mercredi 9 février 2011

Quand Joanna atteint des newsom(mets)

31 mai 2010. Accompagnée de ses musiciens, Joanna Newsom apparaît sur la scène de la Grande Halle de la Villette pour défendre son troisième album, Have One On M (2010). Robe quadrillée, queue de cheval qui couvre son interminable tignasse, Joanna est soignée. Deux heures de concert, alternant piano, harpe, blagues, vocalises, grimaces. Le concert est irréprochable, mais laisse froid comme un ours polaire en plein désert.


Neuf mois plus tard, Joanna Newsom a compris que la perfection était l'ennemi du bien. Nouveau cadre (le somptueux Théâtre des Bouffes du Nord), même mini-orchestre, même attitude de petite fille bien sage. Pour cette mini-tournée, intitulée Fragile, Joanna semble, à 25 ans à peine, déjà rodée aux mécanismes du métier. Alors qu'elle fait des morceaux à rallonge et des vocalises étourdissantes sa marque de fabrique, la jeune Américaine a tout fait comme neuf fois mois auparavant. Tout en moins parfait. Donc tout en bien plus humain et exceptionnel.

Il ne faut pas s'y méprendre: derrière sa frimousse et ses airs durs comme de la pierre de cristal, Joanna sourit, salue le public et ses musiciens, comme un gala de soirée. Mais c'est elle qui tient les cordes. Ses doigts dodelinant sur sa harpe ou sur le clavier de piano sont en parfaite harmonie avec l'agilité de sa voix, certes nasillarde mais inimitable.

Joanna Newsom a annulé son concert de la veille pour cause de problème de voix. A l'entendre entonner 
Bridges and Balloons, une pensée vient à l'esprit : "Joanna se foutrait-elle de notre gueule ?". La voix, gracile, est magistrale, le jeu de harpe, l'accompagnement de musiciens, le sont tout autant. Le cadre, intimiste et à l'acoustique irréprochable, permet une véritable interaction public-artiste. Après cette mise en bouche, place à l'énormissime Have One On Me, morceau de plus de dix minutes, alternant le merveilleux et le somptueux. Au-delà d'un talent de composition époustouflant, c'est la capacité de Newsom à transcender et interpréter ses morceaux qui coupe le souffle. Et cloue le bec. Joanna Newsom est une musicienne, dans tout ce que cela exige d'irritant et de déroutant. Son concert (plus de deux heures, dix morceaux) est sans concession. On aime ou on déteste, mais on a un avis. Comment ne pas tomber des nues à l'écoute de l'abyssale Emily, douze minutes de grâce absolues, névralgiques. Car Joanna Newsom fait plus que faire la belle à gratter sa harpe : elle interprète. Divinement. On ne comprend pas tout de son accent prononcé, mais on sait que lorsqu'elle nous chante "Emily, I saw you las night, by the river" on aimerait être cette Emily, mi-elfe, mi-humaine, se baladant dans les contrées froides et obscures d'une plaine islandaise.

Peu avant le rappel, Joanna Newsom prend place au piano pour lancer son 
Good Intentions Paving Company, formidable chanson au swing jazz, clôturé par un solo de trompette époustouflant. Joanna est au bord de la rupture. sa voix la lâche, elle chante une demi-octave au dessous. L'artiste est au bord des larmes. Joanna Newsom est redevenue humaine, et fragile. Au troisième étage, perdus dans un balcon obscur, deux silhouettes l'accompagnent en dansant sur ce rythme jazz disco du plus bel effet, comme deux astres dansant dans le ciel étoilé, au son du clair de lune. Joanna Newsom est une fée cosmique.






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