dimanche 12 août 2012

Radiohead, l'éternelle re(co)naissance (@ Arènes de Nîmes, 10/07/2012)

Le premier concert depuis la catastrophe. Quelques semaines plus tôt, le 16 juin à Toronto, la scène sur laquelle s'apprêtait à jouer Radiohead s'écroule, faisant une victime. Scott Johnson, 33 ans seulement, technicien du groupe. 


Il s'agissait aussi du premier concert en France du quintet d'Oxford depuis quatre ans. Les places s'étant vendues comme des petits lingots d'or (en quelques minutes seulement, à des prix onéreux), c'est un euphémisme de dire que le retour de Radiohead était très attendu. Comment ont-ils vécu le deuil ? Car c'est dans ces tristes conditions que Radiohead réapparaît. Le groupe a dû annuler plusieurs dates, dont son show à Berlin, mais pour rien au monde les Britanniques n'auraient fait l'impasse sur les Arènes. Un cadre idyllique, un décorum antique et un son supersonique. Que demander de plus ?


2 h 30 de merveilles et de belles oreilles

Radiohead est un groupe monstrueux, qui ne fait jamais les choses à moitié. Capable du meilleur (le triumvirat OK Computer, Kid A et Amnesiac est sûrement le plus osé et grandiose de l'histoire de la musique moderne) comme du moins bon (le contesté The King of Limbs). Ce dernier point donne une touche particulière au concert : Thom Yorke et les siens vont-ils pouvoir transcender des morceaux studio opaques et adipeux en grande fête quasi christique à Nîmes ? La version From the Basement de TKOL avait déjà tout prouvé : les morceaux du groupe sont géniaux, a fortiori dans un cadre adéquat. A n'en pas douter, Nîmes l'est.

Radiohead rassure son monde et ses disciples par une surprise : l'inaugurale Lucky jouée dès l'ouverture, nous sommes chanceux. Morceau tendre et enlevé qui marque dès les premières notes. Heureux aussi d'avoir survécu, car les membres savent qu'ils auraient pu y passer lors du drame canadien. La grande force du groupe, son apparente joie communicative et son plaisir intact de jouer font que le concert passe vite mais dure longtemps, comme un orgasme artistique non simulé mais tant désiré. Et Bloom lance vraiment le spectacle : rythmique forcenée, voix rassurante, orchestration détonante, le tout sonne à la perfection. Seuls les cuivres manquent à l'appel : le groupe a trop d'argent pour des tournées pharaoniques mais pas assez pour embaucher trois papys trompettistes ! 

Sans temps mort, 15 step est jubilatoire. Là aussi, la rythmique est cadencée au millimètre. Tout semble propre et tellement travaillé, mais la spontanéité du groupe et les danses holy fuck de Yorke poussent à la folie. "Je peux venir danser avec vous ? Ca bouge pas dans ma partie des tribunes...", demande une femme latine prête à se dandiner sur quinze marches voire davantage. Rien ne s'arrête, sauf le temps. There There, c'est ici que ça se passe et qu'il faut être, ce soir-là. Bien que la grosse caisse soit moins percutante qu'en 2008 (même reproche pour les basses sur The Gloaming, jouée aussi ce soir-là), l'introduction du morceau fait soulever la foule présente dans les tribunes, tandis que la fosse se montre étrangement bien plus tiède. Déjà cinq morceaux de quatre albums différents interprétés. Le signe d'une discographie riche et appréciable.


Perfectionnistes dans l'émotion, émouvants dans la perfection

Parfois hué pour des albums soit sporadiques, soit trop travaillés, Radiohead montre très vite qu'il va souvent là où on ne l'attend pas en concert. L'inédite Staircase, peu convaincante en version studio, convainc grâce à un flow bien senti. Vient alors le premier grand moment du show. I Might Be Wrong, extraite d'Amnesiac (meilleur album du groupe ? Lâchez vos commentaires), démarre dans une fluctuante et dodelinante crème rock bien acérée tandis que la rupture à la guitare fournit la dose lascive et céleste. Exceptionnelle. Et que dire de l'enchaînement Pyramid Song / Nude ? Rien. La première est sans doute aucun le morceau le plus tristement beau du groupe et il suffit d'écouter l'énorme ovation reçue par le groupe à la fin de la seconde sur le chant cristallin de Thom Yorke, mis à nu. Un grand moment de musique. Une maîtrise éblouissante. Une émotion cataclysmique.

Colin, Phil, Jonny & co nous gâtent de savoureux inédits : Identikit fait rage avec une ambiance astrale très convaincante et un schéma de composition pas des plus évidents. Mais la voix de Yorke, qui avait laissé planer le doute sur la capacité du maître à tenir tout un concert durant, distille la grâce suffisante pour persuader les plus dubitatifs que ses morceaux sont taille grandioses. 

Déjà la moitié du show, Thom interagit avec le public moins par les mots que par des gestes de reconnaissance. Ému de l'amour donné, le groupe se donne à fond, hormis Ed O'Brien le guitariste, l'atout charme de Radiohead mais aussi charismatique et utile qu'un filtre Instagram l'est pour la photographie. Mais voilà que se profile le morceau de bravoure, l'un des tout puissants. Paranoid Android, du haut de ses 6 minutes 30, single de OK Computer (bonjour la tête des programmateurs des stations FM en 1997 !) est strastosphérique. Il faut vivre ces instants, et les raconter ne sert qu'à répéter qu'il faut vivre ses instants. Sur place, sans iPhone, sans bootlegs. Rien qu'avec ses deux jambes, son coeur et son esprit.


Rappel à l'ordre d'un monde mortel


Une pause. Alors que l'on s'attend à un rappel conformiste et tranquille, débarque de nulle part l'hallucinante Treefingers, jouée pour la toute première fois sur cette tournée The King of Limbs. Les Américains savent désormais ce que nous avons de plus qu'eux. Seuls Thom et Jonny sont sur scène dans ce moment qui balance entre expérimentation sonique et improvisation électronique. Étonnamment, le morceau est magique. Mais avec Radiohead, on sait désormais que les rappels le sont tous. La version de Videotape, quelque peu trop classiciste sur In Rainbows, atteint ici une pure émotion, sans fausse note, sobre et parcimonieuse. Même topo avec Weird Fishes/Arpeggi (on regrettera à jamais l'orchestre présent lors de la première interprétation du morceau en 2006 au Ether Festival), bombastique et fiévreuse, comme toujours. Et puis ? La sidérante Ful Stop, dernier inédit en date, qui, pour résumer, glace la couche d'ozone : osée, terrifiante, maîtrisée, cette pépite prouve à elle-seule que le meilleur de Radiohead est peut-être encore à venir... 

Les jambes se font lourdes. Les coeurs bien pleins, les lumières prêtes à se rallumer, on se demande alors où on a bien pu garer sa voiture dans la horde de travaux qui ensanglante la ville de Nîmes. Mais pas d'inquiétude, car tout est en place : Everything In Its Right Place enchaînée à Idioteque valent toutes les fins (de concerts) du monde. Oser placer cote à cote ces deux titres sacrés de Kid A révèle non pas du cadeau, mais du don du ciel. 

Enfin, la touchante Reckoner, en hommage au défunt Scott Johnson, rappelle que la mort demeure bien sûr fatale et foudroyante, mais qu'il y aura toujours quelques êtres sur Terre pour vous rappeler que vous êtes quelqu'un de vraiment bien.

Orlando Fernandes




Setlist 

2 commentaires:

  1. Tout est (très bien) dit. :) Pour le débat, je penserai plutôt à Kid A et ses humeurs changeantes comme étant le meilleur album du groupe. Concert inoubliable.

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  2. Pouvoir revivre ce concert de façon aussi intense à travers ton live report, pour moi qui aime Radiohead et l'écriture, est une véritable prouesse qui demande au moins... 10 bonnes heures de boulot! Merci, quand je voudrais replonger dans ce concert mythique de Nîmes, je relirai ta chronique.

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