samedi 24 mai 2014

Owen Pallett @ La Maroquinerie (23/05/2014)

Owen Pallett @ La Maroquinerie (crédits photo : Orlando Fernandes)
Owen Pallett, le diaphane canadien, a à peine le temps de fredonner les paroles de son titre inaugural, que déjà, un fan, visiblement bien aviné, le rejoint sur scène en criant son nom. La foule présente hier à la Maroquinerie répondra, en choeur : « Non ! ». Impassible, Owen tient la corde comme s’il était dans le vide, sur le fil. De tous les instants, le diaphane canadien se tiendra sur ce fil. Fébrile, non, mais sensible, en équilibre tel un artiste, Pallett tient son monde du bout de la corde. Et il en a plus d’une à son arc. Emboîtant le pas au remarquable Hauschka puis au prometteur Fairhorns, il dicte la mesure comme un ange dresse les corps endiablés. On est très vite rassurés lorsqu’il reprend I Am Not Afraid de la consistance scénique de son dernier opus. Plus brut, plus sombre que tout ce qu’il a fait jusque-là, le Canadien porte son falsetto vers des sommets dantesques, fait vibrer son violon comme personne, et ses musiciens, le batteur plus que le guitariste, assurent le service après vente. D’une légèreté et gravités absolues, la Maroquinerie tremble encore des soubresauts palletiens. 

In Conflict, son dernier album qui paraît lundi dans le monde, séduit sur scène, mais c’est bel et bien E for Estranged, joué en toute fin de set, qui irradiera par sa grâce et son indolente émotion. « I’ll never Have any children » : Owen Pallett a visiblement oublié qu’il vient d’enfanter un génie, une petite pépite qui guidera beaucoup d’âmes esseulées en manque de repères. Plus qu’un concert, le show est une expérience. Danser sur du Pallett ? Mission accomplie. Les cordes de violon donnent du fil à retordre aux bassins et doigts ensevelis par du fil d’Ariane. Quelle voix déchirante sur The Passions, où l’artiste se retrouve seul au piano et se confie à qui veut de sa peine. C’est limite gênant tant d’impudeur, mais il ne faut jamais dire non à un plaisir coupable. Owen est heureux, il fait des doigts d’honneur à l’audience et reçoit des sourires en guise de réponse. « Gotcha », semble-t-il susurrer, tandis que la foule en redemande et se souviendra longtemps de la version endiablée de Lewis Takes His Shirt Off, qui est un peu le Impossible Soul de Sufjan Stevens ou le Two Weeks des Grizzly Bear. Les garçons jouent dans la même cour. Ils sont divins sur disque mais détruisent la lithosphère sur scène, sans fard ni chichi présomptueux. Pallett a son instrument, sa délicatesse et son savoir-faire vocal pour lui. 

(crédits : O.F.)

Musicien émérite, il a travaillé dur pour donner naissance à son dernier bébé et la consistance live qu’il offre rassure les platanes endoloris. Moment orgiaque, cataclysmique, l’enchaînement Infernal Fantasy / The Riverbed donne encore le tournis. Quel dommage que son musicien guitariste ne soit pas à la hauteur et massacre littéralement les choeurs robotiques de Infernal Fantasy. La rythmique n’est pas toujours au rendez-vous ; les garde-fous ont déjà quitté leur poste de surveillance.

Et que dire de l’inattendue et inénarrable This is the dream of Win and Régine qui date de son époque Final Fantasy, voluptueuse et tendre envers ses compagnons de route Arcade Fire. C’est assez parfait. Et magique, aussi. Les staccatos de son instrument embrassent les contre-temps de son chant et le tout donne un moment enlevé et inoubliable. Owen est vocalement irréprochable, et ça n’a pas toujours été le cas lors de ses performances passées. Song for Five or Six est accablante d’inspiration. 

 Le public parisien, eh bien, est plus parisien que jamais. Et vas-y que je te balance un « ta gueule » à un fan un peu trop enthousiaste, et hop je ne montre pas mes émotions mais « c’est-à-l’intérieur-que-ça-se-passe-tu-vois », mais qu’importe. Owen regarde droit devant, vers le monde qui l’attend. Celui de la reconnaissance et du progrès, sur lequel il a droit de cité. 





3 commentaires:

  1. Je n'ai pas d'expression assez forte pour qualifier ce que tisse votre prose... Vous ne tressez pas de laurier, non, ce n'est pas assez, vous ne mettez pas Owen Pallett sur un piédestal, ce ne serait pas assez haut; vous créez une religion, cher blogueur, où Pallett est votre Dieu, et vous lui vouez un culte.
    J'adore Owen Pallett personnellement; j'ai tous ses albums; je suis allé le voir au Café de la Danse il y a de cela quelques années et j'en étais revenu plus qu'enthousiaste, sous le charme. Mais, soyons honnêtes, le show de vendredi ne valait pas grand-chose comparé à ce que Pallett peut nous offrir habituellement.
    Pour commencer, les balances étaient lamentables et ont mis quatre ou cinq titres avant d'offrir un équilibre convenable entre le tandem batterie/basse (beaucoup trop assourdissant alors que secondaire) et l'essentielle combinaison violon/voix. Il a fallu les premières chansons d'Owen "solo" pour que nos oreilles (je n'étais pas tout seul dans ce cas) retrouvent enfin l'atmosphère du "vrai" Owen Pallett.
    Ensuite, Owen a vraiment assuré le service minimum. Contrairement au sympathique Haushka en première partie, aucune explication, aucune confidence, aucun dialogue avec le public hormis des excuses pour ses quelques erreurs ("j'essaie un nouveau schéma de doigts pour les pizz, le précédent ne marchait plus" - merci Owen), et surtout des doigts d'honneur incompréhensibles; beaucoup autour de moi se demandaient quelle mouche avait piqué Pallett pour qu'il se mette ainsi à provoquer son public de la sorte; bien loin de l'ambiance intimiste et chaleureuse du Café de la Danse l'autre fois...
    Sans doute suis-je trop "public parisien" pour vous, et que des publics plus "provinciaux" raffolent de ce genre d'insultes... Je n'ai pas entendu le fameux "ta gueule" dont vous parlez; par contre j'ai bien identifié le jeune homme sans doute un peu trop aviné qui beugla le nom d'Owen dans un moment d'apesanteur calme, après s'être invité sur scène pour une tentative de selfie lamentable; je pense que le "ta gueule" a dû s'adresser à lui; et j'avoue que si je me suis abstenu pour ma part, je n'en ai pas pensé moins.
    Il est de bon ton de glorifier un artiste par des termes tous plus élogieux les uns que les autres; j'adore Owen Pallett en temps normal et, en d'autres circonstances, je partagerais bien votre avis, bien qu'exprimé ici avec un pathos larmoyant défiant toute concurrence. Mais, cher blogueur, à l'avenir, ouvrez un peu vos yeux, vos oreilles et votre bon sens critique; cela enrichira votre rubrique et votre amour de la musique.

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  2. Anonyme 1 - 0 Impossible Soul.

    Vous devez craindre quelque chose en publiant anonymement, ce qui n'est pas lâche pour un sou, mais votre propos perd cruellement de sa consistance. C'est votre souci.

    Je vous remercie pour votre retour, le plus pertinent jamais posté ici, dur mais cela fait partie du jeu. Je ne compte pas sur vous pour remettre en cause mes capacités à critiquer ou même à raconter. Oui je suis enthousiaste, mais si vous souhaitez du journalisme grincheux, servez-vous ! Le ouèbe en regorge.
    Impossible Soul est un blog positif : j'y parle de mes coups de coeur, bien plus que de mes coups de gueule. Ca ne changera pas pour votre belle prose.

    Ensuite, j'ai tout de même émis des réserves quant au concert. Le doigt d'honneur était très déplacé, et le garçon aviné, que j'ai connu au concert, s'est reçu mes foudres. J'ai entendu le "ta gueule", je suis un adepte du gonzo, sachez-le.

    Détrompez-vous, je n'aime pas Owen tant que ça. Je ne le connais pas personnellement. Je ne suis pas payé pour louer ses qualités (que vous reconnaissez, aussi). Le concert de vendredi était éminemment supérieur à celui du Café de la Danse, mais cela est de l'ordre du ressenti.

    En fait votre critique était remarquable jusqu'à ce qu'elle atteigne le point "je-vais-me-taper-un-jeune-blogueur-de-merde-pour-le-remettre-à-sa-place". Quel dommage. Vous aussi vous avez quelque peu franchi la limite du politiquement correct.

    N'avez-vous pas d'ampoules aux doigts en écrivant ceci : "un pathos larmoyant défiant toute concurrence" ? Soit dit en passant, votre phrase piochée dans jesuisjournalistemusical.tumblr.com est vide de sens et ne veut strictement rien dire. Je ne fais aucun commentaire sur ce qui n'a pas de sens.

    Votre approche est en revanche très juste sur l'aspect musical, où je vous rejoins entièrement, notamment sur la teneur du concert qui a vraiment démarré lorsque Owen a joué en solo. Vous êtes spécialiste, et c'est un plaisir de lire de telles contributions sur cette plateforme.

    Ne vous gênez pas pour en faire de même sur la critique de l'album, ou même sur les articles liés à Sufjan Stevens, vous allez comprendre ce que sont des écrits laudateurs et totalement subjectifs. Regard assumé.

    Vous comprendrez aussi que pour moi la musique n'est pas qu'une histoire de technique, mais bel et bien de coeur, d'engagement et de passion. A partir de là, mes propos sont inattaquables, critiquables oui, mais pas plus. Car ils sont miens, ils sont vrais, et mon jugement n'appartient qu'à moi et à ce qui y croient.

    "Le pouvoir des mots s'arrête là où la musique commence" disait Wagner. Il est temps pour moi de me taire.

    IS

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  3. Merci pour votre réponse qui a le grand mérite d'être honnête et d'apporter un éclairage nouveau sur votre article.
    Pour commencer, je me présente, je suis le même "Anonyme" que plus haut; n'y voyez pas une volonté de me "cacher", c'est une simple commodité, je n'ai pas de compte Google, j'ignore tout de "LiveJournal" ou de "WordPress", je me suis, dans ces circonstances, peu attardé sur le reste, d'où le choix de l'"anonymat"! En outre, mon nom ne vous apporterait rien.
    Quelques rectifications: tout d'abord, si j'ai effectivement "franchi les limites du politiquement correct", c'est un dommage collatéral qui n'était pas dirigé en premier lieu contre vous. Je ne vous considère pas comme un "jeune-blogueur-de-merde", pour les simples et bonnes raisons que je ne connais pas votre âge, et que votre blog, dans sa forme, n'est pas dépourvu de qualités. C'est principalement le fond qui m'a agacé, quand, curieux de voir comment le "ouèbe" avait perçu cette prestation mitigée du canadien, je suis tombé en tout et pour tout sur des pluies de louanges consensuelles; vous conviendrez (peut-être) avec moi que l'ensemble de la presse musicale a cette belle hypocrisie d'être globalement d'un enthousiasme suspect dans ses critiques, dans un intérêt logiquement commercial: faire vendre des disques fait vendre des journaux spécialisés, et réciproquement.
    Considérez-vous donc comme le blog qui tombait au mauvais endroit au mauvais moment pour subir ma diatribe; du reste, je constate que vous avez nuancé dans votre commentaire certains propos que je n'avais pas compris dans ce sens dans votre article, et qu'ainsi, nous sommes relativement d'accord (même si je persiste à penser que le concert d'Owen au Café de la Danse était nettement supérieur à celui de vendredi).
    Par contre, je ne comprends pas votre allusion à d'éventuelles ampoules concernant l'expression "pathos larmoyant défiant toute concurrence"; le dernier paragraphe dans votre article n'est-il pas rempli de pathos? C'est difficile de faire plus lyrique! "Pathos larmoyant" est, de mon point de vue, une association assez logique, "défiant toute concurrence" est une expression courante... Si quelqu'un d'autre emploie ces quelques mots ailleurs, ce que vous semblez suggérer, ce n'est qu'une coïncidence.
    Quant à votre dernier point, considérant que "la musique n'est pas qu'une histoire de technique"; je ne peux qu'être d'accord avec vous. Cependant la technique est un outil infaillible, qui permet d'analyser des oeuvres, des prestations, d'évaluer des compétences, ou... d'écrire des propos cohérents et argumentés. À la lecture d'un article ou d'un livre, on se fiche peut-être pas mal des figures de style, des allitérations, d'un rythme ternaire... Il n'empêche que ce sont ces éléments qui agissent inconsciemment sur le coeur et la passion que vous chérissez. En tant qu'interprète ou compositeur, ce n'est qu'avec une grande maîtrise technique que vous servirez de la passion sur un plateau; en tant qu'analyste, chroniqueur ou simple spectateur, si nous pouvons tous ressentir, c'est la technique qui nous permet de comprendre, d'expliquer, et par ce biais, d'apprécier davantage. Ce que vous ressentez est à juste titre inattaquable; est-ce pour autant toujours pertinent, sans vous intéresser à "l'aspect technique"? Quant à la question d'un "jugement" (et non d'une simple appréciation), celui-ci suppose bel et bien toute la technique nécessaire pour être prononcé.
    Mais ces questions rhétoriques nous éloignent du sujet premier.
    En vous souhaitant une bonne continuation, bien amicalement,
    ... Anonyme ;)

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