Sofia Coppola voulait-elle que le spectateur quitte son siège éjectable de cinéma dès la première scène ? Ca en a tout l’air. Non pas par snobisme, mais parce que le siège éjectable en question, il se situe dans la Ferrari noire que conduit Johnny Marco, héros en désarroi de Somewhere. Elle aurait pu le vouloir, tant cette scène dit tout sur le film et contient l’essence de son cinéma. On y voit Johnny conduire son bolide. Celui qui ne le mènera nulle part, puisque il roule sur circuit fermé. Seul. Une fois. Deux fois. Jusqu’à l'effroi. Le moteur vrombissant, puis le silence. Le spectateur assiste ahuri à une scène d’une puissance rare, épaulée par la caméra plan fixe de Coppola. La vie, c’est comme rouler une Ferrari à 320 km/h sans savoir où cela nous mène. Mais on poursuit son chemin : il est bon de se laisser aller, sans se soucier, sans frein ni destin. De se sentir vivant dans un monde au point mort. Aller. Un petit tour et puis s’en va.
Attendue au tournant mais critiquée à outrance pour ses excès stylistiques et son cinéma « ennuyesque », Sofia Coppola donne le ton. Son nouveau film est contemplatif, sans action, inspiré. Après Virgin Suicides et des jeunes filles en fleur fanées par le devoir d’existence dicté par leur parents, les errances inénarrables et intraduisibles de Bill Murray et Scarlett Johansson dans Lost in Translation, et les apitoiements vaniteux et insouciants de Marie Antoinette, reine d’un peuple, vaine d’elle-même. Somewhere suit la parfaite lignée de ce parcours tout tracé. Le spectateur avance en terrain connu. E(s)t conquis. Un film, comme le quatrième angle droit d’une carrière qui n’a pas connu de temps mort.
Oui, les scènes se suivent et se ressemblent. On ne voit pas grand-chose, mais on (res)sent beaucoup. Atrocement. Cette vie de folie mais pas très jolie que mène Johnny Marco (brillant Stephen Dorff, jusque là cantonné aux seconds rôles), c’est celle que chacun de nous aurait pu vivre. Sofia Coppola a l’intelligence d’avoir mis la vie au centre de son art, et pas l’inverse. Grâce à un regard de cinéaste unique et piqué au vif. Libre. Lorsque le héros retrouve sa fille dont il doit s’occuper malgré les havres et les illusions de sa vie d’acteur, il est comme désemparé. Il coule ou flotte, on ne sait plus trop. Cleo (Elle Fanning) le regard évanescent, vit avec un père déchu et une mère tûe. Où est sa place ? Quelque part, entre les tendres bras (plâtrés) du papa dans un lit du Château Marmont de Los Angeles, et la chatte visqueuse d’une blonde russe employée pour se dandiner au service dudit père. C’est ce va-et-vient constant entre l’insoutenable et la légèreté de cet être que Sofia Coppola nous invite à contempler. Et à interroger. Nos vies sont-elles la somme des lieux que l’on côtoie, les silences de l’être aimé qui n’est plus (ou pas) là, ou bien est-ce cet ailleurs qui nous tend les bras ? Johnny , acteur mais que l’on ne voit jamais jouer (ou alors à son propre rôle) répond par un sidérant : « Je ne suis rien ».
Au fond, on aimerait tous admirer les étoiles et se dire que, quelque part, on compte un peu pour quelqu’un. Ce quelque part est invisible. Mais l’astre, dansant, perdu ou mort, est en nous, il est autre. « Je est un autre », écrivait Rimbaud, mais je ne peux être autre. A moins que le monde, mon monde, soit une infinité de possibilités. Une constellation de sentiments. Le chaos. L’apocalypse. L’abysse. Quelque part, il y a une existence qui nous attend, faite d’art, de joie et des espoirs. Somewhere.
Au fond, on aimerait tous admirer les étoiles et se dire que, quelque part, on compte un peu pour quelqu’un. Ce quelque part est invisible. Mais l’astre, dansant, perdu ou mort, est en nous, il est autre. « Je est un autre », écrivait Rimbaud, mais je ne peux être autre. A moins que le monde, mon monde, soit une infinité de possibilités. Une constellation de sentiments. Le chaos. L’apocalypse. L’abysse. Quelque part, il y a une existence qui nous attend, faite d’art, de joie et des espoirs. Somewhere.
9/10
Beau texte, qui donne envie d'aller se plonger dans une salle de cinéma, à la dernière séance...
RépondreSupprimerSur vos bons conseils, je suis allé voir "Somewhere". En sortant de la salle obscure, je me suis demandé ou j'étais...Je n'ai juste pu me répondre à moi même... Quelque part.
RépondreSupprimerCe film est d'une puissante singularité. Vous avez les Blockbusters, les beau films français, vous avez Bollywood, et son grand frère Hollywood... et vous avez des OVNI cinématographique comme l'était "The limits of control" et comme l'est "Somewhere".
S. Coppola donne avec ce film, l'occasion de regarder ce que nous faisons ici bas sur Terre, et que finalement l'amour, la joie, le bien être valent tout l'or du monde...
Des scènes filmées avec insistance nous promettent un drame en pleine figure, il n'en est que plus lancinant et donne une profondeur que trop rarement vue sur nos grands écrans.
Somewhere c'est la, face à vous, et c'est efficace !