Il y a cette scène, dans Parle avec elle de Pedro Almodóvar (2002), où un aventureux lilliputien s'immisce dans le vagin d'une femme nue, allongée, aux lignes lascives et parfaites. Allégorie en noir et blanc, réminiscence érotique du cinéma muet dans laquelle le réalisateur espagnol nous dit que les voies de l'amour impossible sont tout sauf impénétrables. Une impasse à laquelle l'infirmier Benigno est confronté en chérissant Alicia, danseuse plongée dans un coma. Comment tenir l'âme en vie lorsque le corps ne répond plus ? C'est toute l'ambiguité suggérée ici dans l'illustration de Woman et cette créature recluse en elle-même. Mourante ou subjuguée de plaisir ? Pour Rhye comme chez Almodóvar, les lignes du désir s'esquissent au-delà des identités sexuelles. Et de désir suggestif, il n'est question que de cela dans ce premier album éblouissant de grâce. On ne pourtant sait quasiment rien sur ce duo, basé à Los Angeles, qui réunit le producteur danois Robert Hannibal (membre de Quadron) et le Canadien Mike Milosh. Leur identité fut longtemps un mystère qui a perduré. A commencer par cette voix unique, comparée à Sade, a priori féminine, centre névralgique de l'oeuvre. C'est en fait celle de Mike Milosh qui, au-delà de sa stupéfiante androgynie, hisse son organe par-dessus l'intraçable. Par un minimalisme ténu et une économie de moyens, Rhye matérialise des souvenirs qu'on pensait perdus à jamais. Bénissons le torrent de mélancolie joviale qu'offre un titre comme The Fall – semblable à la Ritournelle de Sébastien Tellier - avant qu'il n'apparaisse dans tous les spots télévisuels. Les vocalises s'envolent au rythme de ce piano lumineux, avant que le saxophone vienne relancer le rêve. La paire assume complètement ce romantisme suave qui irrigue et fomente toutes ses compositions : elle s'en défait d'ailleurs à la guise.
Si à l'écoute, l'album pèse une plume – l'aisance et la limpidité du geste sont remarquables - son impact est pourtant colossal. De Last Dance à la funk-jazz éclatante de Hunter, Woman est un appel constant à l'étreinte. Cette musique sort d'un souffle. Avec beaucoup de groove et de sensualité, beats, cuivres et choeurs s'entremêlent pour créer un climax soul sans égal (Major Minor Love). Un peu comme si Cocteau Twins embrassait The xx. Le seul étonnement demeure dans l'évident magnétisme d'une oeuvre qui n'appartient à personne et dont il serait fou de se défaire. Ces dix émeraudes brillent aussi par la fièvre fataliste des mots ("We've shed some tears babe, let's shed some blood"). En clair, Woman a tous les contours d'un classique instantané. Mais pour combien de temps ? Après tout, l'acte peut bien durer une éternité. Même entre amants passagers.
9.5/10
(Mercury/Universal)
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