2011 commence à peine que la révélation venue d'outre-Manche a déjà fait son nid. Mine bougonne, silhouette frêle, regard de lynx, James Blake, 22 ans, signe un brillant album éponyme, sur lequel figure The Limit to Your Love, classieuse reprise de Feist. Deux EP's plus tard, Blake mêle électro et mélodies mélancoliques. Il ne cache pas l' influence du dubstep londonien sur son travail, bien qu'il s'en détache. Un son lumineux qui jaillit à l'horizon d'un parcours marqué par une ligne directrice : la maturité. Rencontre.
Northland, Angleterre. James Blake naît puis grandit, bercé par la musique dès son plus jeune âge. Le grand bonhomme débute l'apprentissage du piano à 6 ans. Ca vous pose un musicien. Il écrit, déjà, et chante. Seul. En autodidacte. Il fréquente en parallèle l'école de Northland, près de Londres, avant de s'exiler à Brixton. Père guitariste, mère graphiste designer, Blake semble avoir hérité d'un sens du toucher et de l'esthétisme sans pareils. "Je n'avais pas besoin de cours", précise-t-il, papa était toujours dans le coin". De lui, il hérite d'une chanson : James Litherland compose "Where to Turn", qui deviendra "The Wilhelm Scream" dans la bouche de son fils, stupéfiante contrée romantique reprise de Feist. "Quand je chante The Limit to Your Love, je pense à mon père et à grandir", confie-il le regard posé, vertigineux.
Grandir, James Blake sait faire. Fin 2010, il se voit auréolé d'une prestigieuse seconde place au BBC Sound of 2011, qui récompense les artistes en devenir. Mais c'est surtout Pitchfork qui l'élève au rang de talent à suivre. Blake obtient un fracassant 9.0 de la part de la sacro-sainte bible indé US. "Ca m'a surpris, j'ai cru que j'obtiendrais un 4.0, lâche-t-il, faussement modeste. Je crois qu'ils aiment soutenir les artistes, c'est très sain". Sûr de lui, il n'en reste pas moins lucide quant à son envol. "Ca va probablement m'influencer, je ne sais pas. La pire chose que je puisse faire c'est de trop y penser, ce que je fais déjà. Tant que je continue à écrire et à composer, je m'en fiche. Je suis juste heureux de la manière dont les gens prennent ma musique, c'est délirant".
Mais derrière le côté hype, que reste-t-il ? L'abnégation. Le travail. La passion : "Je ne peux pas faire plus que de la musique, le faire de façon honnête, et ne pas laisser les gens s'immiscer dans ce que je fais" . La composition, pièce maîtresse de sa création, reste la clé de voûte de sa musique : "Quand je compose, je sais que je suis en train de faire quelque chose de bien, c'est de l'engagement. Au début, j'ignore ce qui se passe, si j'aime ça ou non. Ensuite, ça me colle à la peau, que les gens aiment ou non justement." L'amour version Blake & Mortimer (sic) est de retour. Pas étonnant que "Love Comes Back" d'Arthur Russell soit au sommet de son panthéon musical.
Griffe
Soyons clair : une telle maturité juvénile de la part d'un compositeur de 22 ans, sûr de lui et de son talent, laisse présager de belles mélodies pour l'avenir. De telles promesses ne suffisent pas à dissimuler de multiples influences de tout bord : Erik Satie, Joni Mitchell, et surtout Stevie Wonder, "peut-être ma plus grande influence", admet-il sans rougir. Cette soif de mélanges sonores lui vient de la dubstep, mouvement londonien qui aime à mixer les genres, à base d'électro . Une influence, oui. Une doctrine, certainement pas : "Je ne cherche pas à m'en démarquer, mais ma musique sonne très différemment". Plus récemment, il confie avoir été marqué par For Emma Forever Ago (2007) de Justin Vernon, alias Bon Iver, album qu'il juge "quasi parfait". Nappes sonores, vocader, claviers d'un classicisme et d'un romantisme sidérants, sa musique est d'ores et déjà identifiable. Trouble et lumineuse. La griffe Blake fait déjà très mal.
Auteur de deux EP's, CMYP et Klavierwerke (2010), James Blake n'a pas révolutionné son monde pour l'écriture de son nouvel effort éponyme. Il écrit l'album en même temps que ses deux EP, dans sa chambre, seul avec des claviers. "Mon inspiration naît de la poursuite de la musique ("thé poursuit of music"). Je ne pense qu'à ça, comment les sons s'entremêlent".
La composition, étape charnière dans le travail de Blake. Habitué aux environnements urbains, il se dit pourtant très réticent au bruit des villes, du trafic, et préfère la douceur salée d'un bord de mer : "J'ai besoin de silence pour composer. C'est difficile de nos jours. Si c'est calme et les lumières sont tamisées, je peux écrire". D'ailleurs, son James Blake accorde une place de choix au silence. Un beat, deux croches au piano, puis ce silence froid qui prend toute sa place, supplanté par la voix gracile du monsieur. Entre la froideur suave de l'électro berlinoise et la mélancolie introspective d'un songwriter, James Blake ne choisit pas. Il n'a pas le temps. Il préfère se frayer son propre chemin. Comme un grand.
Sur scène, accompagnée de deux musiciens, James Blake profite des petits aléas pour faire valoir son empreinte : "J'aime la spontanéité qui se dégage de la scène, loin de la méticulosité de l'album. La spontanéité rend la scène excitante, les petites erreurs… Ce qui arrive dans la vie". Ces erreurs qui alimentent le moindre accord de sa musique : "Je pense que ma musique est bien plus délibérée que beaucoup d'autres. Chaque note est délibérée ; malgré tout je laisse les erreurs, je ne le fais pas sciemment". Expérience et expérimentation sont indissociables.
Sûr de lui sans faire preuve d'arrogance apparente ou déplaisante, James Blake sait mieux que quiconque où il va. Les collaborations et les featurings, très peu pour lui. "Je n'aimerais collaborer avec personne. Il faut que je sois dans la même pièce, que j'aie une expérience avec eux. La collaboration sur internet est complètement déconnectée".
Sur "The Wilhelm Scream", James chante "Je ne connais pas mes rêves,je sais juste que je suis en train de tomber". Tomber amoureux de son terrible talent ? De son inénarrable ambition ? De sa doucereuse modestie ? C'est fait.
Excéllent.
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