prochainement...)

samedi 6 décembre 2014

Top 2014 Tracks (10 -> 1)


#10 Silver Mt. Zion - Fuck Off Get Free 


#9 Fink - Pilgrim 


#8 Kippi Kaninus - Chargé d'affaires


#7 Daft Punk - Computerized (ft. Jay-Z)


#6 Clark - Snowbird 



#5 Panda Bear - Mr. Noah


#4 Spoon - Do You


#3 Portico - Bright Luck


#2 SOPHIE - Hard


#1 Owen Pallett - Infernal Fantasy



...More to come with albums (soon)...

jeudi 4 décembre 2014

Top 2014 Tracks (20 -> 11)

Ou comment le R'n'B et le rap ont définitivement conquis mon coeur (et mon sens du twerk) en 2014.




#20 Thom Yorke - Interference 

Malgré l'annonce surprise et un modèle de vente alimentant des longread tous plus chiants les uns que les autres, Tomorrow's Modern Boxes est une grosse déception (surtout quand on le compare à The Eraser, 2006). Pourtant, la patte Yorke fonctionne sur Interference, morceau vérécondieux où les accords sont faits de cristal. On y trouve tous les ingrédients qui font du leader de Radiohead un compositeur hors pair : minimalisme électro, voix intouchable, atmosphère onirique.  Espérons cependant que Thom Yorke en ait encore sous la pédale : le dernier album du quintet d'Oxford (actuellement en studio) n'aura pas droit à la sortie de route.



#19 How To Dress Well - Pour Cyril 

Voilà un titre qui ne laisse pas indifférent : pour les uns mièvrerie hipstérique lacrymale, symphonie bouleversante pour les autres, choisissez votre camp. Tom Krell n'est pourtant pas né de la dernière pluie, et sa livraison prouve qu'il n'a cure de l'image ici renvoyée. Epris d'un élan d'évasion, il s'autorise des relents de romantisme eighties et des sons saturés en fin de titre. Il faudra se lever tôt pour mettre un frein à ses belles névroses. Ne comptez pas sur moi pour l'en empêcher. 



#18 Jamie xx - Sleep Sound

Fidèle à lui-même, une nouvelle toune du membre de The xx est toujours un événement en soi. Sans revenir sur les multiples qualités de ce petit génie, notons seulement l'équilibre bringuebalant sur lequel Sleep Sound repose. Pas cinématographique pour un sou, les compos de Jamie Smith, pionnier du label Young Turks, flottent telles des aquarelles : une petite touche par-ci, une autre pour soigner un arrangement, le geste est délicat mais résolument artistique. La production est irréprochable. Ta virée nocturne aux abords du bois dormant a désormais une belle bande son. 



#17 Drake - 6 God

Comme pour rappeler que le jeu ne se fera pas sans lui, le Canadien a lâché trois morceaux il y quelques semaines, à la surprise générale. Autre surprise : ils sont tous les trois énormes. On n'en attendait pas tant de ce Raymond Poulidor du rap, souvent acculé aux memes ou à la position d'outsider (ou comment-masquer-mon-érection-face-au-boule-de-Nicki dans le clip d'Anaconda). 6 God et son beat frénétique en acier annoncent la couleur. Tandis que KanyeKendrick, et Frankie ont déjà annoncé leur retour pour 2015, Drake sera aussi de la partie et ne se contentera pas du banc de touche. Fin du game ?



#16 Caribou - Seconde Chance

Déjà haut (depuis Swim il y a quatre ans), Caribou a atteint une nouvelle dimension en l'an 14. Modeste, perfectionniste et intuitif, Dan Snaith a mis tout le monde d'accord avec Our Love, après de longues années de disette. Succès ô combien mérité. Difficile par ailleurs de sortir un titre du lot, au détriment d'un autre. Mais ce Second Chance, (titre clin d'oeil à la carrière du Canadien ?) suivi de l'imparable Julia Brightly sur le disque et porté par les vocalises de Jessy Lanza, force le respect. 



#15 Flying Lotus - Dead Man's Tetris

Si 95 % des gens choisiraient Never Catch Me Up comme leur titre favori de You're Dead!, je lui préfère largement ce Dead Man's Tetris, bien moins consensuel, bien plus inspiré. Captain Murphy et Snoop Dog aux manettes, steuplé. 
(N.B. : un jour une bonne âme m'apprendra à embed du Soundcloud sur Blogspot. En attendant...)


#14 Pain Noir - Pareidolia (continent nouveau)

Sachez que François-Régis Croisier, fka St. Augustine aka Pain Noir est Auvergnat. Son histoire est belle, ses chansons tout autant. Son premier LP sous le nom de Pain Noir, financé via crowdfunding, est un petit miracle, à l'heure où la scène musicale française n'a jamais paru aussi inintéressante et fadasse. Le folk en triolets distillé sur Pareidolia est hypnotisant et devrait ne plus quitter vos oreilles jusqu'au retour de Syd Matters. L'intégralité de l'album est en écoute ici.


#13 Nicki Minaj - Anaconda

Même pas un guilty pleasure (comme avait pu l'être le Diamonds de Rihanna l'an dernier - oui car faut y aller pour défendre Riri des Barbades...). Nicki sort un album à la fin du mois mais tout le monde s'en fout car Anaconda est déjà l'un des plus gros sommets de sa carrière et de l'année musicale. Un chef d'oeuvre de bitch pop auquel il est impossible de résister (hein Drake ?). Les ersatz de tassepé découvertes cette année peuvent toutes aller se rhabiller (à commencer par Ariana Grande - je bold même pas tellement l'imposture porte bien son nom). 



#12 Damien Rice - It Takes A Lot To Know A Man

On aurait pu s'attendre à un peu plus de bruit médiatique pour célébrer le retour de l'Irlandais après huit ans d'absence. Et puis, on a écouté son album, notamment ce grand titre triste, pour comprendre que Damien Rice ne compte que sur lui-même pour rappeler à quel point il reste incontournable. Le style n'a pas changé, Lisa Hannigan s'en est allée, puis la beauté a pleuré.  



#11 Beyoncé - Flawless (feat. Chimamanda Ngozi Adichie)

Flawless de Beyoncé, à l'instar de ses superhits Crazy In Love et Single Ladies, est peut-être le seul titre de ce top qu'on écoutera encore dans 20 ans.